We're sunsetting PodQuest on 2025-07-28. Thank you for your support!
Export Podcast Subscriptions
cover of episode "Jim Morrison Indoors/Outdoors" de Christine Spianti 2/5 : Célébration rock

"Jim Morrison Indoors/Outdoors" de Christine Spianti 2/5 : Célébration rock

2025/4/20
logo of podcast Le Feuilleton

Le Feuilleton

Transcript

Shownotes Transcript

All hail the American night !

Le backstage du Saratoga Performing Arts Center, dans l'état de New York. Une salle très éclairée, moquettes verts foncés.

Des murs de briques peints en blanc, des banquettes de cuir orangé le long des murs. Au milieu de la pièce, un piano à queue noire laquée. Ray en costume blanc, chemise noire. Plan suivant, Robbie à la guitare acoustique faisant Bob Dylan. Puis Jim Morrison, veste de cuir noir au piano, coupé.

Ray assis sur une banquette à côté de Dorothée Fujikawa, sa femme, tout en noir, mini-jupe et bottes. C'était en 1968. On allait entrer en scène. John n'est pas là. Ou alors il n'est pas dans le champ de la caméra. Il n'aime pas trop ça. Moi je suis là, à côté de Dorothée. Ray se penche et parle à Dorothée. Ils font une sorte de jeu d'échange avec des magazines. Il rit. Nous sommes joyeux. Avec Dorothée, c'est joyeux.

Un petit côté film muet, non ? Ray lève le fanzine vers la caméra et sourit au caméraman. On reprend avec l'implant emplongé. Jim a demandé aux cadreurs de monter sur le piano. Le film est en roue. Il se met en scène. On est devenus The Taurus. Dès que je prenais conscience d'être regardé, je faisais le show pour me protéger. Tu étais plutôt taciturne dans la vie. Tu ne parlais pas beaucoup ?

Nous ne savions rien de toi. Backstage, on savait que tu te mettais en état de monter sur scène, d'aller aussi loin que possible. Tu devenais Jim Morrison, la rockstar. Jim Morrison joue sur trois notes au piano une phrase inquiétante à l'Hitchcock. J'ai écrit cet ode à Nietzsche, le 3 janvier, à la porte de son logis.

Nietzsche vit un cocher qui fouettait son cheval. Il passa ses bras autour du cou de l'animal et éclata en sanglots. C'était le premier signe de sa folie. Il avait probablement contracté la syphilis lorsqu'il était étudiant. Il jouait du Wagner au piano pour les putains. Et toutes ces années-là, il devait porter en lui les germes du chaos. À la fin,

Quand il désespéra de donner corps à tout son monde de pensées, il se laissa submerger par ces forces qui firent exploser les cellules de son cerveau. Mais avant tout, il couronna sa philosophie par ce dernier acte symbolique, chapitre final de sa philosophie, et il s'unit à jamais avec l'acte et l'animal. Dernier plan du film.

Jim Morrison tape sur le piano des accords dissonants en criant sa poésie. Et toute l'assemblée rit. Il fut enfermé à l'asile. Et pour les dix dernières années, il a pleuré. Pleuré. Il a ri. Il a regardé le soleil. Et... Jim Morrison sourit à la caméra. Maintenant que je revois ces images...

Je me dis qu'il y a là comme une menace. C'est ce qu'il appelle la poésie. La poésie pour Jim Morrison, c'est son ami le poète Michael McClure, criant à des lions en cage, silence des yeux, calme des sens.

La poésie, c'est Ginzberg, ivre, hurlant The Hole à l'automne 1955 dans un garage baptisé Six Gallery, Fillmore Street, à San Francisco. L'événement alchimique pour la Beat Generation. Le public scandant « Allez, allez ! » comme un match de foot, raconte Kerouac, tandis que Rex Roth, le père de la poésie sanfranciscaine, essuyait des larmes de joie. La vraie poésie ne veut rien dire. Elle ne fait que révéler les possibles.

