France Culture
Feuilleton en 5 épisodes de Christine Spianti Climat 5 Fileur éternelle des immobilités bleues Je regrette l'Europe aux anciens parapets Préludes Dans l'avion je me dis, pour le procès, je vais acheter un costume, un modèle bleu foncé Et enregistrer une série de poèmes aussi Le juge verra que je ne suis pas qu'une star du rock
Que j'apporte ma contribution à la société en tant que poète. Puisque la tournée a été annulée, j'ai réalisé au printemps 69 ce film qui raconte l'histoire d'un autostoppeur qui se baigne sous la cascade puis fait du stop sur la route au milieu du désert. Le premier conducteur qui s'arrête, il le tue. Ça s'appelle Highway, une pastorale américaine. « Don't overblow Jim, you got a long way to go. »
On a enregistré l'album Morrison Hotel qui sortira en février 70. En studio, l'obsession de la technologie m'a déprimé. J'imaginais à l'avenir un artiste seul, entouré d'appareils électroniques. J'ai demandé si quelqu'un dans le studio connaissait une île déserte. J'ai fini le montage du film documentaire sur les doses, Feast of Friends. Au journaliste, je dis qu'il faudrait remplacer les dirigeants.
arrêter de déléguer le pouvoir et changer les lois, que l'idéal démocratique a toujours un sens, qu'il faut le sauver, qu'il est déplorable de vivre une petite vie tranquille lorsque tant d'injustices sont commises, que c'est ça la tragédie. J'ai appris que Felix Venable, le vieux copain de 65 à Vénice, était mort. Ray ne l'aimait pas beaucoup. Vu deux ou trois choses que je sais d'elle, de Godard, au cinéma Thalia à Manhattan. Enfin,
Earth, air, fire, water...
La vraie poésie ne veut rien dire. Elle ne fait que révéler les possibles. Elle ouvre toutes les portes à vous de franchir celle qui vous convient. C'est la raison pour laquelle je suis tellement attiré par la poésie. Elle est si éternelle. Tant qu'il y aura des hommes, ils pourront se souvenir des mots et de leurs combinaisons.
Seule la poésie et les chansons peuvent survivre à un holocauste. Lorenz Ferlinghetti, le vieux poète beat et libraire de San Francisco, parlait de la France comme de sa deuxième patrie. Il avait fait le débarquement en tant qu'officier de la marine américaine et surtout trois ans de thèse à la Sorbonne, Paris, où Allen Ginsberg a écrit Kadish, et Burroughs, le festin nu, où fuyaient les Américains qui ne voulaient pas partir au Vietnam.
Paris comme une langue perdue qu'on n'aurait jamais parlé. Je n'ai pas oublié les illuminations de Rimbaud. Je suis dans l'avion d'Air France, le 26 juin 1970. C'est le Paris de 1970. Le Paris de Duras et de Godard ou Philippe Garrel à 20 ans. C'est encore le Paris de mai. Il pleut, je cherche abri sous un kiosque. Les journaux titrent sur les éboueurs parisiens qui reprennent le travail après 11 jours de grève. Les femmes admises à Polytechnique.
Sartre interpellé, distribuant la cause du peuple. Trois astronautes souriants et un drapeau américain, retour sur Apollo 13, qui a navigué 5 jours, 22 heures et 5 minutes en perdition dans l'univers. Trois étudiants noirs tués à Jackson, Mississippi, au cours d'une manifestation contre la guerre du Vietnam. L'arrestation à New York d'Angela Davis, Black Panther et communiste. Aujourd'hui, je sens que ma carte de crédit ne fonctionne pas. Ils me prennent pour un poète bite, il me vient. Tu m'as dit, Pamela, l'amour permet d'être soi-même.
Tu dis que tu espères qu'on se souviendra de toi comme poète. Moi, je t'aime et je veux que tu sois celui que tu as toujours été. Dans le miroir, un monstre est apparu pour narguer cette chambre et son idiot, tout seul. Donne-moi des chansons à chanter, des rêves d'émeraude à rêver et je te donnerai un amour sans voile. À l'hôtel, Jim Morrison installe le bureau où il écrit devant la grande fenêtre de la chambre.
Au fur et à mesure de la journée, il déplace le bureau pour rester dans le soleil. Je n'arrête pas d'écrire. Jim n'arrête pas d'écrire. Il fait le point. Tant de choses déjà oubliées. Tant de choses oubliées. Tant de choses à oublier. Une fois l'idée de pureté née, tout était perdu, irrévocablement. On a acheté une caméra Aniso Super 8. Je filme le champ de Mars, les toits vus de la tour Eiffel, la Seine au loin. Et Jim écrit Paris Journal.
