Montage de texte, Victoire Bourgois et L'Origorof. Troisième épisode. Mon amour, comme tu es menteur.
Il te traite de mythomane, mais je suis la seule à comprendre que tu es menteur parce que ton imagination sans bord ne te contraint à l'être, comme le sont les poètes ou les enfants que l'école ou leur mère n'a pas encore rendus idiots. Diego. Dans mes urines. Diego. Dans ma bouche. Dans mon cœur. Dans ma folie. Dans mon rêve. En el papel secante. En la punta de la pluma. En los lápices de colores. En los paisajes. En la comida.
Dans les vitrines, dans ses revers, dans ses yeux, dans sa bouche, dans ses mensonges. Cher Lucie, j'ai le plaisir de t'annoncer que Diego se sent très bien à présent. Ses yeux ne le gênent plus. Il est gros, mais pas trop, et il travaille du matin au soir avec le même enthousiasme. Il lui arrive encore de se comporter comme un gamin, mais il est très bien.
Il me laisse le gronder un peu de temps en temps, à condition de ne pas trop abuser de ce privilège, bien sûr. En un mot, il n'y a pas plus charmant. Malgré son faible pour les dames, surtout les jeunes américaines qui viennent au Mexique pour deux ou trois semaines, il est toujours partant pour leur montrer ses peintures murales en dehors de Mexico. C'est un garçon très agréable et raffiné, comme tu le sais d'ailleurs. « Al rojo primor, al verde mentira »
Je t'ai entendu proférer toutes sortes de mensonges, des plus innocents, plus embrouillés, mais toujours avec une grande ironie et un merveilleux sens critique. Mon joli petit monde, n'oublie pas que je t'aime plus que ma propre vie, que tu me manques à chaque minute un peu plus. Abusos, cercanos, mentiras, pasión. Oui, tu es un adorable crapaud-monteur. Sois sage.
Même si tu t'amuses, n'arrête jamais de m'aimer. Même un tout petit peu. Je donnerai tout pour voir ce que tu es en train de faire en ce moment. Ce que tu peins. Pour pouvoir être près de toi et pour dormir avec toi dans notre petite chambre du pont. Ton rire me manque tellement. Et ta voix. Et tes mains. Tes yeux. Même tes colères. Tout. Mon tout petit. Toi tout entier. Tu es ma vie à présent.
Et rien ni personne ne peut me changer. Ce qui m'importe le plus, c'est la non-illusion.
Une certaine lettre que j'ai trouvée par hasard dans une certaine veste d'un certain monsieur et qui lui avait été adressée par une certaine demoiselle de la lointaine et fichue Allemagne, que j'imagine être la dame que Villers-Valentiner a eu la bonne idée d'envoyer ici pour qu'elle puisse s'amuser sous découvertes scientifiques, artistiques et archéologiques, m'a mise hors de moi et a déchaîné, pour être franche, ma jalousie. Tu disais que nous devions évoluer.
Que la jalousie était un truc du tiers-monde, de rétrograde, qu'elle ne convenait pas à un couple cosmopolite comme nous deux. Combien de conneries ai-je dû supporter ? Si au moins tu n'avais pas truffé toutes les vacheries que tu m'as faites de beau part. En su boca, en sus mentiras, Diego. Sale crapaud, tu t'es même fait ma sœur. Ella et Boyd, vous savez mieux que quiconque ce que Diego signifie pour moi. Et d'un autre côté, elle était la sœur que j'aimais le plus.
que j'avais essayé d'aider quand elle avait atterri entre mes mains. Ce qui fait que la situation est horriblement compliquée et elle empire de jour en jour. Christina, Christina, comment as-tu pu ? Je vous aime trop et j'ai trop confiance en vous pour vous cacher le plus grand malheur de ma vie. Tes amis, ici, je n'en ai pas. Je suis complètement seule. Avant, je passais mes journées à hurler de rage contre moi et sur mon malheur. À présent, je ne peux même pas pleurer car j'ai compris que c'était stupide et inutile.
