Edward passa une semaine au cottage.
Mrs Dashwood fit assidûment pression sur lui pour obtenir qu'il reste plus longtemps. Mais, comme s'il ne songeait qu'à se mortifier, il paraissait décidé à partir au moment où il était le plus heureux en compagnie de ses amis. Il lui fallait les quitter en fin de semaine, même si rien dans son emploi du temps ne l'empêchait de rester.
Pour Eleanor, c'était la mère d'Edward qui était responsable de son étrange comportement, et il était heureux qu'elle connût si mal Mrs. Ferrars, car elle pouvait ainsi lui imputer tout ce qu'il y avait de bizarre dans la manière d'être de son fils. Elle aurait bien aimé savoir quand cette dernière reviendrait à de meilleurs sentiments, et quand son fils serait enfin libre d'être heureux. Mais de tels souhaits étaient vains, et sa seule consolation était de renouveler sa confiance dans les sentiments d'Edward,
De se souvenir de chacune des marques d'estime dont un regard ou un mot de lui avait pu l'assurer lors de son séjour à Barton. Et par-dessus tout, de garder à l'esprit ce témoignage de son affection pour elle qu'il portait toujours à son doigt. « Edward, il me semble que vous seriez plus épanoui si vous aviez un métier vous permettant de meubler vos journées et de donner du sens à vos projets et à vos actions. Vos amis en pâtiraient certes quelque peu, vous ne pourriez plus leur consacrer autant de temps. »
Mais cela vous serait réellement profitable au moins sur un point. Vous sauriez où aller après les avoir quittés. Croyez-moi, j'y ai réfléchi aussi longtemps que vous-même aujourd'hui. Cela a été, cela reste, et cela sera probablement toujours pour moi un grand malheur de n'avoir aucune affaire à laquelle me consacrer, qu'une profession à laquelle m'adonner, et qui serait susceptible de m'offrir quelque chose ressemblant à de l'indépendance. Mais mes exigences personnelles comme celles de mes amis ont hélas fait de moi ce que je suis, un être oisif et incapable.
Puisque cette oisiveté vous pèse, vous allez donc faire tout le contraire avec vos fils et les pousser à se lancer dans de nombreux projets, emplois, professions et métiers. Ils seront élevés de façon à me ressembler le moins possible. Qu'il s'agisse de sentiments, d'actions, de conditions sociales et de tout ce qui va avec. Allons, allons, Edward, vous êtes d'humeur mélancolique et vous croyez que ne peuvent être heureux que ceux qui sont différents de vous. Mais n'oubliez pas qu'un être humain ne peut qu'être triste quand il quitte ses amis. Cela indépendamment de son éducation ou de sa condition.
Le moment venu, votre mère vous accordera l'indépendance que vous appelez de vos voeux. Dieu sait quels changements peuvent se produire en quelques mois. Il me semble à moi que je pourrais attendre des mois et des mois sans que me parvienne une seule bonne nouvelle. Sans risquer le moins du monde d'être contagieuse pour Mrs Dashwood, cette humeur morose leur fit à tous de la peine au moment des adieux qui eurent lieu peu après et qui en particulier marquèrent durablement et douloureusement les sentiments d'Elinor.
Il lui fallut des efforts et du temps pour retenir son chagrin, mais elle était déterminée à le cacher et à ne pas paraître plus affectée que les membres de sa famille quand Edward prit congé d'elle. Elle se mit à sa table de dessin dès qu'il eut franchi le seuil de la maison et elle multiplia les activités tout au long de la journée, ne cherchant pas à ce qu'on mentionne ou qu'on évite de prononcer le nom d'Edward et paraissant s'intéresser aux préoccupations de la famille tout autant que d'habitude.
Une telle attitude, si contraire à celle qu'elle avait elle-même adoptée, ne parut pas plus méritoire à Marianne que la sienne lui avait paru blâmable. Elle eut vite fait de régler la question de la maîtrise de soi. Quand on est passionné, la chose est impossible, tandis qu'avec des sentiments plus tièdes, on n'a à cela aucun mérite. Que les sentiments de sa sœur fussent modérés, c'était indéniable, même si elle avait un peu honte de l'admettre. Et de la force des siens ?
