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"La Mer" de Jules Michelet 2/5 : Le pouls de la mer

2025/4/13
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Le Feuilleton

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Les formes de la grande montagne émergée des eaux qu'on appelle proprement la Terre...

offre plusieurs dispositions assez symétriques sans pouvoir être ramenées encore à ce qui semblerait un système total. Ces parties sèches et élevées apparaissent plus ou moins selon ce que l'eau en découvre. C'est la mer comme limite qui trace en réalité la forme des continents. C'est par la mer qu'il convient de commencer toute géographie. La mer de Jules Michelet

Émission interprétée, réalisée et mixée en direct depuis le studio 119 de la Maison de la Radio et de la Musique, tous les soirs de la semaine du 14 avril 2025. Deuxième épisode, le pouls de la mer. Tandis que la Terre nous offre tel trait qui semble discordant, la mer au contraire présente une très grande harmonie, une correspondance exacte entre les deux hémisphères. C'est dans la partie fluide, qu'on croyait si capricieuse, qu'existe la régularité.

Ce que ce globe a de plus ordonné, de plus symétrique, c'est ce qui paraît le plus libre : le jeu de la circulation. L'ossature et les vertèbres du grand animal ont leur singularité dont nous ne pouvons encore bien nous rendre compte. Mais son mouvement vital qui fait les courants de la mer, qui de l'eau salée fait l'eau douce, convertie en vapeur pour retourner à l'eau salée,

Cet admirable mécanisme est aussi parfait que celui de la circulation sanguine dans les animaux les plus élevés. Rien qui ressemble davantage à la transformation constante de notre sang veineux et artériel. La face du globe paraît bien autrement compréhensible si l'on enclasse les régions non par chaînes de montagnes, mais par bassins maritimes. Dans l'immense vallée de la mer, sous la double montagne des deux continents, il n'y a, à proprement parler, que deux bassins.

le bassin de l'Atlantique et le grand bassin de la mer Indienne et Pacifique. Celui qui part d'Europe et veut traverser l'Atlantique, étant sorti heureusement de nos ports, trop souvent fermés par le vent d'Ouest, après avoir franchi la zone variable de nos changeantes mers, entre bientôt dans le beau temps, la sérénité éternelle que les vents de Nord-Est, les doux vents alisés mettent sur la mer et dans le ciel. Tout sourit, nulle inquiétude, mais en avançant vers la ligne,

La brise vivifiante cesse, l'air devient étouffant. On entre dans la zone des calmes qui domine sous l'équateur et sépare immuablement les alizés de notre hémisphère boréal et les alizés de l'hémisphère sud. De lourds nuages pèsent, de grandes pluies fondent à chaque instant. On s'attriste, on se plaint, mais sans ce rideau sombre, de quelle flèche de feu le soleil frapperait les têtes ébranlées sur le miroir de l'Atlantique ?

Sans les déluges qui assaillent l'autre face du globe, la mer indienne et la mer de corail, quelle serait leur fermentation au cratère de leur vieux volcan ? Cette masse noire de nuages, jadis la terreur, la barrière de la navigation, cette nuit subite étendue sur les eaux, c'est précisément le salut.

la facilité protectrice qui nous adoucit le passage et nous fait bientôt retrouver au sud le beau soleil et le ciel pur, la douceur des vents réguliers. Tout naturellement, la chaleur de la ligne élève l'eau en vapeur et forme cette bande sombre. L'observateur qui, d'une autre planète, regarderait la nôtre verrait planer sur elle un anneau de nuages à peu près comme on voit l'anneau de Saturne. S'il en cherchait l'usage, on pourrait lui répondre...

C'est le régulateur qui, absorbant et rendant tour à tour, équilibre l'évaporation, la précipitation des eaux, distribue les pluies, les rosées, modifie la chaleur de chaque contrée, échange les vapeurs des deux mondes, emprunte au monde austral de quoi faire les rivières, les fleuves de notre monde boréal. Solidarité merveilleuse, l'Amérique du Sud, dans ses grandes forêts, de leur respiration condensée en nuages,

abreuvent fraternellement les fleurs et les fruits de l'Europe. L'air qui nous renouvelle, c'est le tribut que sent-il d'Asie, que la puissante flore de Java ou de Ceylan exhala, confia aux grands messagers des nuages qui roulent avec la terre et lui versent la vie. Musique

Notre dernier point solitaire, la courbe infiniment compliquée qu'elle décrit, exprime les forces, les influences diverses qui agissent sur elle, témoins de ses rapports et de ses communications avec le grand peuple des cieux.

