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cover of episode "La Gloire de mon père" de Marcel Pagnol 1/5 : Les origines

"La Gloire de mon père" de Marcel Pagnol 1/5 : Les origines

2025/3/10
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Le Feuilleton

AI Deep Dive AI Chapters Transcript
People
H
Hervé Pierre
M
Marcel Pagnol
Topics
Hervé Pierre: 我作为旁白,开篇点明了主题:随着年龄增长,我们失去的是记忆的能力,而不是回忆本身。那些珍贵的回忆,反而变得更加清晰和触手可及。 Marcel Pagnol: 我讲述的并非我本人,而是我已逝去的童年。这段回忆录并非对我的评价,而是对那个已融入时代洪流、如同消失的麻雀般不留痕迹的童年自我的追溯。我出生在奥巴涅,父亲是石匠,家族可能源于西班牙,祖先曾是军械匠,后转行制作火药和烟花。我的曾祖父曾经历过一次惊险的烟花事故,最终导致他脸上留下了永久的伤疤。家族后来放弃了危险的火药生意,转而从事纸板制造,体现了一种独特的家族智慧。我的祖父是一位技艺精湛的石匠,他严厉却深爱着他的孩子们,他经常带全家去加尔桥野餐,并在那里研究桥梁结构,这深深地影响了他的后代。他虽然没有受过太多教育,但他坚信教育是最重要的,并为此倾尽全力让他的孩子们接受教育。我的父亲最终成为了一名公立学校的教师。

Deep Dive

Chapters
This short introductory chapter sets the stage for the memoir, highlighting the nature of memory and the focus on childhood experiences.
  • The chapter emphasizes the distinction between memory and souvenirs.
  • It introduces the memoir "La Gloire de mon père" and the narrator's perspective.

Shownotes Transcript

Translations:
中文

France Culture. Il y a une chose remarquable, quand on vieillit, on perd la mémoire. Mais ça ne veut pas dire qu'on perd les souvenirs. Au contraire, on perd la capacité d'acquérir de nouveaux souvenirs. Mais ceux qui sont inscrits, ils sont bien plus proches que jamais. La gloire de mon père, de Marcel Pagnol. Lu par Hervé Pierre.

Choix des extraits et réalisations, Juliette Eman. Dans ses souvenirs, je ne dirai de moi ni mal ni bien. Ce n'est pas de moi que je parle, mais de l'enfant que je ne suis plus. C'est un petit personnage que j'ai connu et qui s'est fondu dans l'air du temps, à la manière des moineaux qui disparaissent sans laisser de squelette. Premier épisode. Je suis né dans la ville d'Aubagne.

Sous le garlaban couronné de chèvres, au temps des derniers chevriers. Garlaban, c'est une énorme tour de roche bleue, plantée au bord du plan de l'Aigle. Cet immense plateau rocheux qui domine la verte vallée de l'Uvaune. Mon père était le cinquième enfant d'un tailleur de pierre de Valréas, près d'Orange. La famille y était établie depuis plusieurs siècles. D'où venait-il ? Sans doute d'Espagne. Car j'ai retrouvé dans les archives de la mairie des L'Espagnol, puis d'Espagnol.

De plus, ils étaient armuriers de père en fils et dans les eaux fumantes de Louvèze, ils trempaient des lames d'épée. Occupation comme chacun sait, noblement espagnole. Cependant, parce que la nécessité du courage a toujours été inversement proportionnelle à la distance qui sépare les combattants, les tromblons et les pistolets remplacèrent bientôt les espadons et les colichemardes. C'est alors que mes aïeux se firent artificier.

c'est-à-dire qu'ils fabriquèrent de la poudre, des cartouches et des fusées. L'un d'eux, un arrière-grand-oncle, jaillit un jour de sa boutique à travers une fenêtre fermée dans une apothéose d'étincelles, entouré de soleil tournoyant sur une gerbe de chandelles romaines. Il n'en mourut pas, mais sur sa joue gauche, la barbe ne repoussa plus. C'est pourquoi jusqu'à la fin de sa vie, on l'appela l'ourousti, c'est-à-dire le rôti.