Elle donnait une preuve éclatante en continuant à aimer et à respecter cette sœur, en dépit d'une conviction qui la mortifiait. Un beau matin, peu de temps après le départ d'Edouard, alors qu'elle était à sa table de dessin, Elinor fut tirée de ses rêveries par l'arrivée de visiteurs. « Mrs. Jennings ! » « Bonjour ! Comment allez-vous ma chère ? Et comment va Mrs. Dashoud ? » « Très bien, très bien. » « Quoi ? Vous êtes toute seule ? »
Ça va vous faire du bien d'avoir un peu de compagnie. J'ai amené ma fille et son mari pour qu'ils puissent faire votre connaissance. Pensez, ils ont débarqué ici de façon si soudaine. Bonjour. Bonjour, Eleanor. Bonjour. Bonjour. Je vous présente Eleanor, ma soeur, Charlotte Palmer, et son mari, Daniel. Bonjour. Bonjour, monsieur. Bonjour.
Mrs Palmer avait plusieurs années de moins que sa sœur Lady Middleton et par bien des aspects, elle ne lui ressemblait en rien. Elle était petite et ronde et avait un fort joli visage à l'expression très agréable qui laissait transparaître un air de bonne humeur sympathique en diable. Ses manières étaient loin d'être aussi élégantes que celles de sa sœur, mais elles étaient beaucoup plus plaisantes.
Elle arriva le sourire aux lèvres et tout le temps que dura la visite, elle ne cessa de sourire que pour éclater de rire avant de repartir avec le sourire. Son mari était un jeune homme à l'air grave de 25 ou 26 ans, l'air plus distingué et sérieux que sa femme, mais moins enclin à plaire ou à paraître aimable. Il pénétra dans la pièce tout plein de sa propre importance.
S'inclina juste pour saluer, sans dire un mot, et après avoir brièvement jeté un coup d'œil sur les dames et sur la maison, il prit un journal qui était posé sur la table et le lut tout le temps que dura la visite. Quelle jolie pièce vous avez là ! J'ai toujours trouvé que c'était un très bel endroit, madame, mais vous en avez fait quelque chose d'absolument exquis. Comme j'aimerais avoir une maison pareille ! Pas vous, Mr. Palmer ?
Mister Palmer ne m'écoute pas. Cela lui arrive de temps en temps, c'est à mourir de rire. La situation avait quelque chose d'inédit pour Mrs Dashwood, qui ne trouvait pas vraiment drôle qu'on puisse montrer si peu d'attention à quelqu'un et elle ne puisse empêcher de les observer tous les deux avec étonnement. Si vous saviez la surprise que nous avons eue hier soir à leur arrivée...
« Croyez-moi, on a tous été ravis de les voir. Cela étant, je ne peux m'empêcher de déplorer qu'ils aient fait le trajet si rapidement et parcouru autant de kilomètres. Vous savez, vu l'état de Charlotte, ce n'était guère raisonnable. Ce matin, je voulais qu'elle reste à la maison et qu'elle se repose, mais elle a tenu à venir avec nous. Elle avait tellement envie de vous voir toutes les quatre. » « Mais maman, je ne cours pas le moindre risque. » « Elle devrait accoucher en février. »
Y a-t-il quelque chose d'intéressant dans le journal ? Non, rien du tout. Ah tiens, voilà Marianne. Là, Palmer, vous allez voir un petit monstre de beauté. Mister Palmer leva les yeux quand Marianne entra dans la pièce. La regarda fixement quelques minutes.
puis se replongea dans son journal. Regarde, maman, comme ces dessins sont jolis ! Je les trouve vraiment ravissants et je pourrais ne jamais les quitter des yeux. Sur quoi Charlotte se rassit pour les oublier aussitôt. Quand Lady Middleton se leva pour donner le signal du départ, Mr Palmer se leva à son tour
posa le journal, s'étira et jeta un coup d'œil à la ronde. « Très chère, vous seriez-vous assoupie ? » « Cette pièce est basse de plafond et les murs ne sont pas droits. » « Madame, mesdemoiselles. » « Bon, Mrs. Dachaule, merci de votre visite. » « Merci à vous, Mme Léonore. » « Merci, Marianne. »
Mrs Dashwood, nous serions très heureux que vous veniez toutes passer la journée de demain à Barton Park. Oui, mais oui, quelle bonne idée ! Pour ma part, Sœur John, je ne viendrai pas cette fois-ci. Mais mes filles sont bien sûr libres d'y aller si elles le souhaitent. Mais oui ! Marianne, Eleanor, venez ! Oui ! Voilà qui est entendu. Allez, à demain. Pas de cérémonie. D'accord, très bien. Merci beaucoup. Au revoir. Au revoir. Merci de votre visite. Allez, allez, mes filles, allez.