Ses relations hiérarchiques sont particulièrement visibles avec son chef, le soleil. Et la lune, qui pour être sa servante n'en a que plus de puissance sur elle. De même que les fleurs de la terre se tournent vers le soleil, la terre elle-même qui les porte le regarde, aspire vers lui. En ce qu'elle a de plus mobile, sa masse fluide, elle se soulève et fait signe qu'elle ressent son attraction. Elle déborde d'elle-même.

Elle monte selon qu'elle veut et vers les astres amis, deux fois par jour gonfle son sein, leur adresse au moins un soupir. La mer ne sent-elle pas l'attraction d'autres globes encore ? Ces marées ne sont-elles gouvernées que par la Lune et le Soleil ? Des astres moins dominants que le Soleil et la Lune ont sans doute aussi leur part d'action sur ce balancement des eaux de la Terre. La Terre ?

Par sa grande marée et par les marées partielles, parle aux planètes, ses sœurs. Répondent-elles ? On doit le penser. De leurs éléments fluides, elles doivent aussi se soulever, sensibles à l'élan de la Terre. L'attraction mutuelle doit créer, à travers les cieux, de sublimes dialogues. Malheureusement, l'oreille humaine en entend la moindre partie.

Autre point à considérer, ce n'est point au moment du passage de l'astre influent que la mer lui cède. Elle n'a pas l'empressement d'une obéissance servile, il lui faut du temps pour sentir et suivre les brôlements. Il faut qu'elle appelle à elle les eaux paresseuses, qu'elle vainque leurs forces d'inertie, qu'elle attire, entraîne les plus éloignés.

La rotation de la Terre si terriblement rapide déplace incessamment les points soumis à l'attraction. Mais sous ce mouvement extérieur, la mer en a d'autres au-dedans. Ceux des courants qui la traversent à telle ou telle profondeur, superposés à des étages différents, ou coulant latéralement en sens opposé, courant chaud contre courant froid, ils exécutent entre eux la circulation de la mer. L'échange des eaux douces et salées, la pulsation alternative qui en est le résultat,

Le chaud bat la ligne jusqu'au pôle. Le froid bat du pôle à l'équateur. Est-ce à dire que ces courants assez distincts et peu mêlés puissent se comparer strictement comme on l'a fait quelques fois aux vaisseaux, veines et artères des animaux supérieurs ? Non pas sans doute à la rigueur, mais ils ont quelques ressemblances avec la circulation.

Moins déterminée que les naturalistes ont trouvé récemment chez quelques êtres inférieurs. Mollusques, amnélydes, cette circulation lacunaire supplée prépare la vasculaire. Le sang s'épanche en courant avant de se faire des canaux précis. Telle est la mer, elle semble un grand animal arrêté à ce premier degré d'organisation. Qui a révélé les courants ? Ces fluctuations régulières de l'abîme ?

Où nous ne descendons jamais ? Qui nous a enseigné la géographie des eaux ténébreuses ? Ceux qui y vivent ou qui y flottent ? Des animaux ? Des végétaux ? Nous verrons comment la baleine, comment les atomes à coquilles, les foraminifères, comment les bois américains transportés jusqu'en Islande, ont concouru à révéler le fleuve d'eau chaude qui va des Antilles à l'Europe.

et le contre-courant froid qui vient le joindre à Terre-Neuve et passe à côté ou dessous, résolvant ces glaces en vastes brouillards. Une nuée rouge d'animalcules, transportée par une tempête de l'Orénoque à la France, a expliqué le grand courant aérien du Sud-Ouest qui rafraîchit notre Europe avec les pluies des Cordillères. Sans l'échange constant des eaux qui se fait par les courants dans les profondeurs de la mer, elles se combleraient par place de sels et de détritus.

