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Réalisme Expérimental

2025/4/6
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Le Feuilleton

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France Culture Lauride, les années velvettes de Christine Spianti Deuxième épisode, réalisme expérimental Nom, Lauride Passion, réalisme Le réalisme est ma clé Ludlow Street

Comme dans un roman de Hubert Selby Jr., prenez un junkie et une fille défoncée, un marin. Prenez un quartier, le Lower East Side. La Houston Street, où est le Katz's Daily, célèbre délicatesse juive, et à l'angle Ludlow Street. Au 178, il y a un très ancien bar, le Max Fish, avec sa table de billard. Au 127, le bar des motards, dit Motor City Bar. Le Bulgarian Bar est au 113. Ludlow Street, c'est la rue de la soif.

Bordée par Little Italy à l'ouest, au nord par East Village, au carrefour de Grand Street, elle ouvre sur Chinatown. Si on la descend après la 8 voies d'Elancy Street, elle devient plus étroite. Et c'est par là, au 56 Ludlow Street, dans un bâtiment de briques rouges à la façade coupée d'escalier, qu'habite John Cale depuis début 1964 chez Tony Conrad, un musicien rencontré chez la Monty Young.

Au 56, le DeLostreet, Tony et moi on s'exprime sur nos magnétophones pour arriver à fabriquer la bande-son des films de mon grand ami, Piero Elitzer. Piero Elitzer, né à Rome en 1937, a émigré aux Etats-Unis avec sa mère suite à l'assassinat par la Gestapo de son père résistant. Dans le Lower East Side, il a trouvé une zone libre.

Là, il édite ses poèmes dans sa maison d'édition, The Dead Language Press, et réalise ce cinéma expérimental qu'il projette, accompagné des bandes-sons et des performances musicales de John Cain et Tony Conrad, à la Filmmaker Cinémathèque de Jonas Mekas. L'Underground cherche une esthétique et expérimente à la fois le cinéma, la musique électronique, acoustique et la poésie. Piero Helicer a un projet précis.

lancer l'arme du rêve. On a toute une panoplie d'équipements électroniques et une vaste collection de disques, certains très fragiles en acetate. On cherche, on fabrique des chambres de réverbération avec des seaux en métal remplis d'eau ou les ressorts d'un saumier. On bataille des heures pour arriver à superposer les enregistrements sur un magnétophone de piste.

Tony a construit un appareil à partir de vieux composants qu'il a soudés lui-même et qui permet de mélanger jusqu'à 7 pistes avec une perte de qualité minime. Il a inventé la table de mixage. Avec le poète Jack Smith, on enregistre quelques séances en septembre 64, dans la chaleur étouffante d'un appartement à 30 dollars au dernier étage du 56, le Glow Street. C'est une rue aux immeubles délabrés, jonchés de déchets et d'ordures. Les gamins du coin nous bombardent de cailloux à cause de nos cheveux longs.

La plupart des bâtiments de la Lodlo Street n'ont ni chauffage, ni eau chaude, ni électricité. Comme dans Last Exit to Brooklyn, c'est ce qu'il a dû se dire, Lorid, cet été-là quand il est venu nous voir pour la première fois. Dites un petit mot pour Ginger Brown. Il marche la tête basse. On lui a enlevé ses chaussures. On a jeté le pauvre garçon tout droit à l'arrière.

Dites un petit mot pour Polymère. Elle ne distingue plus le jour de la nuit. On la jetait à la rue et juste comme un chat, elle est retombée sur ses pieds.

Pauvre petite jeune qui n'a plus rien du tout. Lou nous joue ses chansons avec une guitare sèche, comme si c'était des chansons folk. Je ne comprends rien. Je déteste le folk. Elle lit le texte. Lis ! Elle m'a forcé à lire. Et là seulement j'ai réalisé.

J'attends mon dealer. 26 dollars à la main. À l'angle Lexington et 125ème. Je me sens malade et crade, plus mort que vivant. Hé, petit blanc, qu'est-ce que tu fous dans ce quartier ? Il écrit des chansons sur des sujets que personne d'autre ne traite.

Une vision érudite de la vie, dure, comme celle d'un romancier. Tous les autres s'efforcent d'aller au bout de la nuit. Mais moi maintenant, je suis dehors, au coin de la rue. Tu sais que je cherche Miss Linda Lee. Parce qu'elle a le pouvoir de m'aimer dans l'heure. Elle m'en donne, oui, de l'amour.

Lou me raconte qu'il a été un lycéen très nerveux, intelligent, fragile, pull à col roulé et mocassin, meurtri, tremblant, et bêté en permanence à cause du placidile que lui a prescrit un psychiatre. Intranquillisant, mais pourquoi ? Je pense que je suis fou. Je ne peux pas croire que celui qui écrit ces textes-là, d'une immense qualité littéraire, soit fou. Les chansons à la première personne, par exemple, quand Lou s'identifie au narrateur, on ne l'a jamais fait. Il joue un rôle, personne ne l'a compris.