Elle ouvre toutes les portes. À vous de franchir celle qui vous convient. La poésie, c'est le 14 janvier 1967, un samedi de soleil radieux dans la baie de San Francisco. Le Great Human Be In, organisé au Golden Gate Park, le rassemblement des tribus de la contre-culture. Allen Ginsberg, psalmodiant des mantras et chantant « Paix en Amérique, paix au Vietnam », Ferlinghetti et McClure étaient là. Moi aussi, parmi les 30 000 spectateurs, je me disais « Ils ont plus de talent que moi ».

Ce sont des chamanes. J'ai compris ce jour-là que San Francisco était en quête de quelque chose. Quelque chose qui avait à voir avec la poésie. C'était le début du Summer of Love de l'été 67. Jim me dit « Hey, à partir de maintenant, je leur dirai des textes pendant le concert. » Parfois, il pouvait parler d'une fille dans le public qu'il trouvait belle. Là, ça a été différent. C'était la célébration du lézard. Stage 1 À gauche, Raymond Zarek, assis devant son orgue Vox Continental Combo.

John Densmore, à la batterie au centre. Robbie Krieger et sa Gibson rouge à droite. Chemise imprimée. De chaque côté du plateau, trois caissons d'enceintes à motif géométrique. À peu près de la taille de Morrison qui entre en scène. Chemise blanche, pantalon de cuir, bottes noires, ceinture à cequin métallique. Arraché à l'armure d'un Achille guerrier. La tragédie grecque. Jim, cheveux bouclés sur les épaules. Visage à la botticelle, ils disent les filles. Nous sommes les Tours.

Lions in the street and roaming, lions dans la rue et chiens errants, en chaleur, enragés, écumants, une bête encagée au cœur d'une ville, le corps de sa mère pourrissant dans le sol de l'été. Il s'enfuit de la cité, il descendit dans le sud et passe à la frontière, laissant le chaos et le désordre.

loin derrière son épaule. Un matin, il s'éveilla dans un hôtel vert avec une étrange créature qui grognait à ses côtés. La sueur perlait sur sa peau luisante. La démarche chaloupée, le visage calme quand il commence le poème dans la faible lumière, la tête un peu inclinée sur l'épaule. Dans la pénombre, la forme est sacrifiée à la lumière. Je serai rockstar et chaman. Sur l'orque de Ray,

Brille le point incandescent d'un bâton dansant. Premier temps de la cérémonie. Laisse-toi guider. Tu as peur ? Trop envie ? Jim Morrison parle, le visage collé au micro. Je ne te demande ni paranoïa, ni insouciance.

Une main couvre son oreille. Juste de faire un voyage délicat et sensuel dans la violence du présent. Jambes droites en avant, genoux pliés, le pied appuyé sur le support du micro. Presque à mi-voix. Suis-moi. Et soudain... Il me parle souvent de la tragédie grecque.

Ray. Un jour, pendant les moissons, un danseur a imité un dieu. C'était pour protéger la récolte. Le rock pareil. Dans le froid, les contraintes hostiles à la vie se rassemblaient. Passaient de l'autre côté de ce paysage maudit. Toujours cette façon de reprendre appui, bottes posées sur le pied du micro, les yeux fermés. Je cherche votre confiance. L'étrange confiance. Viens.

Dans la célébration du lézard, il y a des textes de Jim très anciens, comme « Le corps du président mort dans la voiture », « C'est Kennedy », « Abattu à Dallas en 1963 » ou « Go insane », le petit jeu du « Devenir fou ».

Je joue. Jouer n'est pas un jeu. Comme le sexe, ce n'est pas l'orgasme. À l'orgue, j'avais pensé à cette unique note répétée. Un sortilège. Quand jouer meurt, ça devient un jeu. Quand le sexe meurt, ça devient l'orgasme. Tout jeu contient l'idée de mort. Stage 2. Deuxième temps de la cérémonie. Run with me.

Les indiens disent qu'il faut accomplir le voyage pour faire tenir le monde ensemble. Nous quittons la ville, nous prenons la fuite et tu es celle que je veux avec moi. Je lui ai parlé des chamans de Sibérie. Il a dit, Ray, ça me plaît.