Il en serait comme de la mer morte qui n'ayant ni écoulement ni mouvement voit ses bords chargés de sel, ses plantes incrustées de cristaux. A passer seulement sur elle, les vents se font brûlants, arides, portent la famine et la mort. Il se fait de temps en temps des commotions dans la mer qui semblent avoir pour but d'assurer les époques de ses travaux. Ces phénomènes peuvent être considérés comme l'espasme de la mer. De sa nature,

La mer est généralement régulière, soumise à de grands mouvements uniformes, périodiques. Les tempêtes sont des violences passagères que lui font les vents, les forces électriques ou certaines crises violentes d'évaporation. Ce sont des accidents qui se passent à la surface et qui ne révèlent nullement la vraie, la mystérieuse personnalité de la mer. Partout où la mer est profonde, sa vie continue, équilibrée, parfaitement balancée.

calme et féconde, tout à ses enfantements. Elle ne s'aperçoit pas de ces petits accidents qui ne se passent qu'en haut. Les grandes légions de ces enfants qui vivent, quoi qu'on ait dit, au fond de sa paisible nuit, et ne remontent tout au plus qu'une fois par an vers la lumière et les tempêtes, doivent aimer leur grande nourrice comme l'harmonie elle-même. Quoi qu'il en soit, ces accidents intéressent trop la vie de l'homme pour qu'il ne mette pas tous ses soins à les observer ?

Cela ne lui est pas facile, il y garde peu son sang-froid. Les descriptions les plus sérieuses donnent des traits vagues et généraux, fort peu ce qui fait pour chaque tempête son originalité, ce qui l'individualise comme résultante imprévue de mille circonstances obscures, impossibles à démêler. L'observateur en sûreté qui regarde du rivage voit mieux sans doute, n'étant pas occupé de son péril.

Mais peut-il juger de l'ensemble autant que celui qui est au centre du tourbillon et qui jouit de tous côtés du terrible panorama ? Nous devons aux navigateurs, nous autres hommes de terre, ce respect de tenir grand compte des faits qu'ils attestent, de ce qu'ils ont vu et souffert. Je trouve de très mauvais goût la légèreté sceptique que des savants de cabinet ont montré relativement à ce que les marins nous disent, par exemple de la hauteur des vagues. Ils plaisantent, les navigateurs qui la portent à cent pieds,

Les ingénieurs ont cru pouvoir prendre mesure à la tempête et calculer précisément que l'eau ne monte guère à plus de 20 pieds. Un excellent observateur nous assure tout au contraire avoir vu fort nettement du rivage, en sécurité, des entassements de vagues plus élevés que les tours de Notre-Dame et plus que Montmartre même. Il est trop évident qu'on parle de choses différentes. De là la contradiction. S'il s'agit de ce qui fait comme le champ de la tempête son lit inférieur,

Si l'on parle des longues rangées de vagues qui roulent en ligne et gardent dans leur fureur quelques régularités, le rapport des ingénieurs est exact. Avec leurs crêtes arrondies et les vallées alternatives qu'elles présentent tour à tour, elles défèrent le taux plus dans une hauteur de 20 à 25 mètres. Mais les vagues, qui se contrarient et qui ne vont pas ensemble, s'élèvent à bien d'autres hauteurs ?

Dans leur choc, elles prennent des forces prodigieuses d'ascension, se lancent et retombent d'un poids d'une incroyable lourdeur à assommer, enfoncer, briser le vaisseau. Rien de lourd comme l'eau de mer. Ce sont ces jets de vagues en lutte, ces retombées épouvantables dont les marins parlent, phénomènes dont on ne peut nullement calculer la grandeur réelle. Dans un jour, non de tempête mais d'émotion, où l'océan préludait par des gaietés sauvages,

j'étais tranquillement assis sur un beau promontoire d'environ 80 pieds je m'amusais à le voir sur une ligne d'un quart de lieu faire l'assaut de mon rocher arrondir la verte crinière de sa longue vague le pousser comme à la course elle frappait vaillamment faisait trembler le promontoire j'avais le tonnerre sous mes pieds mais cette régularité se démentit tout à coup je ne sais quelle vague d'ouest vint par le travers frapper outrageusement ma grande vague régulière qui me venait du midi dans le conflit

Tout à coup, le soleil me fut caché. Sur mon promontoire si haut, ce fut non une vapeur irisée d'écume légère, mais bien une grosse lame noire qui bondit, tomba lourdement, m'enveloppa, me baigna. J'en restais fortement mouillé. J'aurais voulu avoir là ces messieurs les académiciens et messieurs les ingénieurs qui mesurent si précisément les combats de l'océan. Il ne faut pas, assis chez soi, mettre en doute légèrement la véracité de tant d'hommes intrépides, endurcis et résignés,

qui voient trop souvent la mort pour avoir la vanité puérile d'exagérer leur danger. Il ne faut pas non plus opposer les calmes récits des navigateurs ordinaires qui suivent les grandes routes connues, aux tableaux parfois émus, des audacieux découvreurs qui les visitèrent les premiers, qui relevèrent, décrivirent les récifs, les écueils, attentifs à voir de près, à étudier le péril. Autant que le vulgaire marin, le roulier de la mer, cherche à l'éviter. Les couques !