Je ne sais carrément pas où je vais, mais si je peux, je vais tenter le royaume. Car ça me donne l'impression d'être un homme quand je me plante une aiguille dans les veines. J'aurais voulu voguer sur les sombres océans, à bord d'un beau et grand trois-mars, allés d'une terre à l'autre, en tenue de marin et bonnet.

Loin de la grande cité où un homme ne peut être libre. Et je crois que je suis juste là, gay. On ne prend pas de la drogue parce qu'on a entendu une chanson.

comme on ne devient pas sadomaso pour avoir l'usage hermasoque. La chanson héroïne, c'est quelqu'un qui parle avec amour de la déception qu'est la vie. A l'intérieur des mots, il y a plusieurs voix qui se contredisent. Cela fait la richesse du personnage. Si vous arrivez à accéder à cette dichotomie, c'est fascinant. Lou sait faire ça avec le langage, comme une explosion. J'aime ça. Je veux apprendre de lui. Ça m'aidera à affronter l'Amérique. Je pourrais même dire qu'apprendre est ce que j'ai voulu réellement, bien plus que réussir.

Avec Lou, c'est une rencontre spirituelle autour de la littérature. Dimanche matin, faire entrer l'aurore, c'est juste un sentiment d'inquiétude qui vient. Au point du jour, dimanche matin, c'est juste les années gâchées encore si proches.

Pickwick refuse de le laisser enregistrer ses chansons dans leur studio. Je lui dis, s'ils ne veulent pas le faire, on le fera nous-mêmes. Je n'y crois pas. En mai 65, on enregistre une démo chez Pickwick, trois morceaux sur une bande de pistes, dont le premier enregistrement d'Héroïne. Ça s'arrête là. Tout ce que j'ai expérimenté fait une base sur laquelle on peut construire. L'amanté Young a une fascination scientifique et mystique pour le son. Il est très rigoureux.

Avec lui, je passe des heures en répétition à produire des mélopées et des bourdons tenus et contemplatifs. C'est comme ça que je développe ma connaissance du système d'intonation juste. Un jour, Tony a rapporté un capteur électronique à l'appartement. Je le fixe sur l'alto avec une pince. Un énorme raffut sort des enceintes. Un son très très riche. Pour obtenir à peu près le vrombissement d'un avion à réaction, j'ai l'idée de limer le chevalet de l'alto et de monter les cordes de guitare dessus. J'en suis sûr, on va faire quelque chose que personne n'a jamais entendu.

On commence à composer des formes électrifiées. Je veux faire comme Selby, Innsberg, Burroughs et Raymond Chandler, mais avec une batterie et une guitare. La batterie, ce sera Angus Maclise, un musicien de chez Lamonti. Un poète qui joue des tablas et tape sur n'importe quoi. Il habite sur le palier. On branche les deux appartements pour avoir plus de puissance électrique à la guitare et à l'alto. À ce moment-là, Lou s'est installé chez moi. Je découvre un autre personnage,

qui raconte des histoires de prostituées, des prouesses bisexuelles, le pasteur noir avec lequel il aurait passé une journée au lit. Attends d'avoir vu ça, le reste c'est rien. La folie lui fait peur mais il s'en sert pour excuser sa conduite provoquante, sa malfaisance gratuite. Ça lui donne l'impression de contrôler la situation plutôt que de rester dans l'incertitude et la paranoïa. Lui et moi on a ce type de rapport où on croit que l'autre pense ce qu'on pense et où en fait ce n'est pas vrai.

Le soir, on écoute la station 1010 Winds avec Murray The Cave. Et je lui répète, tiens-t'en à ce que tu crois, et les gens l'accepteront. Le reste du temps, on traîne dans la rue. La rue. New York est à Lou Reed, ce que Paris est à Baudelaire. Et l'Union Square, au jardin des fleurs du mal. Un empire où onivrer sa sensibilité de spleen et de malédiction. Quand le soleil cruel fera pas très redoublé.

Loup a une guitare acoustique, j'ai un alto et une flûte à bec. Pour gagner notre vie, on joue dans la rue. Ce sont des incursions dans l'inconnu au coin de la 125e et de Broadway. Les personnages de Selby ne sont rien à côté de ceux qu'on rencontre dans les rues de Manhattan. Loup m'a fait découvrir Last Exit to Brooklyn dans la réalité, sur la 125e.

