France Culture Je n'ai jamais peint mes rêves. Nunca pinté mis sueños. J'ai peint ma réalité propre. Pinté mi propia realidad. Je n'ai jamais peint mes rêves. J'ai peint ma réalité propre. Des ailes de mouette noires. Portrait en miroir de Frida Kahlo. Montage de texte, Victoire Bourgois et L'Origorof. Quatrième épisode. Détroit, 29 juillet 1932. Mon cher petit docteur.
« Je veux tout d'abord vous remercier pour votre lettre et votre télégramme si aimables. À ce moment-là, j'étais enthousiaste à l'idée d'avoir cet enfant, même après avoir réfléchi aux difficultés que cela engendrerait. C'est sûrement mon corps qui parlait, car je sentais le besoin de le garder. Quand votre lettre est arrivée, elle m'a encore plus encouragée, car il vous semblait que je pouvais avoir cet enfant. Presque deux mois se sont écoulés et je ne ressentais aucune gêne. Je me suis mise au repos et j'ai pris grand soin de moi. »
Mais deux semaines environ avant le 4 juillet, j'ai remarqué un filet de sang épais qui coulait presque tous les jours. Alors je me suis inquiétée et je suis allée voir le docteur Pratt, qui m'a dit que tout allait bien et que je pourrais avoir mon enfant par césarienne. Ça a continué jusqu'au 4 juillet et là, sans que je sache pourquoi, en un clin d'œil, j'ai fait une fausse couche. Le fœtus n'était pas formé.
Quand il est sorti, il était tout désagrégé, alors que j'étais enceinte depuis trois mois et demi. Les enfants sangrantes.
Quat'liqu'où est la terre-mer ? La fertilité qui génère la vie et en même temps le monstre insatiable qui dévore tout. Moi, moi j'ai dévoré la vie, ma vie, mais je n'ai conçu aucune vie. Le docteur Pratt n'a pas évoqué de cause précise, il m'a juste assuré que je pourrais un jour avoir un autre enfant. À l'heure où je vous écris, je ne sais toujours pas pourquoi je l'ai perdu et pourquoi le fœtus n'était pas formé. Alors allez savoir comment je vais de l'intérieur, parce que c'est un peu bizarre, vous ne croyez pas ?
J'étais tellement contente d'avoir un petit Dieguito que j'ai beaucoup pleuré. Mais maintenant que c'est passé, il n'y a plus qu'à se résigner. A quatre reprises, j'ai conçu le fils et la fille que j'aurais voulu. Mais la vie les a assassinés tandis qu'ils commençaient à bouger dans mon ventre. Bref, il y a des milliers de choses autour desquelles règne le mystère le plus absolu.
Quoi qu'il en soit, je suis comme les chats. On n'a pas ma peau si facilement. C'est toujours ça. Silhueta bailon, sufrido cantando. Diego, je n'ai pas été capable de faire un trésor de ta graine. Cette épave de femme n'a même pas été capable de te donner un fils. Toi, ils t'ont ramassé dans une poubelle. Quarante ans sont passés et je ne parviens pas encore à l'oublier cette phrase de ma demi-sœur Maria Luisa.
Origines des deux Fridas Souvenirs
Je devais avoir 6 ans lorsque j'ai vécu intensément une amitié imaginaire avec une petite fille à peu près de mon âge. Sur la verrière de ce qui était alors ma chambre, qui donnait sur la rue Allende, sur un des premiers carreaux, je faisais de la buée et je dessinais une porte. Je dessinais une porte.
Par cette porte, je m'échappais en rêve. Avec une grande joie et une urgence, je traversais toute l'étendue visible qui me séparait d'une lettrerie qui s'appelait Pinson. Par le haut de Pinson, j'entrais et descendais intempestivement à l'intérieur de la terre, où mon ami imaginaire m'attendait, toujours. Je n'ai gardé en mémoire ni son image, ni sa couleur. Mais je sais qu'elle était gaie. Elle riait beaucoup, sans bruit. Elle était souple.
et elle dansait comme si elle avait été en état d'apesanteur. Je la suivais dans tous ses mouvements et lui racontais, tandis qu'elle dansait, mes problèmes secrets, lesquels je ne m'en souviens pas. Mais ma voix l'instruisait de toutes mes affaires. De retour à la fenêtre, je franchissais la même porte dessinée sur le carreau. Quand ? Combien de temps étais-je restée avec elle ? Je ne sais pas. Une seconde ou des milliers d'années. J'étais heureuse. J'effaçais la porte avec la main et elle disparaissait.