Les Perrons, les Durville et autres chercheurs coururent de très réels dangers dans les eaux. Moins fréquentés alors de la mer de corail de l'Australie obligés d'affronter de près des bancs qui changent sans cesse, des courants contrariés qui se croisent et qui produisent d'affreuses luttes intérieures aux passages étroits. Sans tempête, par le roulis seul, le vent étant droit de l'arrière, une lame qui vient de travers fait des secousses si dures que la cloche du vaisseau se met à teinter d'elle-même.

Et si ces grands roulis duraient avec leurs mouvements à faux, ils en seraient détraqués, démembrés et démolis. Aux assorts du banc des aiguilles, dit encore Durville, les lames atteignaient 80, 100 pieds de hauteur. Jamais je ne vis une mer si monstrueuse. Ces vagues ne déferlaient sur nous, heureusement, que de leur sommité, autrement la corvette était engloutie. Dans cet horrible combat, elle resta immobile, ne sachant à qui entendre. Par moments, les marins sur le pont étaient submergés,

Afreux chaos qui ne dura pas moins de 4 heures de nuit. Un siècle à blanchir les cheveux. Telles sont les tempêtes australes, si terribles que même sur Terre, les naturels qui les pressentent en sont épouvantés d'avance et se cachent dans leurs cavernes. Quelques exactes, intéressantes que soient ces descriptions, je n'ai garde de les copier. Encore moins m'enhardirais-je à imaginer, arranger les choses que je n'aurais pas vues. Je ne dirais qu'un mot des tempêtes que j'ai observées,

J'y ai du moins saisi, je crois, les caractères différents qui distinguent l'océan et la Méditerranée. Pendant la moitié d'une année passée à deux lieux de gêne, sur la plus jolie mer du monde, la plus abritée, à Nervie, je n'eus qu'une petite tempête de caprices qui dura peu, mais dans ce court moment, raja avec une furie singulière. La voyant mal de ma fenêtre, je sortis, et par des ruelles tortueuses, entre les hauts palazzis,

Je me hasardais à descendre, non sur la plage, il n'y en a point, mais sur une corniche de noire roche volcanique qui borde le rivage, et trois sentiers qui souvent n'a pas trois pieds de large, et qui montant, descendant, souvent surplombant la mer, la domine de trente pieds, parfois de quarante ou soixante. On ne découvrait pas bien loin, des tourbillons continuels tiraient le rideau. On voyait peu, ce qu'on voyait était borné et affreux.

L'âpreté, les angles cassants de cette côte de cailloux, ses pointes et ses pics, ses rentrées subites et dures, imposaient à la tempête des sauts, des bons, des efforts incroyables, des tortures d'enfer. Elle grinçait d'écume blanche et comme d'exécrables sourires, à la férocité des laves qui, sans pitié, la brisaient. C'étaient des bruits insensés, absurdes, jamais rien de suivi. C'étaient des tonnerres discordantes,

de si aigres sifflements, comme ceux des machines à vapeur, qu'on se bouchait les oreilles. Abasourdi d'un spectacle qui ébêtait tous les sens, j'essayais de me revoir, m'appuyant bien à un mur qui rentrait et n'eut pas permis à la furieuse de me prendre. Je compris mieux ce tapage. Rude et courte était la lame, et le plus dur du combat tenait à cette côte étrange, découpée si sèchement, à ses angles cruels qui pointaient dans la tempête, déchirait le flot.

La corniche par-dessous, ici et là, l'enfonçait dans ses profondeurs tonnantes. L'œil aussi était blessé autant que l'oreille au contraste diabolique de cette neige éblouissante fouettant dans ses laves si noires. Je le sentis, la mer, bien moins que la terre, rendait la chose terrible. C'est le contraire sur l'océan.

Musique originale composée et interprétée par Lucas Valero, Pablo Valero et Christophe Oquet. Conseillère littéraire, Emmanuelle Chevrière. Prise de son et mixage, Jason Blondot-Aus et Titouan Oex. Assistant à la réalisation, Pablo Valero. Réalisation, Christophe Oquet.