Marie, l'adolescente, a dit à oncle Dave, j'ai vendu mon âme, il faut me sauver. Je dois descendre à Union Square, on ne sait jamais qui on va y trouver. Il faut qu'on force. La mort, Gitane et moi, je vous dirai quoi faire.

Sissiq Sarah avait le nez poudré d'or. De grosses bottes à clous emballaient ses pieds. Quand elle fit son ode, tous les anges ont crié. Ils ne comprenaient pas. Beardless Harry, lui qu'elle gâchit, ne pouvait même pas mettre la main sur une dope de seconde zone. Il a pris le bus jusqu'à la 47e. La rue au coucher du soleil.

Les pas d'un type sur le trottoir qui résonne le long des bâtiments. Une radio qui vient d'une fenêtre ouverte. Des marteaux piqueurs au loin. Les cloches de Notre-Dame des douleurs. Le métro aérien. Des hommes errants qui s'appellent. Bob Dylan, quand on lui demande qu'est-ce qu'être poète, répond...

Il faut une certaine qualité de rythme, une certaine façon de rendre visible parce qu'un poème marche seul et nu dans la rue. Dénigre les pronoms, les verbes actifs et obtus, embroche le tamis de l'égout optique.

remonte toutes les grilles jusqu'à crever les globes oculaires d'où suinte toute la pourriture, lit tous les livres et les gens qui méritent d'être lus et voient quand même le bourbier sur le ciel au plafond. Avec de simiesques mélodies pour marcher, des éruptions de musique naze pour divagations crétines qui n'ont rien dans le crâne et comprennent l'élémentaire à l'envers, le compost, l'obtus et le stupide et les business et le business et de médiocres stupidités

Un soir, un policier nous dit de ne pas rester là. Qu'un peu plus bas, sur la 75e, il y a un club de jazz. On y va ? Pas de jazz. Mais sur le trottoir, une fille, Elektra. Son mec l'a abandonnée, elle a les jambes qui saignent. Elle joue de la vielle afghane. On fait des essais avec elle sur « Wrap your troubles in dreams ».

Il y a pas mal de gens comme ça à ramasser dans la rue, qui font partie du groupe. Deux, trois minutes. Walk on the wild side, comme dans un roman de Nelson Algren. Tu ne peux rien comprendre à la vie si tu ne fais pas un détour par les marges, par les endroits chauds de la ville. On traîne dans les rues toute la journée, et un jour du printemps 1965, Lou tombe sur Sterling Morrison, un étudiant qui a joué dans son groupe à l'université.

J'avais la chambre d'étudiant au-dessus de la sienne à Syracuse. Un jour que les officiers de réserve défilaient sur le terrain derrière le dortoir, Lou a fait gicler de sa chaîne hi-fi un son de cornemuse à crever les tympans. Immédiatement suivi de quelques explosions tirées de sa guitare électrique. À ce moment-là, j'ai su qu'un deuxième guitariste vivait sur le campus. Sterling, je ne l'avais pas revu depuis trois ans quand je le rencontre dans le métro. Il ne porte pas de chaussures. J'ai des boots chez moi. On y va.

Je suis tombé sur John Cale et Lou Reed dans le métro sur la ligne D à la station de la 7ème avenue. Mais je ne me suis jamais baladé pieds nus sur les trottoirs de Manhattan. Ils m'invitent à venir jouer avec eux au Hicks, un bar du coin. Et à partir de ce moment, on ne se quitte plus. On mange du porridge matin et soir et on donne notre sang pour quelques sous. Parfois on se fait photographier en meurtrier pour des tabloïds à deux balles. On répète, on travaille dur, on cherche un son.

L'oudi s'inspirait de Maupassant. Faites-moi quelque chose de beau, dans la forme qui vous conviendra le mieux. Enveloppe tes ennuis dans tes rêves, expédie-les au loin, mêles-les dans une bouteille, et au-delà des mers, ils resteront. La violence résonne à travers le pays, au cœur de chaque homme. Le couteau frappe les plaies existantes, le pu couvre des cheveux emmêlés, le couteau étincelant tranche l'air à minuit,

tranche les entrailles au passage, le sang coule à flots, des filtres d'excréments en travers du cerveau. La haine fait courber les chines, la crasse recouvre les pores du corps pour être nettoyé à l'instant de la mort. Enveloppe tes ennuis dans tes rêves. Un jour, Tony Conrad passe nous voir à Ludlow Street en pleine répétition. Il a trouvé un vieux livre sur le trottoir de Bowery.

Une enquête sur les perversions sexuelles aux États-Unis. Sur la couverture, un fouet, une bottine de femme, un loup de cuir. The Velvet Underground. Le souterrain de velours. Sterling est enthousiaste. Nous avons enfin un nom. Underground, c'est pour dire qu'on appartient au monde du cinéma expérimental et de l'art contemporain. Trouver notre nom, c'est un signe. Définir notre identité, ça donne confiance pour continuer.

