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cover of episode "Sans moi" de Marie Desplechin 1/10 : L'amour et le hasard

"Sans moi" de Marie Desplechin 1/10 : L'amour et le hasard

2025/6/15
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Le Feuilleton

AI Chapters Transcript
Chapters
L'histoire commence par la découverte de la dépendance à la drogue d'Olivia, la baby-sitter. La narratrice hésite à la renvoyer, puis enquête discrètement sur la situation d'Olivia avec l'aide de son frère et d'un ami.
  • Découverte de la dépendance d'Olivia
  • Enquête discrète de la narratrice
  • Réticence à renvoyer Olivia

Shownotes Transcript

France Culture 100 mois de Marie Desplechin Adaptation Qu'est-elle Guillaume Premier épisode Faut que je t'avoue un truc Je t'écoute Tu te souviens quand je suis arrivée ici chez toi en septembre ? Bah oui je m'en souviens, on n'est qu'en octobre tu sais Bah à ce moment là faut que je te lise Je prenais encore de la dope Ah, je le savais Tu savais quoi ? Je savais que tu te dopais

Pourquoi tu ne m'as pas foutu à la porte ? D'habitude, les gens n'aiment pas beaucoup les baby-sitters qui se droguent. Si ça avait été une autre, je l'aurais mise dehors. Tu veux un café ? Si je ne t'ai pas virée, c'est parce que je te faisais confiance. Tu m'entends ? C'est parce que j'avais de l'affection pour toi. En général, nous apprécions l'amour de nos semblables, au titre de reconnaissance nécessaire ou de divine surprise. Nous avons été élevés pour ça, d'une façon ou d'une autre, selon la voie du manque ou celle du trop-plein, peu importe.

Au bout du compte, nous aimons être aimés, et nous aimons aimer à tort et à travers et à nos dépens, mais enfin avec entêtement, avec récidive et avec préméditation. L'amour nous plaît, son bruit de chêne et ses fruits de saison. Et tant mieux, rien n'est plus désolant que de détester l'amour. Et quelqu'un t'a dit quelque chose ? Non, j'ai deviné. C'était pas très difficile. Olivia croulait sous les ennuis.

Pour n'avoir connu ni le manque ni le trop-plein, mais l'absence et l'anarchie, elle entretenait vis-à-vis des sentiments d'autrui une méfiance de pauvre voyou. Pour conforter mes soupçons, j'avais convoqué chez moi un matin mon frère Laurent, conseiller familial, et son ami Patrick, expert, lui-même à demi repenti, toujours plein de regrets et sujet à la rechute. Répète-moi ce que tu m'as dit au téléphone. Certains soirs, elle est toute sombre, elle ne dit rien.

Et puis, le lendemain, elle n'arrête pas de parler. Elle est complètement excitée, avec les yeux brillants. Elle parle tout le temps des médocs qu'elle prend, qu'elle a pris, de l'alcool. Mais elle jure que la drogue, non. Quelle connerie, quand on voit la déchéance sur tous les filles, sans dents, à traîner sur le cours de Vincennes et patati et patata, tu vois. Et puis, il y a tous ces types au téléphone à qui elle refuse de parler comme si elle avait peur. Il y a ceux qui passent et qui repassent dans sa chambre à toute heure du jour et de la nuit.

Et puis les paquets qu'elle doit livrer en taxi pour qui, avec quel argent, on sait pas. Un soir, elle m'a raconté qu'elle avait emmené ma fille avec elle pour déposer un truc. Une balade en taxi, c'est marrant pour un gosse, qu'elle m'a dit. Ah là, j'ai répondu que non, ça n'avait rien de marrant. Qu'il était plus question de paquets ni de taxi à l'avenir. T'as bien fait. Et d'autres indices ? Le papier alu, qui disparaît de la cuisine. Ouais, l'alu, c'est gênant, ça. C'est très gênant. Tu vois ?

Bon, il faut qu'elle s'en aille. Si tu veux, on peut lui dire non. Non. Non, je préfère débrouiller cette histoire moi-même. Là-dessus, mon frère est parti bosser et je suis restée avec l'expert désolé. Nous sommes allés au lit aussi sec car nous étions occasionnels. À mon grand-dame d'ailleurs, j'aurais préféré un peu de régularité. Mais ça t'embêtait pas ? Si, si, un peu. Mais en même temps, j'avais pas du tout envie que tu t'en ailles. À cause des enfants ? Oui, à cause de moi aussi. Je voulais pas te virer...