Les forêts cierges de Notre-Dame, des nonnes mendiantes aux sourires mouvants, petits sacs de velours aux yeux cataleptiques, vagabondant vers les vitraux, calendriers de mosaïques éclatants. J'écris ainsi, te capturer, donne-moi ton amour, tes yeux, lases et affligés, qui aspirent à la délivrance. Un petit parc caché, nous nous baladons, et les affiches crient,
Une révolte inoffensive, les murs fatigués s'effritent, graffiti dans le ciment desséché, un vide suralimenté, poussière, horloge. Du blues, ramassé entre Notre-Dame et la place des Vosges. Le soir, on se retrouve entre américains au Bussy Bar, ou alors au Rock'n'Roll Circus, avec ses piliers de comptoir qui peuvent rester là une semaine sans sortir. Un déserteur du Vietnam fait le DJ, on voit beaucoup Agnès aussi.
Agnès Varda est venue en 68 tourner son film « Lion's Love » à Los Angeles. Sur le tournage, Jim Morrison lui a été présenté par Alain Ronay, qu'il connaît de l'Université de Californie. Elle a aussi fait des images des Black Panthers. Agnès me raconte les cahiers du cinéma et l'histoire d'Henri Langlois, le fondateur de la cinémathèque française qui a gardé son poste après une rude bataille. Elle me parle de la projection ce soir à la cinémathèque du film de Godard, « Lutte en Italie », signé par le groupe Ziga Vertov, « J'y vais ».
Sur la photo, Truffaut dans le hall de la cinémathèque. Sa cigarette, un foulard clair, son blouson de cuir. À l'arrière-plan, Morrison, de trois quarts d'eau. Quelques jours plus tard, Truffaut au château de Chambord. Il parle avec Catherine Deneuve sur le tournage de Podane de Jacques Demy. Jim Morrison est là aussi, assis sur l'herbe de la pelouse du château. Agnès le filme, il sourit. C'est la scène finale, le mariage du prince et de la princesse. Delphine Sérig, la fée des lilas, arrive en hélicoptère.
Final track : Far Arden Je suis retourné à Los Angeles l'hiver 1970
pour enregistrer Elle est woman. Je suis allé au cinéma voir THX 1138 de George Lucas et revoir Une femme est une femme. J'ai dit au patron d'un label que les artistes allaient gagner et non les capitalistes. J'ai dit salaud de capitaliste. À Venice Beach, un après-midi d'hiver, j'ai joué au foot avec des amis. Je leur ai dit que je repartais en France et quand l'un d'eux m'a demandé quand je comptais revenir, j'ai répondu jamais. Avec cette terre d'y être et de ne pas y être que j'ai toujours en groupe, il paraît.
J'avais serré mes amis dans mes bras avant de sortir de Santa Monica Pier. Je suis allé à Catalina Island assister au combat Ali Frazier à New York. J'ai joué au billard avec des bikers, aux Palms. Ça a mal tourné. J'ai bu pas mal. J'ai jeté ma carte d'abonnement au match de football américain de l'équipe des Rams, au Coliseum. J'ai pris le vol Air France pour Paris, le 12 mars 1971. Au drugstore Saint-Germain ?
Tu m'as dit en regardant les plis de ma jupe qu'un peintre devait regarder les draperies, les rues, au-delà de l'apparence, s'il voulait voir la chose réelle. Oh, écoute, c'est toi qui chantes. J'ai appelé Ray de Paris pour savoir comment marche l'album « Elle est woman ». Très bien. Je t'ai entraîné dans le photomaton. Sur la photo, tu es debout derrière moi, ton bras gauche passé autour de mon cou.
Ta main traversée d'une grosse veine, une bague à l'index. J'ai le bras levé. Il est légèrement flou parce que j'essaye d'attirer ton visage vers le mien pour qu'il soit dans le cadre. Je ris et toi tu as la tête coupée. Et bien voilà, je fréquentais une jolie blonde. Elle avait des rubans orange dans les cheveux. Elle était tout un trip. Et jamais vraiment là. Mais je l'aimais comme ça.
Sur notre fenêtre, la pluie tombait. La radio FM était déglinguée. Mais elle parlait bien, oui. Nous avons appris à bavarder. Et une année s'est écoulée. Une si longue, longue route pour y arriver. Par nos caprices, nous avons tout gâché. Nous avions tout ce que peuvent avoir des amants. Mais nous l'avons jeté au vent, et ça m'est égal. Eh bien, je suis fou.
Et je ne vaux rien. Et deux années se sont écoulées. Cette photo-là a été prise dans la cour, je crois. Rue Baudrillé. Jim est face à l'objectif. Chemise rouge, pull bleu sur les épaules, main dans les poches. Devant une fenêtre à montants et volet bleu pâle. Derrière la vitre, dans le coin inférieur gauche, apparaît le visage d'un enfant. On nous a prêté un appartement rue Baudrillé.
Sur la boîte aux lettres est écrit « James Douglas Morrison », troisième étage. « Jim est malade, tu es malade. Je vois bien que tu désespères de ton corps. Tu fais comme si de rien n'était et signes des autographes. Affectueusement, Arthur Rimbaud. Mais tu m'as dit que s'il t'arrive quelque chose, Agnès est la seule personne à Paris en qui je peux avoir confiance. »
Rubotreille, quelqu'un dans la cour écoutait cette chanson. J'ai 27 ans, moi. Tu as écrit « Mon Dieu, aidez-moi » sur toute la page. Qui sont nos amis ? Sont-ils maussades et mous ?