J'aurais dû m'en douter. Quand tu as posé pour la fresque du Palais National, il t'a peinte avec une telle sensualité, le regard vague, comme si tu venais d'avoir un orgasme. J'aurais déjà dû le comprendre à ce moment-là. C'est comme ça qu'il fait. Il peint les femmes comme il les a vues un instant après les avoir fait jouir. J'avais l'espoir que Diego allait changer, mais je vois et je sais que c'est impossible, que j'étais niaise. J'aurais dû comprendre depuis le début que ce n'est pas moi qui le ferais vivre de telle ou telle façon.
Et encore moins dans ce genre de circonstances. En fin de compte,
Toute tentative de ma part est ridicule et imbécile. Il veut sa totale liberté. Liberté qu'il a toujours eue, et qu'il aurait eue cette fois encore s'il avait agi à mon égard en toute sincérité et honnêteté. Mais ce qui m'attriste davantage encore, c'est que même la part d'amitié qui nous liait n'existe plus. Il me raconte sans cesse des mensonges, et me cache tous les détails de sa vie, comme si j'étais sa pire ennemie. Pour Diego, Frida, avenue à engancher numéro 1, ruine.
Je n'ai rien.
car je ne l'ai pas lui. Je n'aurais jamais cru que pour moi, il signifiait tout, et que sans lui, je n'étais qu'un déchet. Je croyais que je l'aidais à vivre de mon mieux, et que dans n'importe quelle situation, je pourrais me débrouiller toute seule, sans complications d'aucune sorte. Mais il faut bien l'admettre, je ne vaux guère plus que n'importe quelle autre fille déçue d'avoir été abandonnée par son homme. Je ne vaux rien, je ne sais rien faire, je ne peux me suffire à moi-même. Ma situation me semble si bête et ridicule ?
Que vous n'imaginez pas à quel point je m'exaspère et me déteste. « Te vas ? » « Non. » « A las rotas. » J'ai gâché le meilleur de mon temps à vivre au dépens d'un homme, me contentant de faire ce que j'estimais bon et utile pour lui. Je n'ai jamais pensé à moins. Et au bout de six ans, il me répond que la fidélité est une vertu bourgeoise qui n'existe que pour mieux exploiter et tirer quelques avantages économiques. « Yo creo que es mejor irme. »
Diego est comme ma vie, un lent empoisonnement sans fin, entre joie d'une intensité sublime et abîme de désespoir angoissant. J'ignore de quoi sera fait demain, mais je sens que le seul remède est de me séparer de Diego, car je ne vois pas de raison à vivre ensemble.
Si c'est pour l'embêter et le priver de la totale liberté qu'il exige, alors je le laisse vivre. Et moi, avec tous mes préjugés bourgeois sur la fidélité, je m'en irai voir à l'oeuvre. Vous ne trouvez pas que c'est ce qu'il y a de mieux à faire ?
Bon, oui, bien sûr. Moi aussi, j'ai eu beaucoup d'amants. Et pourquoi pas ? Il est à présent midi. Tu ne m'appelleras pas ? Je veux te voir. Être près de toi. Tout près.
Mon adorable Nui, tu as laissé des fleurs sur mon épaule, mon enfant, des fleurs rouges. Ton télégramme est arrivé ce matin, j'en ai pleuré de joie. Et aussi parce que tu me manques, dans mon cœur et dans mon sang. Nique, hier soir, j'ai senti comme des ailes, j'ai reçu la superbe photo de moi que tu m'as envoyée. Merci pour cette magnifique photo, comme si au bout de tes doigts. Merci pour ta dernière lettre et pour les trésors que tu m'as donnés. Tu es en train d'embrasser ma peau. Merci de m'avoir dit avec ta voix et avec tes yeux
Ce que j'avais attendu toute ma vie. Isamu Noguchi, un sculpteur de New York. Il était très beau, séduisant, exubérant. C'est vrai, j'avais presque perdu la tête pour lui. Une fois, il vient me trouver à l'hôpital. Et Diego, la peste l'emporte avec son damné sixième sens, arrive sur ses entrefaites.