Je voulais pas t'engueuler non plus. Je voulais juste que tu te drogues pas. Il était clair qu'au palmarès des menteurs et des toxicaux auxquels la vie m'avait offert de m'attacher, elle avait la palme, l'encens, les lauriers et l'arc de triomphe tout entier. Il était clair aussi que, le lendemain de notre rencontre, il me semblait la connaître depuis toujours. Et je dis pas connaître sa vie, mais sa personne, les traits de son visage, sa façon de rire et ses brusques tristesses.

Je pouvais identifier la couleur de ses chaussettes dans la machine à laver et ses plis dans le linge qu'elle repassait. Pourtant, j'avais 15 ans de plus qu'elle et nos vies étaient aussi étrangères l'une à l'autre qu'un roman de Jane Austen à une nouvelle de Selby. Et tes copains, Agnès, toute la bande, tous ceux qui m'ont envoyé chez toi, tu leur as demandé ? Bah, évidemment. Bah oui, ils m'ont toujours éconnant. Jamais. Pas de drogue. Ça en était même étonnant compte tenu de ce que t'avais vécu.

Pas de drogue, pas de prostitution. Pour une fille de la DAS qui avait vécu dans la rue quand on a vu ce qu'elle a vu, pour eux c'était vraiment un miracle. Tu peux y aller les yeux fermés, ils m'ont dit. En plus, elle adore les enfants. Mais tu peux pas leur en vouloir, ils savaient pas. Ils sont purs, Jean-Luc, Dominique, Agnès. Jamais j'aurais voulu qu'ils doutent. Demain, on ira acheter une télé pour ta chambre. On va profiter que les petits sont chez leur père, puis on va aller chez Dirty. D'accord.

Ça m'aidera peut-être à dormir. Je ne sais pas dormir la nuit, je me sens trop mal toute seule. Ah mais c'est la chambre de bonne, elle est trop petite. Mais non, non, non, je ne crois pas. Franchement, je l'aime bien la chambre. Moi, je n'ai jamais eu un endroit comme ça, moi, avant, avec la clé et tout. Non, non, c'est plutôt la nuit qui me gêne en fait. Le jour, je suis mal, mais la nuit, je suis encore plus mal. Je suis forcée de tout laisser allumer, la lumière, la radio à fond. Tu es enrhumée ? Non.

Non, non, mais c'est le métro, je suis allergique. T'as mal chauffé ta chambre, non ? Non. Ça va, franchement, je suis sûre. Comment tu fais pour t'en passer ? Toi ? Ça, je m'en passe, c'est tout. J'en ai presque pas de l'immeuble, comme ça je suis sûre de rencontrer personne. Sauf quand je vais chez le psychiatre à Saint-Anne pour qu'il me filme caché, mais enfin... Voilà.

T'es sûre que tu veux m'acheter une télé ? Je me suis dit que pour moi, ça ne vaut pas la peine. Bien sûr que si. Dans le magasin, Olivia a observé un silence inébranlable. Elle me suivait sans rien dire. Le front bas, les yeux au sol. Le vigile ne nous a pas lâchés d'une semelle. J'ai acheté un chauffage soufflant à céramique et une petite télé qui coûtait moins de 100 euros. Nous sommes rentrés en taxi...

Nous avons pris l'ascenseur jusqu'au sixième, puis l'escalier de service pour le septième. Olivia n'a pas ouvert la bouche et j'ai porté la télé tout le temps. Je les ai laissées dans la chambre, la télé, le chauffage et elle. J'étais un peu décontenancée en revenant dans l'appartement. Je n'avais pas l'habitude qu'on ne me remercie pas. Alors je me suis dit qu'elle me remerciait sans doute dans le secret de son cœur ou qu'elle me remercierait un jour plus tard quand elle ferait les comptes ou que j'étais qu'une folle à vouloir que tout le monde me remercie sans cesse à tour de bras pour ma patience et ma bonté.