C'est peut-être à cause de cet accident spectaculaire que la génération suivante décida, sans renoncer aux cartouches ni aux fusées, de ne plus les garnir de poudre et ils devinrent cartonniers, ceux qui sont encore aujourd'hui. Voilà un bel exemple de sagesse latine. Ils répudiaient d'abord l'acier, matière lourde, dure et tranchante, puis la poudre, qui ne supporte pas la cigarette, et ils consacrèrent leur activité au carton.

produit léger, obéissant, doux au toucher, et en tout cas non explosible. Cependant, mon grand-père, qui n'était pas monsieur l'aîné, n'hérita pas de la cartonnerie, et il devint, je ne sais pourquoi, tailleur de pierre. Il fit donc son tour de France, et finit par s'établir à Valréas, puis à Marseille. Son autorité sur ses enfants avait été redoutable, ses décisions sans appel. Mais ses petits-enfants tressaient sa barbe, ou lui enfonçaient dans les oreilles des haricots.

Il me parlait parfois très gravement de son métier, ou plutôt de son art, car il était maître appareilleur. Il n'estimait pas beaucoup les maçons. « Nous, nous montions des murs en pierre appareillée, c'est-à-dire qui s'emboîtent exactement les unes dans les autres, par des tenons et des mortaises, des embrèvements, des queues d'aronde, des traits de Jupiter. Bien sûr, nous coulions aussi du plomb dans les rainures pour empêcher le glissement, mais c'était incrusté dans les deux blocs et ça ne se voyait pas. »

Tandis que les maçons, ils prennent les pierres comme elles viennent et ils bouchent les trous avec des paquets de mortier. Un maçon, c'est un noyeur de pierres et il les cache parce qu'il n'a pas su les tailler. Dès qu'il avait un jour de liberté, c'est-à-dire cinq ou six fois par an, il emmenait toute la famille déjeuner sur l'herbe à cinquante mètres du pont du Gard. Pendant que ma grand-mère préparait le repas et que les enfants pataugeaient dans la rivière, ils montaient sur les tabliers du monument.

prenait des mesures, examinait des joints, relevait des coupes, caressait des pierres. Après le déjeuner, il s'asseyait dans l'herbe, devant la famille en arc de cercle, en face du chef-d'œuvre millénaire, et jusqu'au soir, il le regardait. C'est pourquoi, trente ans plus tard, ses fils et ses filles, au seul nom du pont du Gard, levaient les yeux au ciel et poussaient de longs gémissements. Cet homme habile n'avait reçu qu'une instruction sommaire. Il savait lire et signer, mais rien de plus.

Il en souffrit secrètement toute sa vie. Finit par croire que l'instruction était le souverain bien et il s'imagina que les gens les plus instruits étaient ceux qui enseignaient les autres. Il se saigna donc aux quatre veines pour établir ses six enfants dans l'enseignement et c'est ainsi que mon père, à vingt ans, sortit de l'école normale d'Aix-en-Provence et devint instituteur public.

Les écoles normales primaires étaient à cette époque de véritables séminaires, mais l'étude de la théologie y était remplacée par des cours d'anticléricalisme. On laissait entendre à ces jeunes gens que l'église n'avait jamais été rien d'autre qu'un instrument d'oppression et que le but et la tâche des prêtres, c'était de nouer sur les yeux du peuple le noir bandeau de l'ignorance, tout en lui chantant des fables infernales ou paradisiaques.

La mauvaise foi des curés était d'ailleurs prouvée par l'usage du latin, langue mystérieuse, et qui avait pour les fidèles ignorants la vertu perfide des formules magiques. La papauté était dignement représentée par les deux Borgias, et les rois n'étaient pas mieux traités que les papes. Ces tyrans libidineux ne s'occupaient guère que de leurs concubines quand ils ne jouaient pas au bilboquet. Pendant ce temps, leurs suppôts percevaient des impôts écrasants qui atteignaient jusqu'à dix pour cent des revenus de la nation.

C'est-à-dire que les cours d'histoire étaient élégamment truqués dans le sens de la vérité républicaine. Je n'en fais pas grief à la République. Tous les manuels d'histoire du monde n'ont jamais été que des livrets de propagande au service des gouvernements. Les normaliens frais et moulus étaient donc persuadés que la Grande Révolution avait été une époque idyllique, l'âge d'or de la générosité et de la fraternité poussée jusqu'à la tendresse. En somme, une explosion de bonté.