Je me suis mise à hurler parce qu'il a sorti son pistolet et le lui a pointé entre les deux yeux. Je lui ai crié que s'il le tuait, il ne me reverrait plus, que je le haïrais jusqu'à la fin de mes jours. Je ne sais pas si j'ai été convaincante. Diego était vraiment sur le point de tirer. Il a levé le chien, lui a appliqué le canon sur le nez et lui a dit « Remercie ma femme. À partir d'aujourd'hui, tu lui dois chaque sale jour de ta sale existence. Mais si je te revois, je te jure que je te tue. »
Diego sait y faire à certains moments. Il ne joue pas, cela lui vient naturellement. Quel grand fils de pute ! Il venait juste de sauter l'une de ses modèles, mais il était arrivé à temps à l'hôpital pour nous choper ensemble. Ensuite, les femmes. Oui, mais bien sûr que c'est vrai. Tout le monde le sait.
Je ne t'ai pas oublié. Les nuits sont longues et difficiles. L'eau, le bateau et le quai et le départ qui peu à peu te rendaient si petite à mes yeux, prisonnier de ce hublot rond que tu regardais pour me garder dans ton cœur. Tout cela est intact.
Mais la couleur de ta peau, de tes yeux et tes cheveux changent selon le vent de Mexico. Avec une femme, je ne me suis jamais sentie gênée. Je n'ai jamais pensé à mon infirmité. Tu sais aussi que tout ce que mes yeux voient...
Tu le sais, toi aussi, que tout ce que voient mes yeux et que mon moi touche, quelle que soit la distance qui nous sépare, c'est Diego. La caresse d'étoiles, la couleur de la couleur, les fils de feuilles, les nerfs, les crayons, les feuilles, la poussière, les cellules, la guerre et le soleil,
Tout ce qui se vit dans les minutes hors cadran, hors calendrier et hors regard vide, c'est lui. Tu l'as senti. C'est pourquoi tu as laissé le bateau me ramener du Havre, où tu ne m'as jamais dit adieu. Je continuerai toujours à t'écrire, avec mes yeux. Les femmes avec lesquelles j'ai fait l'amour ne m'ont jamais fait peser ce que je suis.
mais je ne pourrai jamais me passer de Diego.
Le bout de mes doigts touche ton sang. Toute ma joie vient de sentir jaillir la vie de ta source fleur que la mienne garde pour irriguer tous les chemins de mes nerfs qui sont les tiens. Faut-il que je sois une vraie tête de mule pour ne pas comprendre que les lettres, les histoires de jupons, les maîtresses d'anglais...
Les gitanes qui jouent les modèles, les assistantes de bonne volonté, les disciples intéressés par l'art de la peinture et les envoyés plénipotentiaires de lointaines contrées ne sont qu'un amusement. Et que dans le fond, toi et moi, nous nous aimons largement. Je crois qu'en fait je suis un peu bête et chienne sur les bords, car toutes ces choses sont arrivées et se sont répétées durant les sept ans où nous avons vécu ensemble, et toutes mes colères...
Ne m'ont conduite qu'à mieux comprendre que je t'aime plus que ma propre peau. Et bien que tu ne m'aimes pas de la même façon, tu m'aimes quand même un peu, non ? Et si ce n'est pas le cas, il me reste l'espoir que ce le soit. Et ça me suffit. Aime-moi un tout petit peu. Je t'adore, Frida. Amour, calore, dolore. Morphine et alcool m'ont bercé dans les nuits d'insomnie et les jours de tourment. Ma chère Ella...
« Tu peux dire à Boyd que je suis désormais sage comme une image. C'est-à-dire que je n'enchaîne plus les larmes de cognac, tequila, etc. Ce que je considère comme un nouveau pas en avant vers la libération des classes opprimées. Je buvais pour noyer ma peine, mais cette garce a appris à nager. » « Diego en mis pensamientos. » « Comme tu pourras le constater, j'ai peint. Ce qui est déjà un progrès, car jusqu'à présent j'avais passé ma vie à aimer Diego et à délaisser mon travail. »
Avec le douleur de toujours le perdre. Pourquoi je le prie, Diego ? Il n'y a jamais été.