Comme les enfants n'étaient pas là, j'ai allumé le Mac et je me suis mise au travail. J'étais d'humeur facétieuse, j'ai tapé. J'ai remarqué que le racket monopolistique rend chaque année un peu plus féroce. Les esclaves et leurs capots ont adapté leur méthode d'exploitation. J'ai relu et remplacé « racket monopolistique » par « mondialisation ».

féroces par exigeants, les esclaves et leurs capots par les femmes et les hommes du groupe, exploitation par travail. J'écrivais à la commande pour des agences de communication. Quand j'étais de bonne humeur, je comparais mon activité professionnelle à celle d'un embaumeur. On me confiait un magma de mensonges décomposés qu'il s'agissait de rendre présentables au terme d'un douloureux patchwork d'approximations, de contre-vérités et de phrases absolument dépourvues de sens.

Le grand art consistait à préserver l'apparence de la réalité, tout en la vidant entièrement de son contenu pour la bourrer de foin. Ce qui exigeait à la fois une technique de boucher et un toucher de maquilleuse. A force de pratiquer, j'étais parvenue à une forme d'excellence, de sincérité, d'élégance, vulgaire et sournoise. À 8h30, j'avais terminé un épais tissu d'ânerie d'une valeur nette de 500 euros. Il faisait nuit et il pleuvait.

Je savais qu'à cette heure, un samedi soir, tout le monde se préparait à sortir sans moi. Plus personne ne m'inviterait à dîner. Alors je me suis servi un verre de rouge que j'ai bu, assise à ma table, en regardant mon Mac dans le blanc de l'écran. « Ouais ? » « Tu travailles encore, nous ? On voit rien ici. » Olivia a allumé l'halogène et une avalanche de lumière a déferlé sur nous. Elle était très pâle et avait autour des yeux des cernes si profonds qu'elle ressemblait à un raton laveur.

Mais j'étais tellement contente de la voir que j'ai bondi sur mes pieds. Mais t'es encore là ? Je croyais que t'allais chez ta soeur. Bon, vaut mieux pas, je pense. Bah tu dînes avec moi alors ? Ouais, si tu veux. Elle s'est assise à la petite table de la cuisine et elle a fumé tranquillement pendant que je découpais en morceaux tout ce qui me tombait sous la main. Un oignon, une tomate, des pommes de terre très blanches au goût sucré. Au fait, pourquoi tu vas à ça en table ? C'est assez loin d'ici, non ? Bah je les connais. T'en es d'où ? D'avant, quand j'étais dans la rue.

Une fois j'en ai trop marre, j'avais envie de me reposer. Et il y a un mec qui m'avait dit t'as qu'à arrêter de manger, tu vas tomber par terre, ils seront forcés de te ramasser. Alors j'ai arrêté de manger, je suis tombée par terre et le samu m'a ramassée. C'est sûrement que je devais être trop jeune pour qu'il me largue dans un foyer, alors je me suis retrouvée à Saint-Anne. Et là ils m'ont gardée parce que je les ai marrées les infirmiers, les médecins avec mes histoires. Mais bon, comme au bout d'une semaine ils ne pouvaient plus me loger à cause de la loi, ils ont appelé ma sœur.

Sauf qu'elle, elle voulait pas de moi. Donc c'est la DAS qui m'a sortie. Et là, je suis allée me faire engueuler par le juge et puis je me suis retrouvée dedans. Oublie pas de passer nous voir, elle m'avait dit le docteur. Mais pourquoi elle a refusé de te prendre, ta soeur ? Mais elle veut pas en entendre parler, de s'interner. Elle dit que ça donne un sale genre à la famille, toutes ces histoires avec ma mère déjà internée et moi partie le marché. Non, non. Elle était pas à Colombe, ta mère ?

Bah si justement, elle a été internée. Mais pour les gens c'est pareil. Internée pour ci, internée pour ça, ils s'en foutent. Je préfère pas interner du tout. J'ai déménagé l'ordinateur dans ma chambre pendant qu'Olivia dressait le couvert sur la table à très tôt. J'ai rabattu l'halogène, mis de la musique et nous avons dîné en bavardant. Ça t'embête pas si je dors ici ? Non, moi aussi ça m'arrive d'avoir peur la nuit.

Nous avons étendu un matelas par terre, dans le séjour, et elle a entassé les couvertures. Bonne nuit. Bonne nuit à toi. Je suis allée dans ma chambre, j'ai poussé les livres qui encombraient mon lit, mais avant de m'allonger, je suis retournée dans le séjour, sur la pointe des pieds. Olivia dormait profondément, alors j'ai éteint la lumière et la radio.