Je ne sais pas comment on avait pu leur exposer, sans attirer leur attention, que ces anges laïcs, après vingt mille assassinats suivis de vol, s'étaient entre guillotinés eux-mêmes. Cependant les études de ces normaliens ne se bornaient pas à l'anticléricalisme et à l'histoire laïcisée. Il y avait un troisième ennemi du peuple, et qui n'était point dans le passé, c'était l'alcool. De cette époque datent la Sommoire et ses tableaux effrayants qui tapissaient les murs des classes.

On y voyait des foies rougeâtres et si parfaitement méconnaissables à cause de leur boucle soufflure verte et de leur étranglement violacé qui leur donnait la forme d'un topinambour. Mais pour éclairer ce désastre, l'artiste avait peint au beau milieu du tableau le foie appétissant du bon citoyen, dont la masse harmonieuse et le rouge triomphal permettaient de mesurer la gravité des catastrophes circonscrites.

Les normaliens, poursuivis jusque dans les dortoirs par cet horrible viscère, sans parler d'un pancréas en forme de vis d'archimède et d'une aorte égayée de hernie, étaient peu à peu frappés de terreur et la seule vue d'un verre de vin leur donnait des frissons de dégoût. La terrasse des cafés, à l'heure de l'apéritif, leur paraissait une assemblée de candidats au suicide.

Il pensait que ces malheureux verraient bientôt des rares grimper au mur ou qu'ils rencontreraient des girafes sur le cours Mirabeau. Et l'on citait le cas d'un violoniste de grand talent réduit à jouer de la mandoline à cause d'un tremblement spasmodique dû au fait que sa moelle épinière trempait dans un bain de vermouth cassis.

Mais ce qu'ils haïssaient le plus farouchement, c'était les liqueurs dites digestives, les bénédictines et les chartreuses avec privilège du roi, qui réunissaient dans une trinité atroce l'église, l'alcool et la royauté. Au-delà de la lutte contre ces trois fléaux, le programme de leurs études était très vaste et admirablement conçu pour en faire les instructeurs du peuple, qu'ils pouvaient comprendre à merveille car ils étaient presque tous fils de paysans ou d'ouvriers.

Ils recevaient une culture générale sans doute plus large que profonde, mais qui était une grande nouveauté, et comme ils avaient toujours vu leur père travailler douze heures par jour dans le champ, dans la barque ou sur l'échafaudage, ils se félicitaient de leur heureux destin parce qu'ils pouvaient sortir le dimanche, et qu'ils avaient trois fois par an des vacances qui les ramenaient à la maison.

Alors le père et le grand-père, et parfois même les voisins, qui n'avaient jamais étudié qu'avec leurs mains, venaient leur poser des questions et leur soumettre de petites abstractions dont jamais personne au village n'avait pu trouver la clé. Ils répondaient, les anciens écoutaient, gravement, en hochant la tête. C'est pourquoi pendant trois années, ils dévoraient la science comme une nourriture précieuse dont leurs aïeux avaient été privés.

À la fin de ses études, il fallait affronter le brevet supérieur, dont les résultats prouvaient que la promotion était parvenue à maturité. Alors, par une sorte de déhiscence, la bonne graine était projetée aux quatre coins du département pour y lutter contre l'ignorance, glorifier la République et garder le chapeau sur la tête au passage des processions.

Après quelques années d'apostolat laïque dans la neige des hameaux perdus, le jeune instituteur glissait à mi-pente jusqu'au village, où il épousait au passage l'institutrice ou la postière. Puis il traversait plusieurs de ces bourgades dont les rues sont encore en pente, et chacune de ces haltes était marquée par la naissance d'un enfant.

Au troisième ou au quatrième, il arrivait dans les sous-préfectures de la plaine, après quoi il faisait enfin son entrée au chef-lieu, dans une peau devenue trop grande, sous la couronne de ses cheveux blancs. Il enseignait alors dans une école à huit ou dix classes et dirigeait le cours supérieur, parfois le cours complémentaire. On fêtait un jour solennellement ses palmes académiques. Trois ans plus tard, il prenait sa retraite, c'est-à-dire que le règlement la lui imposait. Alors, souriant de plaisir, il disait...