Je courais avec mon secret et ma joie jusqu'au fin fond du patio de ma maison. Et dans un coin toujours le même, au pied d'un grand cèdre, je riais et criais dans l'étonnement de me trouver seule avec mon grand bonheur et le souvenir si vivant de la petite fille. 34 ans se sont écoulés depuis que j'ai vécu cette amitié magique. Et chaque fois que je me la remémore, elle se ranime. Et son écho résonne toujours plus fort au cœur de mon monde. Soigne, soigne, soigne.
Que de rêves.
Les lumières, les lignes, les formes, les nids, les mains construisent, les yeux ouverts, les yeux sentis, les larmes entières, toutes sont très claires, vérités cosmiques,
Chère Lucie, quant à l'être m'est parvenue, j'étais au 36ème de Fou.
J'ai eu des douleurs dans mon maudit pied pendant toute une semaine et j'aurais sûrement besoin d'une nouvelle opération. J'en ai déjà subi une il y a quatre mois, en plus de celle qui a eu lieu quand Boyd était ici. Tu peux donc imaginer comment je me sens. Mais ta lettre est arrivée et crois-moi ou non, elle m'a donné du courage. Je n'ai pas beaucoup changé depuis la dernière fois que tu m'as vue, sauf que je porte à nouveau mes habits mexicains complètement fous, mes cheveux ont repoussé et je suis toujours aussi maigre. Mon caractère non plus n'a pas changé.
Je suis toujours aussi flemmarde, sans le moindre enthousiasme, plutôt stupide et fichtrement sentimentale. Parfois je me dis que c'est parce que je suis malade, mais c'est juste un bon prétexte. Je pourrais peindre comme bon me semble, je pourrais lire ou étudier, faire des tas de choses malgré mon pied malade, ou tout ce qui cloche chez moi. Mais que veux-tu que je te dise ? Je vis sur un nuage, je prends les choses comme elles viennent sans faire le moindre effort pour les changer. Je somnole à longueur de journée, je suis toujours lasse et désespérée.
Qu'est-ce que je peux bien y faire ? La lassitude. Je me suis rendu à la lassitude. Et pourtant, depuis que je suis rentrée de New York, j'ai peint une douzaine de tableaux, petits et sans le moindre intérêt, avec toujours les mêmes sujets personnels qui n'intéressent que moi et personne d'autre. J'avais envie de vivre.
Fatigué et désespéré, j'ai fini par me remettre à peindre. J'ai envoyé quatre tableaux à une galerie de Mexico, la galerie universitaire, qui est un endroit petit et moche, mais c'est le seul qui accepte à peu près tout et n'importe quoi. Bref, je les ai envoyés sans grand enthousiasme. Quatre ou cinq personnes m'ont dit que ça leur avait beaucoup plu, les autres trouvent ça trop fou. Son vestu est le même qui n'a pas voulu s'en sortir le jour de la bouddha avec personne.
À ma grande surprise, j'ai reçu une lettre de Julien Lévy, dans laquelle il me dit qu'on lui a parlé de mes tableaux et qu'il voudrait organiser une exposition dans sa galerie. Je lui ai envoyé quelques photos des dernières choses que j'ai peintes,
Il m'a répondu qu'il était emballé et il m'a commandé 30 tableaux pour une exposition au mois d'octobre prochain. Il veut exposer Diego par la même occasion et j'ai accepté. Maintenant que je sais qu'il va y avoir cette exposition à New York, je travaille un peu plus pour que ces maudits 30 tableaux soient prêts à temps mais j'ai peur de ne pas y arriver. On verra. « Débile espérance de hacer construcción. Las telas. Los reyes. Tan tontos. Mis uñas. El hilo y el pelo. El nervio son bon. »
Mon exposition n'était pas prête.