Pourquoi n'arrête-t-il pas de nous inviter ? Le loyer du cottage ne va pas chercher bien loin, mais les termes du bail sont intenables s'il nous faut aller déjeuner chez eux chaque fois que quelqu'un vient les voir ou qu'on nous rend visite. Marianne... Le lendemain, les demoiselles d'Ashwood entrèrent dans le salon de Barton Park par une porte, tandis que Mrs Palmer accourait par l'autre, l'air aussi gai et joyeux que la veille.
Eline, Marianne, vous êtes venues, je suis si contente. Essayez-vous, essayez-vous. Venez près de moi avant le déjeuner. Merci.
Je suis si heureuse de vous voir ! Le temps est si exécrable que j'avais peur que vous ne veniez pas. Ce qui aurait été vraiment dommage étant donné que nous repartons demain. On a décidé de venir ici sur un coup de tête. J'ignorais tout jusqu'à ce que j'aperçoive la voiture qui nous attendait devant la porte et que Mr Palmer me demande si je voulais l'accompagner à Barton. Il est si drôle, il ne me dit jamais rien. Je suis vraiment désolée de ne pas pouvoir rester plus longtemps. Merci.
Mademoiselle. Bonjour. Oh, quel temps exécrable. Voilà qui vous dégoûte de tout et de tous. La pluie engendre de l'ennui au dedans comme au dehors. On finit par maudire tous ses amis. Pourquoi diable, Sœur John n'a-t-il pas de salle de billard chez lui ? Si peu de gens savent ce qu'est le vrai confort, Sœur John est aussi bête que le temps. Daniel, ça c'est mon mari.
L'indifférence étudiée, l'arrogance et le mécontentement de son mari ne chagrinaient pas Mrs. Palmer. Et quand il la réprimandait ou la rudoyait, cela la faisait beaucoup rire. Mr. Palmer est si drôle, il est toujours de mauvaise humeur.
Je ne suis absolument pas de mauvaise humeur, je constate, je fais des constatations. Après l'avoir brièvement observé, Elinor hésitait à le croire aussi revêche et exécrable qu'il cherchait à le paraître. Son caractère s'était peut-être un peu aigri quand, comme bien d'autres personnes de son sexe, il s'était aperçu que, du fait d'un inexplicable penchant pour la beauté, il avait épousé une femme très sotte. Il voulait simplement se montrer supérieur aux autres.
Ce mobile était trop banal pour qu'on s'en étonne, mais la façon qu'il avait de s'y prendre, hormis le fait qu'elle confirmait son évidente supériorité en matière de mauvaise éducation, n'était guère de nature à se faire aimer de qui que ce fût en dehors de son épouse. « Ma chère Miss Dashwood, j'ai une faveur à vous demander, ainsi qu'à votre sœur. Est-ce que cela vous dirait de venir passer quelques jours chez nous à Cleveland pour la Noël ? Allez, s'il vous plaît, dites-moi oui ! Ce sera merveilleux !
Très cher, est-ce que vous n'avez pas envie que les demoiselles d'Ashwood viennent nous voir à Cleveland ? Bien sûr que si. C'est d'ailleurs là la seule et unique raison pour laquelle je suis venu dans le débrouille. Nous y voilà. Vous voyez bien que Mr. Palmer n'attend que vous. Nous sommes désolés de devoir refuser cette invitation, Mrs. Palmer. Mais enfin ! Il faut que vous veniez, j'y tiens beaucoup.
Vous ne pouvez pas savoir à quel point Cleveland est un endroit merveilleux. On s'amuse beaucoup en ce moment, car Mr Palmer est constamment à l'extérieur. Il fait campagne pour les élections et il y a quantité d'inconnus qui viennent déjeuner à la maison. C'est bien charmant. Mais le pauvre homme, c'est vraiment dur pour lui, car il doit se plier en quatre pour se faire aimer de tout le monde. Je comprends à quel point cela doit lui être difficile.
Quand il sera au Parlement, on va avoir beaucoup de bon temps, vous ne croyez pas ? Je vais beaucoup rire ! Ce sera à se tordre quand je verrai toutes les lettres qui lui seront adressées lui donner du « Monsieur le député ».