« Je vais enfin pouvoir planter mes choux. » Sur quoi il se couchait, et il mourait. C'est parce que mon père était sorti lui aussi dans un bon rang, que la déhissance de la promotion ne l'avait pas projeté trop loin de Marseille, et qu'il était tombé à Aubagne. C'était une bourgave de dix mille habitants, nichée sur les coteaux de la vallée de Luvaune, et traversée par la route poudreuse qui allait de Marseille à Toulon.

Mon père, qui s'appelait Joseph, était alors un jeune homme brun, de taille médiocre sans être petit. Il avait un nez assez important, mais parfaitement droit et fort heureusement raccourci au debout par sa moustache et ses lunettes, dont les vers ovales étaient cerclés d'un mince fil d'acier. Sa voix était grave et plaisante, et ses cheveux, d'un noir bleuté, ondulaient naturellement les jours de pluie.

Il rencontra un dimanche une petite couturière brune qui s'appelait Augustine et il la trouva si jolie qu'il l'épousa aussitôt. Je n'ai jamais su comment ils s'étaient connus, car on ne parlait pas de ces choses-là à la maison. D'autre part, je n'aurais jamais rien demandé à ce sujet, car je n'imaginais ni leur jeunesse, ni leur enfance. Ils étaient mon père et ma mère, de toute éternité et pour toujours. L'âge de mon père, c'était 25 ans de plus que moi, et ça n'a jamais changé.

L'âge d'Augustine, c'était le mien parce que ma mère, c'était moi. Et je pensais dans mon enfance que nous étions nés le même jour. De sa vie précédente, je sais seulement qu'elle fut éblouie par la rencontre de ce jeune homme à l'air sérieux, qui tirait si bien au boule et qui gagnait infailliblement 54 francs par mois. Elle renonça donc à coudre pour les autres et s'installa dans un appartement d'autant plus agréable qu'il touchait à l'école et qu'on n'en payait pas le loyer.

Dans les mois qui précédèrent ma naissance, comme elle n'avait que 19 ans et elle les eut toute sa vie, elle conçut de graves inquiétudes et déclara en sanglotant que son bébé ne naîtrait jamais parce qu'elle sentait bien qu'elle ne savait pas le faire. Mon père essaya de la raisonner, mais alors elle disait furieuse « Quand je pense que c'est toi qui m'as fait ça ! » et elle fondait en larmes. Quand le survenant se mit à bouger, elle eut des accès de fourrir entre deux crises de sanglots.

Effrayé par ce comportement déraisonnable, mon père appela au secours sa sœur aînée. C'était elle qui l'avait élevée. Elle était naturellement directrice d'école à la Ciota, et célibataire. La grande sœur fut tout à fait ravie, et décida qu'il fallait sur le champ installer ma mère chez elle, sur le bord de la mer Latine, ce qui fut fait le soir même. On m'a dit que Joseph en fut charmé, et qu'il profita de sa liberté pour compter Fleurette à la boulangère, dont il mit en ordre la comptabilité.

Voilà une idée déplaisante et que je n'ai jamais acceptée. Pendant ce temps, la future maman se promenait le long des plages, sous le tendre soleil de janvier, en regardant au loin les voiles des pêcheurs qui partaient à trois heures vers le soleil couchant. Puis, près du feu où sifflotait la flamme bleue des souches d'olivier, elle tricotait le trousseau de sa bondissante progéniture, tandis que la tante Marie ourlait des langes en chantant d'une jolie voix claire.

Sur le brique léger que le flot balance, quand la nuit étend son grand voile noir, elle était maintenant rassurée. D'autant que son cher Joseph venait tous les samedis sur la bicyclette du boulanger. Il apportait des croquants aux amandes, des tartes à la frangipane et un sachet de farine blanche pour faire des crêpes ou des beignets. Ce qui prouve bien que la boulangère n'avait pas à se plaindre de lui. Ses gâteries, ce long repos et l'air salubre de la douce Méditerranée transformèrent la jeune Augustine.

Elle avait pris de belles couleurs et il paraît qu'elle chantait tous les matins dès son réveil. Tout s'annonçait donc le mieux du monde, lorsqu'au petit matin du 28 février, elle fut réveillée par quelques douleurs. Elle appela aussitôt la tante Marie qui décréta que ce n'était rien, puisque le docteur avait annoncé la naissance d'une fille pour la fin du mois de mars. Puis elle ralluma le feu pour mettre en route une tisane, mais la patiente affirma que les docteurs n'y comprenaient rien et qu'elle voulait retourner tout de suite à Aubagne.

