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cover of episode "Sans moi" de Marie Desplechin 2/10 : La drogue et la peur

"Sans moi" de Marie Desplechin 2/10 : La drogue et la peur

2025/6/15
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Le Feuilleton

AI Chapters Transcript
Chapters
Le narrateur engage Olivia, une jeune femme accro à la drogue, comme baby-sitter. Malgré la situation délicate, il choisit de l'aider plutôt que de la renvoyer. Le chapitre décrit la rencontre avec Olivia et son apparence physique dégradée par la drogue.
  • Olivia est engagée comme baby-sitter
  • Elle est une junkie
  • Le narrateur choisit de l'aider à se sevrer
  • Description physique d'Olivia montrant les effets de la drogue

Shownotes Transcript

France Culture. « Sans moi » de Marie Desplechin. Adaptation Qu'est-elle Guillaume ? Sur les conseils de plusieurs de mes amis, j'avais engagé Olivia pour s'occuper de mes enfants, Suzanne et Gaspard. Olivia s'est tout de suite révélée une baby-sitter hors pair. Le problème, c'est qu'elle était aussi ce qu'on appelle une « junkie ». Malgré ce détail embarrassant, comme cette fille me touchait, j'ai décidé de la garder à mon service.

Plutôt que de lui faire la leçon, je préférais l'aider à décrocher. Deuxième épisode. Olivia n'était pas entièrement dépourvue de famille. Elle avait une demi-sœur qui s'appelait Brigitte, mariée à un type et flanquée de deux enfants. Leur mère, ayant décidé d'abandonner le monde référencé, ses gamines lui avaient été retirées. Les voisins, inquiets de ces enfants qu'on négligeait de nourrir et de laver, s'étaient sentis rassurés. La das n'avait peut-être pas de cœur, mais elle avait une tête. Sous son vigilant contrôle, au moins les petites seraient nourries.

Les voisins n'avaient pas tort. Les grands-parents avaient adopté Brigitte, mais préféraient tenir Olivia à distance. Pour cause de père marocain, sans doute. Elle avait été placée dans une famille d'accueil en Normandie. Voilà donc comment Olivia, qui n'avait jamais connu son père, n'avait même pas de souvenir de sa mère. Juste une photo d'une très belle femme en noir et blanc qu'elle m'avait montrée, afin que je considère la ressemblance.

La DAS, dans sa vigilance, avait toutefois préservé un lien ténu entre Brigitte et Olivia, prévoyant qu'un jour les deux sœurs auraient le désir de se retrouver, pour se servir l'une l'autre de témoins des origines. Et c'est ce qui s'était passé. Quand Olivia avait fugué de Normandie, la première fois, à l'âge de 13 ans, elle avait emporté l'adresse familiale dans la petite poche de son blouson. Elle était montée dans le train pour Paris, et un beau matin, elle avait sonné chez sa sœur. Salut, je suis Olivia, ta sœur.

On va voir ça. Je l'avais rencontrée une fois, un jour de déménagement. Le beau-frère était venu apporter un matelas à Olivia et la sœur l'avait accompagnée. Une femme aux vêtements sobres et sombres, au visage nu, qui parlait à voix basse comme si elle redoutait le son de sa voix. Elle n'avait pas voulu entrer à l'intérieur de l'appartement. Elle s'était contentée de chuchoter sur le paillasson, lorgnant dans le couloir par-dessus mon épaule. Nous sommes demi-sœurs, Olivia et moi. Elle vous a peut-être raconté qu'elle n'a pas été élevée dans la famille. Nous ne venons pas du même milieu, merci.

Ce qui explique beaucoup de choses. Avant qu'Olivia reprenne un téléphone portable, elle avait perdu le sien dans des circonstances qui me sont toujours restées mystérieuses, nous avons partagé le même numéro, elle et moi. J'héritais donc pendant quelques temps des appels auxquels elle ne voulait plus répondre. J'avais reçu à ce propos des consignes drastiques. S'il te plaît, tu ne vis plus à Paris, d'accord ?