Avant même de les voir pour la première fois, au seul intitulé de leur prénom, Olivia avait adopté Gaspard et Suzanne. En général, je ne suis pas à l'aise avec les gens. C'est pas que je m'ennuie, mais plutôt si je m'ennuie et en plus je suis malheureuse. Si je pouvais choisir, je resterais toujours avec des enfants. Il m'arrivait d'avoir des remords de la savoir depuis des heures enfermée avec eux, à jouer inlassablement à un succès d'année du nain jaune, ne sortant que pour un ravitaillement de jus d'orange.

Alors je remontais le couloir, je poussais doucement la porte de la chambre et je les regardais, vautrés sur la moquette, devant leurs cartes et leur petit tas de jetons. Non mais arrête, ça suffit. Suzanne, franchement, tu triches tout le temps. Si tu continues, moi j'arrête de jouer. Ouais, c'est vrai, si tu continues, on joue plus avec toi. Non, t'en prends plus que... Regarde, te fous pas de moi, franchement. Allez, à toi, Olivia. Ceux-là, c'est les miens, tu les rends. À toi, Olivia. Le jeu reprenait, ils étaient concentrés, tous les trois. Moi, je pose ça.

Je refermais la porte sans bruit. C'est pas seulement qu'elle avait décidé de les aimer, non. Elle avait pris leur partie. Contre le monde et contre tous. Et contre moi s'il le fallait. Suzanne, je me fais pas de soucis pour elle. Elle aura pas de mal à s'en sortir. Mais Gaspard, il a besoin qu'on le soutienne. Tu sais pas comment ils sont dans les écoles ? Ils connaissent rien aux enfants. Un enfant qui est pas comme les autres, ils le démolissent.

« Tu devrais faire attention, tu sais. » L'immense sollicitude d'Olivia était confortée chaque jour ou presque par les résultats désastreux que Gaspard ramenait de l'école. Toute note inférieure à la moyenne était immédiatement interprétée comme la manifestation de dons exceptionnels. « Le problème, c'est que c'est un surdoué. Forcément, ça ne peut pas aller avec l'école. » Elle se désolait pour lui. Elle rêvait de le sortir des sales pattes de ses maîtres.

Il lui arrivait même, lorsque je les quittais tôt le matin pour aller travailler et qu'elle conduisait les enfants à l'école, d'en revenir avec Gaspard. Ça lui sert à rien d'y aller. Il apprend rien. Il s'emmerde. C'est tout ce qu'il fait la journée. Mais il rencontre des gens là-bas. Il échappe à notre amour inquiet. Et puis peut-être qu'il apprend quand même quelque chose du monde. Quelque chose de l'ordre de la résistance. Ouais. Pour le moment, il croit qu'il est vaincu. Mais nous, nous savons qu'un jour viendra où il sera vainqueur.

Parce qu'il le mérite. Et parce que nous l'aimons. Olivia, faut pas toujours fuir. Faut savoir rester et se battre. Je frappais du poing dans l'air indifférent. Ni elle ni moi ne croyions tellement dans nos propres chances de victoire. En tout cas, dans la mesure du possible et sauf exception, je préfère qu'il aille à l'école. Compris ? Compris. Salut. Salut. Comment est-ce que ça va ? Ça va. Le problème est réglé. Elle est partie ? Non, elle décroche. Ah bon ? Mon frère était dubitatif.

Mais, redoutant mon mauvais caractère, il n'avait pas voulu s'étendre plus avant sur ses craintes et ma crédulité. Pourtant, fin octobre, Olivia avait pris 10 kilos et elle se rongeait les ongles jusqu'aux coudes. Elle avait cessé de m'entretenir le soir dans la cuisine, des ravages de la drogue. Elle avait d'ailleurs pour l'essentiel cessé de parler, de sortir de l'immeuble, de se laver les cheveux. Il n'était que trop clair que cette fille ne se droguait plus. J'avais remisé mes soupçons.

Mon inquiétude avait viré de bord. Quand je lui téléphonais le soir, dans sa chambre, je ne reconnaissais pas sa voix. Tant elle était pâteuse et lente, elle tremblait sur chaque mot et je craignais toujours qu'il lui arrive quelque chose.