« Il faut que l'enfant naisse à la maison, il faut que Joseph me tienne la main. Marie, Marie, partons vite, je suis sûr qu'il veut sortir. » La douce Marie essaya de la calmer avec du tilleul et des paroles. La passoire à la main, elle déclara que si l'événement se confirmait, elle irait en informer le poissonnier qui descendait chaque jour à Aubagne vers les huit heures, et que Joseph viendrait aussi vite que le vent sur la machine à pédales. Mais Augustine repoussa la tasse à fleurs et se tordit les mains en pleurant à grosses larmes.

Alors la tante Marie alla frapper au volet d'un voisin qui possédait un boguet et un petit cheval. C'était une époque bénie où les gens se rendaient service, il n'y avait qu'à demander. Le voisin acclaça son cheval. La tante enveloppa Augustine dans des châles et nous voilà partis au petit trot, tandis que sur la traite des collines, la moitié d'un grand soleil rouge nous regardait à travers les pins. Mais en arrivant à la baie d'Oul, qui est tout juste à mi-chemin, les douleurs recommencèrent et la tante à son tour s'affola.

Elle serrait dans ses bras ma mère en mitouflet et lui donnait des conseils. « Augustine, disait-elle, retiens-toi. » Mais Augustine, toute pâle, ouvrait des yeux noirs énormes et transpirait en gémissant. Heureusement, nous avions franchi le col et la route descendait sur Aubagne. Le voisin desserra son frein, qu'on appelait la mécanique, et fouetta le petit cheval qui n'eut qu'à se laisser emporter par le poids de l'équipage. Nous arrivâmes tout juste à temps.

Et Mme Negrel, la sage-femme, vint en hâte délivrer ma mère, qui avait enfin planté ses ongles dans le bras puissant de Joseph. Mes souvenirs d'Aubagne sont peu nombreux, parce que je n'y ai vécu que trois ans. Je vois d'abord une très haute fontaine, sous les platanes du cours, juste devant notre maison. Je vois ensuite un plafond qui tombe sur moi à une vitesse vertigineuse, pendant que ma mère horrifiée criait « Henri, tu es idiot ! Henri, je te défends ! »

c'est que mon oncle Henri, le frère de ma mère, me lance en l'air et me rattrape au vol. Je hurle d'angoisse, mais quand ma mère m'a repris dans ses bras, je crie « Encore, encore ! » Mon oncle Henri avait 30 ans, une jolie barbe brune, et il était mécanicien de machines à vapeur. Il travaillait à leur construction dans les ateliers des forges et chantiers, comme avait fait son père, ce grand-père maternel que je n'ai jamais connu. Celui-là était né à Coutances, vers 1845, et il s'appelait Guillaume Lançot.

normand de pure race, il était venu à Marseille en faisant son tour de France. Ma grand-mère marseillaise lui plut, il y resta. A 24 ans, il avait déjà trois enfants, dont ma mère était la petite dernière. Comme il savait bien son métier et que la mère ne lui faisait pas peur, on l'envoya un jour à Rio de Janeiro pour dépanner un navire à vapeur dont la machine ne voulait plus repartir. Il arriva dans ce pays encore sauvage, sans vaccin d'aucune sorte. Il vit des gens qui mouraient de la fièvre jaune et tout bêtement,

Il fit comme eux. Ses enfants n'avaient pas eu le temps de le connaître, et ma grand-mère, qui ne fut sa femme que pendant quatre années, n'a pas pu nous dire grand-chose, sinon qu'il était très grand, qu'il avait des yeux bleus de mer, des dents très blanches, qu'il était d'un blond tirant sur le roux, et qu'il riait d'un rien, comme les enfants. Je n'ai même pas sa photographie. Parfois le soir, à la campagne, au coin du feu, je l'appelle, mais il ne vient pas. Il doit être encore dans les Amériques.