« Mais dites-vous bien qu'il ne va pas me dispenser de payer mes timbres. À ça, jamais de la vie. N'est-ce pas, Mr. Palmer ? » Mr. Palmer était ailleurs. « Vous savez, le courrier lui fait horreur. Il trouve que c'est une habitude détestable. » « Je n'ai jamais rien dit d'aussi stupide. Ne me mettez pas toutes vos inepties sur moi. »
Il est toujours comme ça. Parfois, il ne m'adresse pas la parole la moitié du temps. Et puis là, d'un seul coup, il sort quelque chose de très drôle qui lui passe par la tête. Marianne et Lina, vous êtes arrivées. Bonjour. Je vous propose de passer à taille. Vous savez, Mr. Palmer est tout à fait mon type d'homme. Qu'est-ce que vous avez préparé ?
À peine Elinor avait-elle eu le temps d'oublier leur dernier visiteur ? À peine était-elle revenue de l'inexplicable bonne humeur de Charlotte et de l'étrange et évidente incompatibilité entre mari et femme, que grâce aux ailes déployées par Sir John et Mrs Jennings pour maintenir un minimum de sociabilité, elle eut bientôt l'occasion de voir et d'observer de nouvelles connaissances.
Lors d'une excursion matinale à Exeter, ces derniers étaient tombés sur deux jeunes demoiselles et Mrs Jennings avait eu la satisfaction de découvrir qu'elles lui étaient apparentées. Il n'en fallut pas plus pour que Sir John les invita à Barton Park dès qu'elles en auraient fini avec leurs obligations à Exeter. Face à une telle invitation, elles annulèrent tout sur le champ. Lorsque les demoiselles d'Ashwood furent présentées aux demoiselles Steele,
Elle ne vire chez Anne, l'aînée, qui avait presque 30 ans, qu'un visage très quelconque, sans grand-chose de particulièrement intelligent ni de bien remarquable. Mais celui de Lucie, la cadette, qui n'avait pas plus de 22 ou 23 ans, il leur fallut l'admettre, était saisissant de beauté.
Ses traits étaient fins, elle avait le regard vif et perçant, et une classe naturelle, qui sans pour autant lui conférer grâce et élégance, lui donnait un air distingué. Leur manière était d'une grande courtoisie, et Elinor les crédita assez vite d'un incontestable savoir-faire, quand elle vit avec quelle constante et judicieuse attention elles obtenaient les bonnes grâces de Lady Middleton.
Elle se pâmait constamment à propos de ses enfants, vantant leur beauté, faisant tout pour attirer leur attention et cédant à tous leurs caprices. Et le peu de temps qu'elle ne consacrait pas aux requêtes importunes que leur politesse les obligeait à subir, se passait à admirer tout ce que Lady Middleton pouvait faire, si d'aventure elle s'employait à faire quelque chose, ou à prendre le patron de quelques nouvelles robes élégantes qu'elle avait portées la veille et dont la vue les avait absolument enchantées.
Fort heureusement pour celle qui la courtise en s'appuyant sur de telles faiblesses, la mère aimante, qui est en quête de compliments sur ses enfants mais qui est aussi la plus insatiable des créatures, est également la plus crédule. Ses exigences sont exorbitantes, mais elle est prête à tout avaler. La patience et la gentillesse illimitées des demoiselles Steele vis-à-vis de ses enfants furent donc reçues sans la moindre surprise ni méfiance par Lady Middleton,
Elle voyait avec une satisfaction toute maternelle les impertinences et les mauvais tours que ses cousines se plaisaient à subir. Elle voyait qu'on dénouait leurs ceintures, qu'on leur tirait les cheveux derrière les oreilles, qu'on fouillait dans leurs nécessaires accoutures, qu'on leur chipait leurs couteaux et leurs ciseaux, persuadée qu'elle était que le plaisir était réciproque.
Sa seule surprise fut de constater qu'Elinor et Marianne restaient, quant à elle, assises très dignement sur leur chaise sans chercher à participer à ce manège. Et voici ma chère petite Anna Maria ! Elle est toujours si sage et si douce ! Vous êtes une petite fille comme on n'en fait plus ! Magnifique ! Malheureusement,
Alors qu'elle étreignait l'enfant, l'une des aiguilles de sa coiffure érafla légèrement la joue de la petite fille, arrachant ainsi à ce modèle de douceur des hurlements si stridents que la plus bruyante des créatures aurait eu du mal à égaler leur intensité. La consternation de la mère fut extrême, mais bien moindre que celle des demoiselles Steele. Et face à une situation aussi critique, toutes trois rivalisèrent d'affectueuses attentions pour tenter de soulager les souffrances de la petite victime.