Qu'est-ce qu'elle pouvait bien foutre à part mourir à petit feu toute seule là-haut dans son réduit ? Non, maintenant en fait. Si t'es pas là dans 5 minutes, je vais te chercher. Je collais Gaspard et Suzanne dans la baignoire, tout robinet ouvert, et je filais dans la cuisine où elle m'attendait. Les cheveux dans les yeux, les yeux dans le vide.

et les pieds chaussés de mules immenses en velours rose. Bon, Olivia, reste innée avec nous. J'ai pas faim, là. Je m'en fous. À cette heure-ci, tout le monde mange. Assieds-toi. Elle s'asseyait sur la chaise tandis que je posais une casserole d'eau sur le feu. Je débouchais une bouteille et je servais deux grands verres. Tout le monde ne peut pas faire sans alcool. En tout cas, ni elle ni moi à cette époque. En fin de journée, surtout. Olivia. Les minutes passaient. C'était de très grosses minutes. Très belles et très poussives.

qui tombaient entre nous et prenaient comme du béton. Puis ils déboulaient en pyjama, les cheveux humides, labourés par le peigne. La serpillère à la main, Olivia suivait et nous pouvions dîner.

D'Artagnan alors se rappela cette recommandation. Si vous tenez à votre vie et à celle de ceux qui vous aiment, demeurez immobile comme si vous n'aviez rien vu. Il s'arrêta donc, tremblant. Je crois que je dois remonter dormir. Elle n'attendait même pas que j'aie fini de leur lire un passage des Trois Mousquetaires. Mais attends un peu, on va d'abord faire un café. J'aurais pu lui dire aussi bien, attends un peu, on va faire une course à pied. Attends un peu, on va d'abord lire la Bible. Attends un peu, on va d'abord danser une tarantelle.

Je ne voulais surtout pas la laisser filer, pas encore. Je n'aimais pas l'idée qu'elle sorte de l'appartement, même pour changer d'étage. Je n'avais aucune confiance dans le monde. Qu'allait-elle fabriquer une fois dans sa chambre ? Pleurer encore ? Se bourrer de médocs ? Regarder le plafond en laissant gueuler la radio ? Vraisemblablement le tout ensemble. Et je me demandais combien de temps elle tiendrait à se supporter, elle. Le courage et la force ne sont pas sans limite. « Olivia, je vois bien que ça va pas. »

Ta sœur a téléphoné, elle veut que tu la rappelles. Peut-être que tu devrais aller la voir, ça pourrait te faire du bien. Mais c'est pas ma sœur, c'est ma demi-sœur. Vous avez le même père ? Tu rigoles ? Elle peut pas supporter les Arabes. Et alors ? Bah mon père est marocain. C'est pour ça ? C'est pour ça quoi ? Bah ton visage, je me demandais. Elle avait le visage en forme de cœur, les yeux caramels, fendus en amande, la peau fine et pâle, le nez droit et les lèvres épaisses et rondes.

des cheveux châtains qui bouclaient à peine, un très joli rire aux dents blanches et carrées. Tu crois que je lui ressemble ? Pour m'imaginer la ressemblance, il avait fallu que je me la figure en pyjama de soie irisé, du jasmin dans les cheveux et des chaînes d'or au pied, ce qui n'allait pas de soi. Déguisée en odalisque, figée dans un léger déséquilibre mélancolique, elle faisait une très probable chérazade échappée du petit palais. De là cette grâce surannée.

qui tenait moins au mariage des sangs qu'au mariage des rêves. De là, mon émotion à moi, qui avait passé des heures et des heures d'enfance à contempler, dans un album géant, les visages en chœur peints par Ingres. Le Maroc, j'ai failli y aller une fois, avec un copain en bagnole. On a dû s'arrêter à la frontière espagnole. On était à sec. Sans moi. Un roman de Marie Desplechin.

Publié aux éditions de L'Olivier. Adaptation Cattel-Guillaud. Premier épisode. Avec Marie Payen, Judith Chemla, Vincent Berger, Laurent Dols, Madeleine Ziadé et Ambroise Marant. Bruitage Sophie Bissons. Conseillère littéraire Emmanuelle Chevrière.

Prise de son, montage et mixage Philippe Redin, Éric Villanfin Assistante à la réalisation Yael Mandelbaum Réalisation Cédric Ossira