Alors tout seul, en regardant danser les flammes, je pense à mon grand-père de 24 ans, qui mourut sans lunettes, avec toutes ses dents, sous une épaisse chevelure dorée, et je m'étonne d'être le si vieux petit-fils d'un grand jeune homme de Coutances. Un autre souvenir d'Aubagne, c'est la partie de boule sous les platanes du cours. Mon père, parmi d'autres géants, faisait des bons prodigieux et lançait une masse de fer à des distances inimaginables.

Parfois, il y avait de grands applaudissements. Puis les géants finissaient toujours par se disputer à cause d'une ficelle qu'ils s'arrachaient des mains. Mais ils ne se battaient jamais. D'Aubagne, nous passâmes à Saint-Loup, qui était un gros village dans la banlieue de Marseille. En face de l'école, il y avait l'abattoir municipal. Ce n'était qu'une sorte de hangar où deux bouchées immenses opéraient toutes portes ouvertes. Pendant que ma mère faisait son petit ménage...

Je grimpais sur une chaise, devant la fenêtre de la salle à manger, et je regardais l'assassinat des bœufs et des porcs avec le plus vif intérêt. Je crois que l'homme est naturellement cruel. Les enfants et les sauvages en font la preuve chaque jour. Lorsque le malheureux bœuf recevait le coup de Merlin entre ses cornes et tombait sur les genoux, j'admirais simplement la force du boucher et la victoire de l'homme sur la bête. La mise à mort des porcs me faisait rire aux larmes parce qu'on les tirait par les oreilles et qu'ils poussaient des cris stridents.

Mais le spectacle le plus intéressant, c'était l'assassinat du mouton. Le boucher lui tranchait élégamment le gosier, tout en continuant une conversation avec son assistant et sans accorder la moindre attention à ce qu'il faisait. Quand il en avait égorgé trois ou quatre, il plaçait les cadavres, les pattes en l'air, sur des sortes de berceaux. Puis, avec un soufflet, il les gonflait prodigieusement pour décoller la peau de la chair.

Je croyais qu'il essayait d'en faire des ballons et j'espérais les voir s'envoler, mais ma mère, qui survenait toujours au meilleur moment, me faisait descendre de mon observatoire et tout en coupant des cubes de viande pour le pot-au-feu familial, elle me tenait des propos incompréhensibles sur la douceur du pauvre bœuf, la gentillesse du petit mouton frisé et la méchanceté de ce boucher. Lorsqu'elle allait au marché,

Elle me laissait au passage dans la classe de mon père, qui apprenait à lire à des gamins de 6 ou 7 ans. Je restais assis, bien sage, au premier rang, et j'admirais la toute-puissance paternelle. Il tenait à la main une baguette de bambou. Elle lui servait à montrer les lettres et les mots qu'il écrivait au tableau noir, et quelquefois à frapper sur les doigts d'un cancrine attentif. Un beau matin, ma mère me déposa à ma place, et sortit sans mot dire, pendant qu'il écrivait magnifiquement sur le tableau,

La maman a puni son petit garçon qui n'était pas sage. Tandis qu'il arrondissait un admirable point final, je criais « Non, ce n'est pas vrai ! » Mon père se retourna soudain, me regarda stupéfait et s'écria « Qu'est-ce que tu dis ? » « Maman ne m'a pas puni. Tu n'as pas bien écrit. » Il s'avança vers moi. « Qui t'a dit qu'on t'avait puni ? » « C'est écrit. » La surprise lui coupa la parole un moment. « Voyons, voyons, dit-il enfin. Est-ce que tu sais lire ? »

« Voyons, voyons, » répétait-il. Il dirigea la pointe du bambou vers le tableau noir. « Eh bien, lis ! » Je lus la phrase à haute voix. Alors il alla prendre un abécédaire et je lus sans difficulté plusieurs pages. Je crois qu'il eut ce jour-là la plus grande joie, la plus grande fierté de sa vie. Lorsque ma mère survint, elle me trouva au milieu des quatre instituteurs qui avaient renvoyé leurs élèves dans la cour de récréation et qui m'entendaient déchiffrer lentement l'histoire du petit pousset.