On l'a scie sur les genoux de la mère, on la couvrit de baisers, sa blessure fut lavée à l'eau de lavande par l'une des demoiselles Steele qui s'était mise à genoux pour la soigner, tandis que l'autre la gavait de bonbons. Se voyant si bien récompensée de ses pleurs, l'enfant se garda de mettre fin à sa crise. Elle continua à hurler et à sangloter tout son sou, repoussant à coups de pied ses deux frères qui essayaient de lui faire des caresses,
et tous leurs efforts réunis pour la calmer restèrent vains jusqu'à ce que Lady Middleton ait la présence d'esprit de se rappeler que, la semaine précédente, au cours d'une semblable crise de larmes, un peu de confiture d'abricot appliquée sur le front meurtri avait fait merveille. La pauvre petite, ça aurait pu être un accident très grave. Je ne vois pas trop comment, à moins que les circonstances aient été totalement différentes.
On s'affole toujours beaucoup alors qu'en réalité, il n'y a pas de quoi s'alarmer. Quelle femme charmante que Lady Middleton ! Marianne ne répondit pas. Il lui était impossible de dire quelque chose qu'elle ne ressentait pas, même quand la chose était sans importance. Et Sir John, lui aussi, quel homme charmant ! Oui, c'est un homme tout à fait sympathique et affable. Et quelle charmante petite famille que la leur ! Je n'ai jamais vu d'aussi beaux enfants de ma vie. Je les adore déjà. Et d'ailleurs, j'ai toujours raffolé des enfants. D'après ce que j'ai vu tout à l'heure, je m'en doutais un peu.
J'ai l'impression qu'à votre avis, l'éducation des petits Middleton n'est pas assez sévère. Elle est peut-être moins que la moyenne, mais c'est tellement naturel de la part de Lady Middleton. En ce qui me concerne, j'aime les enfants pleins de vie et d'allant, et je ne supporte pas de les voir sages et bien élevés. Je dois avouer que, quand je suis à Barton Park, l'idée de voir des enfants sages et bien élevés n'a pour moi rien d'horripilant. Et comment trouvez-vous le Devon, Miss Dashwood ? J'imagine que cela n'a pas été chose facile pour vous de quitter le seul sexe. En effet.
« Norland est une propriété absolument superbe, n'est-ce pas ? » « C'est Sir John qui nous en a dit le plus grand bien. » « Je crois que tous ceux qui ont vu cet endroit ne peuvent que l'admirer. » « Même s'il est impossible d'imaginer que d'autres que nous puissent être à ce point épris de sa beauté. » « Et y avait-il beaucoup de jolis garçons à la mode, là-bas ? » « Ah non... » « J'imagine qu'il y en a moins par ici, et pour ma part, je trouve que sans eux, tout est furieusement dépeuplé. » « Pourquoi aller imaginer qu'il y en a moins dans le Devon que dans le Sussex ? » « Voyons, ma chère, je ne prétends évidemment pas qu'il n'y en a pas. »
J'avais tout simplement peur que les demoiselles d'Achoud ne s'ennuient à Barton si elles en côtoyaient moins qu'auparavant. Mais peut-être que vous autres, mesdemoiselles, vous n'en avez rien à faire et que vous ne vous portez pas plus mal sans eux. En ce qui me concerne, je les trouve furieusement agréables du moment qu'ils sont chics et corrects. Mais sales et mal élevés, ils me dégoûtent. Cet échantillon des demoiselles Steele était assez éloquent.
La liberté vulgaire et la bêtise de l'aîné ne plaidaient guère en sa faveur et, comme Elinor, nullement aveuglée par la beauté ni par l'apparente sagacité de la cadette, ne pouvait pas ne pas constater son manque de distinction et de réelle simplicité, elle prit congé sans avoir la moindre envie de faire plus amplement connaissance. Il n'en allait pas de même pour les demoiselles Steele.
Elles arrivaient dès que cette heure, fort prodigues en éloge à l'égard de Sir John Middleton, de sa famille et de tous ses amis. Elles ne furent pas moins avares en compliments à l'égard de leurs jolies cousines, à propos desquelles elles déclarèrent qu'elles étaient les jeunes filles les plus belles, les plus élégantes, les plus talentueuses et les plus sympathiques qu'elles avaient jamais vues, et avec lesquelles elles étaient impatientes de faire un peu mieux connaissance. Elinor eut donc tôt fait de s'apercevoir qu'il lui serait difficile de ne pas les fréquenter.