Mes tableaux m'attendaient tranquillement à la douane, vu que Breton n'était même pas allé les chercher. Vous n'avez pas idée du genre de vieux cafard qu'est Breton, et je pourrais en dire de même de presque tout le groupe des surréalistes. Pour faire court, ce sont des fils de... leur chère maman. Finalement, Marcel Duchamp, le seul parmi les peintres et les artistes d'ici qui a les pieds sur terre et la cervelle en place, a pu organiser l'exposition avec Breton. Elle a débuté le 10 de ce mois dans la galerie Pierre Colle, qui est, paraît-il, une des meilleures ici.
Il y avait un paquet de beau monde le jour de l'opening, avec des tas de félicitations à la Chicois, y compris une accolade de Joan Miro et des louanges de Kandinsky pour ma peinture, les félicitations de Picasso et de Tanguy, Pahalen et autres grands cacas du surréalisme. Autant dire que ça a été un succès. Et si l'on tient compte de la qualité des couches de miel, je veux parler des ribambelles de louanges, je crois qu'on peut en conclure que ça s'est bien passé. J'avais le ventre plein d'anarchistes.
Et chacun d'entre eux aurait bien posé une bombe dans un coin de mes pauvres tripes. Ça va mal tourner, je me suis dit, car j'étais persuadée que j'allais passer l'arme à gauche. La raison du soulèvement anarchiste dans mon ventre est que j'étais pleine de colibaciles. Et ces fumiers ont voulu passer outre les limites décentes de leur activité. Alors ils ont eu l'idée d'aller faire la java dans ma vessie et dans mes reins qui se sont mis à me brûler parce qu'ils faisaient un foin de tous les diables et qu'ils ont failli m'envoyer à la défeinterie. J'ai quitté l'hôpital il y a cinq jours. Je me sens beaucoup mieux.
Et j'espère être totalement rétablie d'ici quelques jours. Le docteur m'a dit que j'avais dû manger quelque chose qui n'avait pas été bien lavé. De la salade ou des fruits crus. C'est chez Breton que j'ai attrapé ces saloperies de colibaciles. J'en mets ma main au feu. Il pensait que j'étais une surréaliste. Mais je ne l'étais pas. Je n'ai jamais peint mes rêves. J'ai peint ma réalité propre. Mi nacimiento. Mi nana y yo. Mis abuelos. Mis padres y yo.
Je ne saurais dire si mes tableaux sont surréalistes ou pas, mais je sais qu'ils sont la plus franche expression de moi-même, sans jamais tenir compte des jugements ou des préjugés de quiconque. Cher Monsieur,
Avec votre lettre, je veux dire au même moment, j'en ai reçu une du docteur Wilson, celui qui m'a opéré et qui a fait de moi un vrai pistolet mitrailleur. Il dit que je peux désormais peindre deux heures par jour. J'avais déjà commencé avant qu'il ne m'y autorise. Et je tiens jusqu'à trois heures sans lâcher le pinceau. J'ai presque fini votre premier tableau, qui bien entendu n'est que le reflet de cette putain d'opération. Je suis assise au bord d'un précipice avec mon corset d'acier à la main,
Derrière, je suis couchée dans un lit d'hôpital, le visage tourné vers un paysage. Un morceau de mon dos est découvert et l'on y voit la cicatrice des coups de scalpel infligés par les chirurgiens. Ces fils de... leur mère. Le paysage est le jour et la nuit. Il y a un squelettor, c'est-à-dire la mort, en train de fuir, effrayé par ma volonté de vivre.