Ont-ils de grandes aspirations ou font-ils partie de la masse qui marche doutant de son inexorable regret ? Certainement, des choses arrivent et arrivent encore en une promesse continuelle. Chacun de nous a trouvé une niche sûre où il peut amasser des trésors et parler à ses semblables sur les prémices du désastre. Mais cela ne marchera pas.
Non, cela ne marchera jamais. Il y a des continents et des rivages qui implorent notre raison. Rarement nous sommes allés si lentement. Rarement nous sommes allés si loin. Mon seul désir est de revoir Far Arden. Tu voulais voir le jardin des délices de Jérôme Bosch à Madrid ?
Un tableau du XVe siècle sur lequel tu avais fait un mémoire en 1963 pour le cours d'histoire médiévale européenne que tu suivais à l'université de Floride. À l'époque, tu lisais Catch-22, les clochards célestes de Kerouac et de la sociologie, dans une vieille caravane Airstream aux toits de tôle goudronnés brûlants, garée à trois blocs de l'université. Tu ne pensais qu'à Elvis Presley. C'est ce que tu m'as raconté dans la berline Peugeot de location au printemps 1971 entre Paris et Madrid. Tu me disais de sourire. Souris, Pamela. Je souriais.
Réveille-toi, secoue les rêves de tes cheveux, ma jolie petite, ma douce. Choisis ton jour et élis son signe. La divinité du jour s'ouvre à toi.
Une vaste grève rayonnante sous la lumière fraîche de la lune. Les couples nus dévalent la plage dans sa quiétude. Et nous rions comme des enfants doux et sauvages, satisfaits de leur cerveau en doux coton de l'enfance. Musique et voix nous entourent, choisis, gémissent-ils, les anciens. Le temps est revenu. On a vu le jardin des délices à Madrid.
Le 3 mai 1971, on est de retour à Paris, rue Bautreilly. On a regardé les bouts de films que j'avais fait dans les jardins de la Lambra. On te voit assis près des lions de pierre sur la margelle d'une grande fontaine. Tu te lèves, tu te lèves, tu souris. Tu t'avances vers la caméra jusqu'à ce que dans l'objectif, il n'y ait plus que ton œil en gros plan. Si l'écrivain peut écrire et le fermier semer, alors tous les miracles coïncident, apparaissent et commencent à se réaliser.
si les enfants mangent, si l'heure de leurs pleurs était minuit. La terre a besoin d'eux, doux chiens sur la neige, blottis dans le printemps, quand le soleil fait le vin et que le sang danse dangereusement dans les veines ou la vigne. Je suis un homme de mots. Urgence d'en terminer avec le dehors, si seulement je... En l'absorbant.
Je mourrai avec joie. Je mourrai
Pamela, tu es là ? Tu disais que la plus grande joie, c'est de donner forme à la réalité. Un journaliste qui te demandait ce que tu allais faire, tu avais répondu écrire une chanson qui soit une pure expression de joie. Je veux faire une chanson ou un morceau de musique qui est juste une expression pure de joie. Comme...
En rentrant seul à Los Angeles, j'ai rangé tous tes poèmes dans une boîte que j'ai nommée 127 Fascination. Je l'ai écrit sur la boîte. Tu disais, il n'y a que les mots. En dehors des mots, il n'y a rien du tout. On le sait bien. Je vais te raconter une histoire de whisky et mystiques et hommes. Da da da !
Pourquoi je bois ? Pour pouvoir écrire de la poésie. Parfois lorsque tout est diffus et que toute l'édeur s'efface en un profond sommeil, il y a un éveil. Et tout ce qui demeure est vrai. Tandis que le corps est ravagé, l'esprit se fortifie. Pardonne-moi mon père.
Car je sais ce que je fais. Pardonne-moi, mon père, car je sais ce que je fais. Je veux entendre le dernier poème du dernier poète. Jim, tu laisses une chanson de marin. Tu laisses une trace de lèvres humides de whisky sur le filtre. Cigarette entre l'index et le majeur. Un stylo, fumée qui sort de ta bouche. Stylo, tu laisses des mots. Whisky, Mystic Sandman. First flash of me.
Savez-vous la pâleur et les frissons intudiques de la mort qui vient à une heure étrange, sans être annoncée, sans être escomptée, comme un invité effrayant et trop panical qu'on aurait pris dans son lit ? Jim Morrison, Indoors Outdoors, de Christine Spianti, cinquième et dernier épisode.
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Assistante à la réalisation Louise Loubrier. Réalisation Laurie Goroff. Tous les textes de Jim Morrison sont parus chez Christian Bourgois, éditeur, dans des traductions de Yves Bluin, Richelle Dassin, Hervé Miller, Sabine Prudent, Werner Rehman, Patricia Deveau.