Ne pas toucher le sol, ne pas voir le soleil, plus rien d'autre à faire que de fuir, fuir, fuir. Fuyons. Une maison sur la colline, la lune repose tranquille, les ombres des arbres témoignent de la brise sauvage. Viens, fuis avec moi. Fuyons. Fuis avec moi. John à la batterie.

Un battement de métronome. C'est l'engoutement de la musique. C'est elle qui me donne une espèce de confiance pour les prendre. Pour eux, je suis l'indésirable si désirable. Et froid, et plaisir, sublimé par le cuir, gloria et terreur. Une cible et une idole. Toutes les angoisses de la foule, sa jouissance. J'ai ce pouvoir-là. Je suis le connecteur du plaisir et de l'angoisse. Je suis le labyrinthe. J'ai ce pouvoir-là.

Je donne forme à tout ça, avec des mots. Un journaliste lui a posé la question. Savoir s'il était un sexe symbolique. Qui m'a répondu ? Je ne vois pas que le sexe soit tellement symbolique. Mais il veut bien du rôle. Il veut bien être ce corps par lequel passent toutes les angoisses de la foule. Seulement le corps, c'est l'intérieur. Oui, je suis vrai. Ma viande est vraie. La peau de mon visage ? Ma langue épée, flamboyante, projetant des lucioles verbales, est vraie ? Ray l'a dit. Le corps...

Mais pas la maison, c'est l'intérieur de la maison. Parfois il crie. Nous on ne s'arrête pas de jouer. Parfois il part dans un murmure, il supplie. Le spectateur est un animal mourant. Il n'y a pas à être compatissant, il faut être celui qui sait. Nous, le groupe, nous sommes là juste à espérer que les grillages entre sa pensée et la scène vont tenir. Robbie à la guitare au bruit. John au cymbale. La voix impatiente de Jim Morrison. Il glisse le long du micro, visage calme.

J'accomplis des rituels de moi seul connu. Ils attirent la foule parce que je suis sa dernière chance. Un soir de 67, après un concert à la State University de New York, à Long Island, on était en coulisses. Il me dit « Ray, c'est à nous de les tenir. Il faut prendre le temps d'aller les chercher. Tu vois, la permutation doit s'effectuer entre eux et nous. La poésie entrer en elle et la foule devenir l'acteur. »

comme s'ils pouvaient triper à leur place. Et ce qu'il cherche, c'est que chacun décide ce qui lui arrive. Un soir, il a désigné un spectateur. Et il a dit... Personne ne peut rien pour toi. Quelques hors-la-loi vivaient au bord du lac. La fille du pasteur est amoureuse du serpent qui vit dans un puits au bord de la route. Réveille-toi, petite fille. Nous sommes presque arrivés. Soleil, soleil, soleil.

Brûle, lune, lune, bientôt. Stage 3 Jim Morrison a fermé les yeux. Troisième temps de la cérémonie, la communion électrique. Plus besoin de les regarder, ils suivent. Ils voient une succession désespérée de portes, des formules. Jim passe en premier, c'est un guerrier. Nous, le groupe, juste après. Pour le chaman, toute guerre a un objectif spirituel. Comme à San Francisco.

Quand je pensais à une sorte de communion électrique, j'ai dit à Ray, une foule, c'est mathématique. Nous quatre, pouvons suffire à retourner une foule. Nous pouvons la soigner. Nous pouvons la changer en émeute. Nous pouvons lui faire l'amour. Le 14 décembre 68, un soir où l'on est de retour à Los Angeles, quelqu'un lance des pétards allumés sur la scène. Jim me regarde puis s'avance devant 10 000 spectateurs. J'entends encore sa voix dans les 32 amplis. Pourquoi vous êtes venu ce soir ?

On peut jouer toute la nuit, mais ce n'est pas vraiment ce que tu es, non ? Tu veux autre chose ? Quelque chose de plus ? Plus grandiose que ce que tu as jamais vu, non ? Extase ? Soudain, il enlève le micro du pied, fixe le public et glisse sur le sol sans un bruit, coude replié sur les genoux, la tête entre les mains. Il reste comme ça, par terre, sans bouger. Il m'avait dit... Ouais, c'est comme dans une fresque. Il y a du mouvement et puis ça se fiche. J'aime bien voir le temps qu'ils peuvent le supporter et juste quand ils vont craquer...