Essayer d'imaginer, même si ma description est maladroitissime. En peignant mon propre univers, je n'ai pas raconté la douleur.
parce que la douleur ne peut pas se raconter. Vous savez que le pinceau finit toujours par m'épuiser, surtout quand je m'emballe et que je m'y mets plus de trois heures d'affilée, mais j'espère être un peu moins flappie d'ici deux mois. Quelle chienne de vie, mon frère ! On s'en prend plein la figure, on en tire des leçons, mais à la longue, ça nous retombe dessus comme une masse. Alors j'essaie d'être forte, mais parfois j'ai envie de tout envoyer valser, ni une ni deux, sans faire de chichi. Je passe ma vie cloîtrée dans cette foutue demeure de l'oubli,
Soit dix ans pour m'y refaire une santé et peindre à mes moments perdus. Je ne vois pas âme qui vive, ni la crème des crèmes, ni le fond du ruisseau. Je n'ai peint que moi-même, parce qu'on est seul dans la souffrance, parce que la souffrance engendre la solitude. 9 janvier 1948, Coyoacán.
à M. le docteur Samuel Fastlicht, à remettre en main propre. Cher ami, voici enfin le tableau. J'ai tardé plus que convenu car ces derniers temps j'ai dégusté comme pas deux. D'ailleurs, je n'ai pas les mots pour vous le décrire. L'état dans lequel je suis se reflète naturellement dans mon autoportrait. Il ne vous plaira peut-être pas et vous avez parfaitement le droit de me le dire en toute sincérité. Personnellement, il me plaît beaucoup car il est l'expression exacte de mes émotions. Or, c'est ce que recherche tout peintre sincère. Mais c'est vous qui achetez ce qui change tout.
« Anita Brenner m'a dit qu'il vous avait paru trop cher. Écoutez, mon ami, n'allez pas me trouver gonflée, bien au contraire. Je vends mes tableaux à 3 000 pesos et à vous, parce que vous avez été si gentils avec moi, je vous le laisse à 2 500, desquels je dois soustraire les 500 que je vous dois, pour les molaires. Donc, il ne m'en restera que 2 000 tout rond, ce qui, par les temps qui courent, ne vaut pas tripette. Mais je ne veux pas non plus vous forcer la main. Si le marché ne vous convient pas, je peux vous en faire un autre, plus petit, qui demande moins de travail, et je vendrai celui-ci ailleurs. »
C'est juste qu'en ce moment, je suis dans une dèche, pas piqué des hannetons, et j'ai besoin de me renflouer. C'est pourquoi je vous l'envoie avec la peinture encore fraîche. Dans une semaine, j'irai vous le vernir. Vous savez, mon ami, qu'entre vous et moi, la franchise est reine, alors vous pouvez tout me dire. Si vous êtes d'accord pour l'argent, remettez-le, s'il vous plaît, à ma sœur Christina, la petite qui vous apporte le tableau. Je vous envoie toute mon affection. Et ne me grondez pas si je ne suis pas venue moi-même. Si vous étiez à ma place, vous vous seriez déjà jeté du haut de la cathédrale.
Autorétrato de Diego en el pecho y María entre las cejas Autorétrato con el retrato del Dr. Farrell
Durant dix ans, mon travail a consisté à éliminer tout ce qui n'était pas issu des mobiles lyriques internes qui me poussaient à peindre. Recuerdo de la herida abierta, niña con máscara de muerte.
Ayant toujours travaillé avec mes sensations, mes états d'âme et les réactions profondes que la vie a déchaînées en moi, j'ai fréquemment objectivé tout cela par des représentations de moi-même. Ma façon la plus sincère et vraie d'exprimer ce que je ressentais, par-devers moi et face à moi.
Frida Kahlo Des ailes de mouette noires Portrait en miroir de Frida Kahlo Quatrième épisode avec Odile Lauria
Montage de texte, Victoire Bourgois et Laure Egoroff. Conseillère littéraire, Emmanuelle Chevrière. Prise de son, montage, mixage, Philippe Bredin, Mathieu Tourin. Assistant à la réalisation, Vivien Domeyer. Réalisation, Laure Egoroff.
Si tu veux, tu peux.
Frida Kahlo par Frida Kahlo, correspondance, 1922-1954
Le journal de Frida Kahlo est paru aux éditions du Chêne dans une traduction de Rauda Ramis. Viva la vida de Pino Cacucci est paru aux éditions Christian Bourgois dans une traduction de Benito Merlino.