France Info.
Cette tragédie, nous en parlons aujourd'hui avec les élèves du lycée français René Descartes de Phnom Penh, la capitale cambodgienne. Et surtout avec vous, Serra. Bonjour. Bonjour. Merci d'être avec nous. Vous avez beaucoup travaillé pour maintenir cette mémoire. Vous avez perdu votre père à l'époque, tué par les Khmer Rouges. Vous avez écrit de nombreuses bandes dessinées sur l'histoire de ce pays. Concombre à mer ou l'endemain de cendres, vous venez d'illustrer le livre « L'anarchiste ».
Livre d'un autre Cambodgien, Sotpolin aux éditions de la Table Ronde, peut-être pour des lecteurs avertis. Nous commençons avec Rémi. Comment avez-vous survécu au Cambodge ? Vous étiez enfant à l'époque. Qu'est-ce qui s'est passé pour vous au moment de cette prise de pouvoir des Khmer Rouges ? Je pense que j'ai eu beaucoup de chance parce que depuis entre 1973 et 1975,
Phnom Penh était quasiment bombardé continuellement tous les jours par des tirs de roquettes ou d'obus à un moment donné. Donc j'ai plus d'une fois failli y passer. Donc voilà, il y a eu une part de chance aussi qui fait que je suis toujours là. Oui, avant la prise de pouvoir, il y avait déjà évidemment une part de risque énorme pour la vie des Cambodgiens. En 1974, une roquette est rentrée dans...
le domaine familial où on était, mais la roquette n'a fait que traverser un palmier et a atterri deux blocs derrière nous. Il y a eu l'arbre a dévié la roquette et elle n'a pas explosé. Donc, voilà, j'ai eu beaucoup de chance. Une question d'Andra. Quand
Les Khmer Rouges sont arrivés, est-ce que c'était très très dur ? Est-ce que tu peux me dire, 1 à 10, comment c'était dur ? Sur une échelle de 1 à 10, est-ce que c'est quantifiable ? C'est absolument pas quantifiable. Sur une échelle de 1 à 10, on dit 100. Parce que c'est une violence absolue, quand bien même je n'ai pas subi de violence physique en tant que telle, mais...
Ce qui arrive, vous ne pouvez pas y croire. On n'est pas préparé à ça. C'est-à-dire que du jour au lendemain, à la minute où les cuivres rouges sont apparues, ils nous ont dit, vous devez partir. Prenez vos affaires, vous partez. Et on doit tout abandonner. On doit tout laisser derrière nous. Personne n'est préparé à ça. Ça a été un choc tellurique dont je porte encore les...
On ne va pas entrer dans les détails, mais on vous a privé de votre père. Vous trouvez refuge à l'ambassade et puis très vite, vous êtes évacué hors des frontières cambodgiennes vers la Thaïlande, c'est ça ? C'est ça. Je vais finir par arriver le 6 mai 1975 à Paris. Avec un fort sentiment d'injustice, on imagine d'où cette question de Virac. Est-ce que tu voulais te battre avec le Khmer Rouge ?
Avec les Khmer Rouges ? Non, contre les Khmer Rouges. J'imagine, oui. J'aurais été plus grand, peut-être bien. J'ai vu tellement de gens qui ont souffert des Khmer Rouges avant 1975, parce que je connaissais des gens qui s'étaient enrôlés aussi dans l'armée, ou qui avaient subi déjà des premières exodes à l'intérieur du pays avant. C'était des gens qui étaient à combattre, oui.
Quelle était leur motivation ? L'Equipe Rouge ? C'était faire table rase. En fait, parce que
Quand vous avez affaire à une minorité qui prend le pouvoir sur une majorité, c'est par la terreur qu'ils arrivent à s'installer. Donc il y a la volonté de casser, il y a la volonté de détruire pour pouvoir avoir la main sur le peuple, sur le pays. Et cette minorité-là a usé d'une arme qui est la terreur pour leur propre survie.
Une question d'Aïline. Vous êtes allé en France, est-ce que vous êtes revenu en Cambodge après ? Oui, je reviens assez régulièrement au Cambodge, dès que je peux. C'est ma patrie, c'est là où je suis né, patrie de cœur, et j'aime ce pays. Il y a toujours de la colère ? Malgré tout le travail que j'ai entrepris, oui, il y a toujours une colère gigante au fond de moi, oui.
Une question de Nelia. Est-ce que vous avez fait vos livres pour rendre hommage à quelqu'un ? Oui, pour rendre hommage à tous ceux qui ne sont plus là, à tous ceux que j'ai aimés. Et puis pour vous qui allez grandir, vous allez avoir besoin de comprendre, de repères. C'est pour toutes ces raisons que j'ai entrepris mon travail depuis 1987.
La mémoire de ce génocide, elle est encore vive au Cambodge, de ce que vous constatez quand vous y retournez, où la population aujourd'hui a tourné la page, et c'est un combat de maintenir ce souvenir-là. C'est un combat, dans la mesure où les gens savent à peu près les choses, mais ils n'ont pas une connaissance précise. Il y a beaucoup de rumeurs qui circulent, il y a beaucoup d'approximations, donc
C'est un combat à mener pour arriver à bien faire comprendre ce qui s'est passé, qu'est-ce qui nous a amené à cela. C'est à ça que je m'attache. On termine avec Rémi et une question peut-être étonnante. Est-ce que vous avez la nostalgie de votre enfance ? C'est quelque chose que beaucoup de gens disent qu'ils sont nostalgiques de leur enfance. Est-ce qu'on peut avoir ce sentiment-là quand on a vécu des choses aussi affreuses ?
Disons qu'il m'arrive de penser assez fréquemment sur ce passé où on était en famille, on était dans ces moments de partage, de découverte. Alors est-ce que c'est de la nostalgie ? Peut-être bien, mais c'est surtout, encore une fois, ne pas oublier pour vivre, tout simplement.
Vivez bien tant que possible. Absolument. Merci, Serah. Concombre amère, votre BD chez Marabule et vos illustrations pour l'anarchiste de Sot-Pauline aux éditions de la Table Ronde. Merci aux élèves du lycée français René Descartes de Phnom Penh au Cambodge aujourd'hui. Et à Estelle Fort qui a recueilli leurs questions. France Info Junior, c'est en téléchargement chaque jour avec l'application Radio France.