Premier concert payant en novembre. La première partie d'un groupe appelé Middle Class dans un lycée du New Jersey pour 75 dollars. Mais Angus, le batteur, se braque. « Ça veut dire qu'on commence quand ils nous sifflent et qu'on finit quand ils ont décidé ? » « Pas question. Il ne travaillera pas dans ces conditions. » « Personne ne dit à Angus de s'en aller. Mais pour lui, arriver à une heure précise, jouer une durée limitée, travailler pour de l'argent, c'est impossible. »

Ça a été une belle leçon sur la pureté de l'esprit. Angus est un percussionniste de rêve, une personne de rêve. Il faut trouver un autre batteur. Je ne sais plus qui m'en a parlé, d'un batteur qui joue un bon rythme en blues. Oui, c'est John Tucker, un ancien compagnon de chambray à Syracuse. C'est lui qui m'en a parlé. On lui dit de venir au 56 Ludlow Street. Maureen Tucker ?

Je suis le batteur. C'est sa sœur, la sœur de John Tucker. Tu joues de la batterie ? Un peu. Sinon, tu fais quoi ? De l'intérim. En ce moment, je perds fort des cartes chez Honeywell. Et c'est quoi ton rythme en blues ? Bo Diddley. Tous les soirs, quand je rentre du travail, je m'entraîne là-dessus. Tu peux jouer ? J'ai joué un rythme adapté du batteur nigérien Babatunde Olatunji. Une remarquable assise, et ils m'ont prise juste pour le concert. John ne veut pas de filles. Maintenant, on fait vraiment du rock'n'roll.

On se remet au travail. The Black Angel's Death Song. Lou l'écrit à Ludlow Street. Un long poème, très littéraire. Lou me montre comment il a appris de Delmore Schwartz à Syracuse la méthode d'écriture pour une chanson. Je prends mon alto et commence à chercher. Chant de mort de l'ange noir.

Les myriades de choix de son destin se sont dressés sur un plateau. Il pouvait choisir. Qu'avait-il à perdre ? Pas un pays en sanglanté de fantômes tout couvert de sommeil où l'ange noir pleurait ? Pas une rue de vieille ville à l'est ? Parti pour choisir. Et le frère errant marchait dans la nuit, avec les cheveux dans la figure, longues,

Très longue coupure, tailladée au cran d'arrêt. Pendant que Cale cherche quelque chose sur l'alto qu'il a branché sur le petit ampli, à la manière de ce qu'il fait chez la Montignan, Lou regarde par la fenêtre l'enseigne « All Cell Crosses » écrite blanc sur brun de l'autre côté de Ludlow Street. Je pense que ce serait bien de fabriquer une guitare qui soit comme un livre. Chacun peut la toucher, elle produirait un son à chaque fois différent, comme un livre. Chaque personne a un son particulier.

Chaque arbre, le béton, le plastique. Quelques heures plus tard, John lui donne quelques accords à l'alto. Un motif de base lancinant, survolté, déchirant, hypnotique. Il s'accorde alto-guitare. Et Lou place ses paroles. Ça devient The Black Angel's Death Song. L'époque rêve, c'était dans Ludlow Street. C'était, comme dans un roman de Hubert Selby, un rêve d'un réalisme étonnant.

Soudain, elle s'est réveillée. Et l'époque ne se souvient même pas à avoir rêvé. Comme après Black Angel's Death Song. Je ne serais pas surpris que les plus grands moments de satisfaction de Lou surviennent quand il a écrit une chanson. Cela dénoue les tensions dans sa tête. On cherche la synthèse entre le réalisme du 19e siècle européen et le reportage dans les rues de New York en 1965, entre la musique savante contemplative et la musique pop.

On se moque de savoir où tu es, toi, nous, on est là. Et on tient quelque chose que personne ne peut imiter.

Le son velvette. Choisis dans quel camp tu veux être. Si le caillou ricoche, fends la didactique en deux. Etale la couleur des traces de souris tout en vert. Essaie au milieu. Si tu choisis, essaie de perdre. Pour la perte de la dépouille, viens et démarre. Démarre la partie. Choisis de choisir. Choisis de partir.

...

C'était « Louride, les années velvettes » de Christine Spianti. Deuxième épisode, réalisme expérimental. Avec Andréa Schiffer, la voix de l'époque, Quentin Bayot, Louride, Nicolas Buchout, John Cale, Bastien Bouillon, Sterling Morrison, Clémence Boucher, Maureen Tucker et Élodie Hubert pour la voix anglaise. Conseillère littéraire, Emmanuelle Chevrière.

Équipe de réalisation Demain, troisième épisode Cendrillons électriques