Je les relâche. Je sais le moment exact où il faut le faire. Quand ils se mettent à avoir peur. C'est très excitant la peur. Comme l'instant juste avant l'orgasme. La foule se soulève. Quelques éclats de voix. Personne n'ose trop crier. Une fille, la voix cassée, crie « I love you ». Le poète est législateur. Il fait la loi. Ce sont les techniques de l'extase, les manœuvres politiques de l'extase qui changent la nuit en jour. Mêle le soleil avec la mer.

La transpiration coule de ses cheveux jusque sur le cuir de son pantalon. Lentement, il relève les yeux. Il paraît si vulnérable. Et soudain, il est debout. Il s'est transformé. Chemise blanche, pantalon de cuir, bottes noires, ceinture à sequins métalliques. La foule croit voir le roi lézard. Nous sommes descendus le long des rivières et des routes. Nous sommes descendus des forêts et des cascades. Nous sommes descendus de Carson et de Springfield.

Nous sommes descendus de phénix asservis et je peux vous dire les noms du royaume. Je peux vous dire les choses qu'on sait en écoutant une poignée de silence en escaladant les vallées dans l'ombre.

Nous sommes venus de Carson et de Springfield Nous sommes venus de Phoenix et de Thrall Et je peux vous dire les noms du royaume

Debout appuyé au micro, les jambes croisées un peu déhanchées. Le voilà roi lézard qui chante sa chanson de marin. Son bateau ivre descend les fleuves impassibles de son royaume jusqu'à la mer. La belle apparence et la dissonance de la créature royale.

infiniment triste et beau. Pour sept ans, j'ai dormi dans le palais de l'exil, jouant de jeux étranges avec les filles de l'île. Maintenant, je suis revenu à la terre du bonheur, du fort et du sage. Frères et sœurs de la forêt bleue, enfants de la nuit,

Pour lui, un concert c'était une question de vie ou de mort.

Si je vous dis Brian Jones, Janis Joplin ou Jimi Hendrix, vous comprenez ? Un jour, un peu avant les balances, un prêtre est venu nous parler. Tu sais ce qu'il m'a dit, Ray ? Un concert rock, d'après lui, c'est de l'énergie mystique. En 68, Jim a méthodiquement testé sur scène chaque passage de la Célébration du Lézard. A cette époque, il passe parfois la nuit au Bar Nisbinri, un bar à côté de notre bureau. Un jour, je suis arrivé au petit matin. Il dansait avec des filles.

Je lui dis partons d'ici. Dehors le soleil est éblouissant. Nous allons au studio. Il commence à parler d'enregistrer la célébration du lézard. Le producteur n'en veut pas. Il dit à Jim, demain amène ton carnet. Ça veut dire qu'il veut chercher un autre texte. Jim ne dit rien. La célébration n'est pas dans l'album. Au cimetière du père Lachaise, division 6, j'ai dit les derniers vers de la célébration. Voici qu'arrive la nuit avec sa légion pourpre. Retirez-vous maintenant dans votre tente et dans vos rêves.

Demain, nous entrerons dans la ville où j'ai vu le jour. Je veux être... Jim Morrison, « Indoors, Outdoors ».

De Christine Spianti. Deuxième épisode. Avec Sarah-Jane Sauvegrin et Laurent Lederer, les narrateurs, Olivier Martineau, Jim Morrison, Clotilde Morgiev, Pamela Courson, Slimane Yefsa, Raymond Zarek, et la voix d'Élodie Hubert, conseillère littéraire, Emmanuelle Chevrière,

Prise de son, montage et mixage, Bastien Varigo et Philippe Bredin. Assistante à la réalisation, Louise Loubrieux. Réalisation, Laure Igoroff. Tous les textes de Jim Morrison sont parus chez Christian Bourgois, éditeur, dans des traductions de Yves Buin, Richel Dassin, Hervé Muller, Sabine Prudent, Werner Rehman, Patricia Devaux.

...