Mais au lieu d'admirer cet exploit, elle pâlit, déposa ses paquets par terre, referma le livre et m'emporta dans ses bras en disant « Mon Dieu, mon Dieu ! » Sur la porte de la classe, il y avait la concierge qui était une vieille femme corse. Elle faisait des signes de croix. J'ai su plus tard que c'était elle qui était allée chercher ma mère en l'assurant que ces messieurs allaient me faire éclater le cerveau. À table, mon père affirma qu'il s'agissait de superstitions ridicules.

que je n'avais fourni aucun effort, que j'avais appris à lire comme un perroquet apprend à parler, et qu'il ne s'en était même pas aperçu. Ma mère ne fut pas convaincue, et de temps à autre elle posait sa main fraîche sur mon front et me demandait « Tu n'as pas mal à la tête ? » Non, je n'avais pas mal à la tête, mais jusqu'à l'âge de six ans, il ne me fut plus permis d'entrer dans une classe, ni d'ouvrir un livre, par crainte d'une explosion cérébrale.

Elle ne fut rassurée que deux ans plus tard, à la fin de mon premier trimestre scolaire, quand mon institutrice lui déclara que j'étais doué d'une mémoire surprenante.

mais que ma maturité d'esprit était celle d'un enfant au berceau. De Saint-Loup, mon père fit un bond de comète, car franchissant d'un seul coup les faubourgs, il fut nommé, à sa grande surprise, instituteur titulaire à l'école du chemin des Chartreux, la plus grande école communale de Marseille.

Il pouvait aller voir monsieur l'inspecteur d'académie sans la moindre convocation. Il était membre du jury du brevet élémentaire et même, parfois, du brevet supérieur. D'ailleurs, le concierge avait dit devant moi, à mon père charmé, que les douze instituteurs des Chartreux étaient l'élite des maîtres et qu'au bout de quatre ou cinq ans de service, ceux qui le désiraient étaient immédiatement nommés directeurs, et souvent à Marseille même.

Cette déclaration du concierge de l'école du chemin des Chartreux fut souvent citée dans la famille, et ma mère, qui en était toute glorieuse, la répéta devant Mme Mercier et Mlle Guimard, en ajoutant qu'après tout, ce concierge exagérait peut-être un peu, mais elle n'avait pas l'air de le croire. Elle était toujours pâle et frêle, mais heureuse entre son Joseph, ses deux garçons, et sa machine à coudre toute neuve. Cette prodigieuse invention moderne me permettait de l'aider dans ses travaux.

Agenouillé sous la petite table, devant sa robe, je faisais avec mes mains osciller la large pédale que j'arrêtais net au commandement. Mon frère Paul était un petit bonhomme de trois ans, la peau blanche, les joues rondes, avec de grands yeux d'un bleu très clair et les boucles dorées de notre grand-père inconnu. Il était pensif, ne pleurait jamais et jouait tout seul sous une table avec un bouchon ou un bigoudi, mais sa voracité était surprenante.

De temps à autre, il y avait un drame éclair. On le voyait tout à coup s'avancer, titubant, les bras écartés, la figure violette. Il était en train de mourir suffoqué. Ma mère affolée frappait dans son dos, enfonçait un doigt dans sa gorge ou le secouait en le tenant par les talons, comme fit jadis la mère d'Achille. Alors, dans un râle affreux, il expulsait une grosse olive noire, un noyau de pêche ou une longue lanière de lard.

Après quoi, il reprenait ses jeux solitaires, accroupi comme un gros crapaud. Joseph était devenu magnifique. Il avait un costume neuf bleu marine, digne de l'école des Chartreux. Ses lunettes, jadis cerclées de fer, brillaient maintenant dans une monture d'or, et leur vert s'était arrondi. Enfin, il portait une cravate d'artiste, une gance noire aux deux bouts pendants. Mais cette prétention était justifiée par le fait qu'il s'était associé à son collègue Arnault,

pour travailler le jeudi et le dimanche matin à la reproduction des cartes murales de géographie que les éditions Vidal-Lablache leur payaient jusqu'à 100 francs l'une. La gloire de mon père, de Marcel Pagnol. Extrait lu par Hervé Pierre. Premier épisode. Conseillère littéraire, Emmanuelle Chevrière. Prise de son, montage et mixage, Claire Levasseur, Antoine Viosa. Assistante à la réalisation, Claire Chéneau.

Réalisation Juliette Eman France Culture remercie l'Odé Colline édition de La Treille et les éditions Grassey et Fasquel.