Car, dans la mesure où Sir John s'était rangé corps et âme du côté des demoiselles Steele, le camp adverse était trop fort pour qu'on pût lui résister. Il fallut donc se soumettre à cette forme d'intimité qui consiste à passer pratiquement tous les jours une heure ou deux ensemble dans la même pièce. Sir John se bornait à cela, ne trouvant pas nécessaire d'en faire plus, car pour lui, être ensemble, c'était être intime.
Et aussi longtemps que les efforts continuels qu'il déployait pour les réunir étaient couronnés de succès, il n'avait aucune raison de douter que les demoiselles Dashwood et les demoiselles Steele fussent devenues amies. Il est vrai qu'il faisait tout ce qui était en son pouvoir pour les faire sortir de leurs réserves, en informant ces dernières de tout ce qu'ils savaient ou pensaient savoir, des moindres détails de la vie de ses cousines.
Et Linor ne les avait pas vues deux fois, que déjà l'aînée la félicita de la chance qu'avait eu sa sœur de conquérir un très élégant joli garçon depuis son installation à Barton. « Ce sera vraiment épatant de l'avoir mariée si jeune. » « Et j'ai entendu dire que c'était un vrai joli garçon, d'une beauté fracassante. » « C'est tout à fait vrai. » « Et j'espère que vous aurez vous-même bientôt autant de chance. » « Mais peut-être avez-vous déjà quelqu'un dans le secret de votre cœur ? »
Impossible d'imaginer que Sir John, en révélant ce qu'il soupçonnait être les sentiments d'Elinor pour Edward, ait pu faire preuve de beaucoup plus de tact à son égard qu'il n'en avait montré vis-à-vis de Marianne. Et depuis la visite d'Edward, impossible d'aller déjeuner chez lui sans qu'il porte un toast à ses amours sur un ton lourd de sous-entendu, avec force clin d'œil et hochement de tête pour que tous comprennent bien.
Comme elle s'y attendait, les demoiselles Steele avaient désormais régulièrement droit à ces plaisanteries. Et elles avaient hier chez l'aînée le désir de connaître le nom du jeune homme auquel on faisait allusion. Mais Sir John cessa assez vite de se borner à susciter une curiosité qu'il adorait titiller. Car il eut au moins autant de plaisir à donner ce nom que Miss Steele en eut à l'entendre. « Son nom, Sir John, s'il vous plaît ! » « Non, vous me connaissez, je suis une tombe, voilà. » « Vraiment trop curieuse. »
Il s'appelle Ferars. Mais s'il vous plaît, gardez-vous bien de le répéter, car c'est un secret de taille. Ferars ? Mister Ferars serait donc l'heureux élu ? Mais c'est le frère de votre belle-sœur, Miss Dashwood. Il est vrai que c'est un jeune homme fort agréable. Je le connais très bien. Anne, comment peux-tu dire une chose pareille ? Si on l'a vu une ou deux fois chez mon oncle, c'est tout de même très exagéré de dire qu'on le connaît très bien. Encore même ! Une ou deux fois, ça permettrait bien de se faire une idée. Oui. Elinor, qui écoutait tout cela avec attention, sursauta.
Qui était donc cet oncle ? Où vivait-il ? Comment s'était-il connu ? Elle avait très envie de les entendre poursuivre sur le même sujet, même si elle se gardait soigneusement de relancer la conversation. Raison et sentiments de Jane Austen Traduction Sophie Chiari Adaptation Juliette Eman Quatrième épisode Avec Elodie Hubert, la narratrice Mélissa Barbeau, Elinor
Stéphanette Martelet, Lady Middleton Pauline Hautepin, Mrs. Palmer
Xavier Robic, Mister Palmer, Mathilde Charbonneau, Anne Steele. Et les voix de Sophie Dolle, Suzanne Sinberg, Suzanne Rimbaud et Zélie Chalvignac. Conseillère littéraire, Emmanuelle Chevrière. Musique originale et piano, Denis Chouillet. Violon, Floriane Bonani. Violoncelle, Renaud Guilleux. Bruiteuse, Élodie Fiat, assistée de Eleonore Malot et Aurélien Bianco.
Prise de son, montage, mixage Claire Levasseur et Éric Villanfin. Assistante à la réalisation Céline Paris. Réalisation Juliette Eman. Raison et sentiments de Jane Austen dans la traduction de Sophie Chiari est édité chez Le Livre de Poche. ...