Ni sera mio, es de el mismo, corriendo a todo dar. Je sais ce que tu es, et je le savais depuis le début, et même encore avant qu'il n'y ait un début. Pourquoi je l'appelle mon Diego ? Jamais il n'a été ni ne sera à moi. Il s'appartient à lui-même, courant à perdre à l'aime. Je ne pourrai jamais me passer de Diego. Personne ne sera jamais comme j'aime Diego. Je veux que rien ne le blesse.
Rien ne le dérange, ni ne lui enlève l'énergie dont il a besoin pour vivre. Vivre comme bon lui semble. Peindre, voir, aimer, manger, dormir. Se sentir seul, se sentir accompagné. Mais je ne voudrais jamais qu'il soit triste. Si j'avais une santé, je la lui donnerais, toute. Si j'avais la jeunesse, il pourrait la prendre, toute.
Je ne suis pas seulement sa mère. Je suis l'embryon, le germe, la première cellule qui potentiellement l'a engendré. Je suis lui. Depuis les plus primitives et les plus anciennes des cellules qui, avec le temps, sont devenues lui. Diego, ma vie et ma mort, ma maladie, ma guérison. Años. Esperar con la angustia guardada.
La columne arroute et l'immense regard sans aller dans le grand chemin, Mouve ma vie proche d'un acier, vieille. Ma conscience, mon délire, la sève la plus douce, le désert le plus désolé, ma sécheresse et ma pluie, ma foi en moi-même et mon mépris pour m'être laissée torturer sans limite. Comme toujours, quand je m'éloigne de toi, j'emporte dans mes entrailles ton monde et ta vie,
Et de cela je ne peux me remettre Ne sois pas triste, peins et vis Je t'adore de toute ma vie Me accogiste destrozada Y me devolviste entera, integra Quand il me prend dans ses bras Il est le seul à pouvoir faire disparaître la pelona Qui danse autour de moi nuit et jour Son las seis de la mañana Y los guajolotes cantan Calor de humana ternura Soledad acompañada
Jamais de toute ma vie je n'oublierai ta présence. Tu m'as accueillie, brisée, et tu m'as restituée entière, intègre, sur cette petite terre où pourrais-je poser le regard ? Un regard si immense, si profond. Le temps n'existe plus. Rien d'autre n'existe plus. Il ne reste que la réalité.
Ce qui a été, l'a été pour toujours. Ce qui est, ce sont les racines invisibles qui poussent, métamorphosées. Un arbre ou fruit éternel. Tes fruits répandent des arômes. Tes fleurs poussent dans la joie du vent. Ils m'offrent leur couleur. Diego, prénom d'amour.
Ne laisse pas mourir de soif cet arbre qui t'aime autant, cet arbre qui a cristallisé la vie à six heures du matin. Ne laisse pas mourir de soif cet arbre pour qui tu es le soleil, qui garde ta semence comme un trésor. Mon enfant, ta camarade est restée là, joyeuse et forte comme il se doit.
Elle attend ton retour prochain, pour t'aider, t'aimer, pour toujours, et en paix. Ton ancienne magicienne, Frida. Des ailes de mouette noires. Portrait en miroir de Frida Kahlo. Troisième épisode, avec Odile Lauria. Odja Lorca. Johanna Nizar.
Montage de texte, Victoire Bourgois et Laure Egoroff. Conseillère littéraire, Emmanuelle Chevrière. Prise de son, montage, mixage, Philippe Bredin, Mathieu Tourain. Assistant à la réalisation, Vivien Domeyer.
Réalisation Laure Egoroff Frida Kahlo par Frida Kahlo, correspondance 1922-1954 est parue aux éditions Christian Bourgois dans une traduction de Christia Vassero.
Le journal de Frida Kahlo est paru aux éditions du Chen dans une traduction de Rauda Hamis. Viva la vida de Pino Cacucci est paru aux éditions Christian Bourgois dans une traduction de Benito Merlino.