Je peux être désagréable ? Ouais, moi aussi. Allô ? Je ne notais même plus les messages. Je coupais les ponts avec férocité, me contentant de répondre qu'Olivia n'était pas là, plus là, que non, je ne savais pas quand on pourrait la joindre, au revoir, merci de ne plus rappeler. Parfois, elle me demandait... Et t'as pas eu un coup de fil d'un type avec une voix douce, assez polie, genre vers 11h du soir, non ? Et quand je répondais que oui, et qu'il n'appellerait sans doute plus, elle avait un sourire rassuré. Ah bah tant mieux, cool. Mais parmi tous les appels...

Je n'avais pu me débarrasser de ceux de la sœur, plus furieuse qu'inquiète qu'Olivia ne lui réponde pas. Sans la décourager définitivement, j'avais opposé un barrage poli mais ferme. Cette femme me faisait horreur, elle et sa voix plaintive au téléphone. « Olivia, je veux bien que t'aies pas envie de voir ta sœur, mais tu crois pas que tu devrais sortir un peu pour changer les idées ? » « Non, non, vaut mieux pas que je sorte en ce moment. Dès que je mets le nez dehors, je rencontre des gens. »

Est-ce que j'ai l'air de quelqu'un qui veut rencontrer des gens dans la rue ? Elle n'avait pas l'air, non. Elle était devenue grosse, ses cheveux étaient pitoyables. Elle qui les avait plutôt vigoureux d'habitude. Ses yeux étaient étroits et soulignés de poches sombres. T'es un peu grossie, non ? T'inquiète, j'ai fait jusqu'à 90 kilos. Vraiment ? Attends, je vais te montrer une photo. Regarde ça. La photo avait été prise au flash. Les visages étaient sireux. Les vêtements, criards. Et Olivia, énorme. Oh là là.

Je t'aurais pas reconnu. C'est dingue. T'as vu ? Tu fais pas les choses à moi, tu es toi, dis donc. J'avais 17 ans, là. C'est marrant. Je suis tellement plus vieille là-dessus. Ouais, je sais. Faut dire que c'était pas trop la grande forme. Tu penses que tu vas remonter jusque-là ? Bah, j'espère bien que non. Non, ça va aller mieux. Je vais arrêter de me gaver. Quand je vais bien, je maigris à toute vitesse, tu vas voir. Bah, il manque ta vie, alors. J'adore quand tu vas bien et les enfants aussi. Tu crois qu'ils se rendent compte que je suis pas en forme ? Oh, pas beaucoup.

Mais un peu, forcément. On voit que t'es fatiguée, on sent que tu fais des efforts. C'est pour ça qu'ils sont gentils. Ah non, ils sont gentils parce qu'ils t'aiment beaucoup. Moi aussi je les aime beaucoup. Au début du mois de novembre, l'hiver s'est installé. J'ai acheté plusieurs sacs de bûchettes. Après le dîner, nous faisions du feu. Nous nous asseyions tous les quatre devant la cheminée et nous regardions les flammes. Nous méditions sur l'énergie. Il n'y a plus de bois ? Lucie, regarde au fond du sac là-bas.

Il était trop tard pour descendre, les magasins étaient fermés. Dehors, il faisait froid et pluvieux. J'ai senti les larmes me monter aux yeux. J'ai décidé de brûler une porte qui traînait dans le débarras depuis notre emménagement et qui ne correspondait à aucun placard de l'appartement. Comme je n'avais pas de scie, nous avons entrepris de brûler la porte entière en coinçant le haut dans le foyer. Le bois était sec, la porte s'enflamma rapidement.

Finalement, nous avons passé une bonne soirée, paisible et silencieuse, à pousser doucement la porte vers le fond de la cheminée au fur et à mesure qu'elle se consumait. La peinture écaillée brûlait facilement.

de petites flamèches bleues couraient sur la surface. Je me demandais d'où pouvait venir la satisfaction particulière qu'il y a à brûler son mobilier, chez soi, un soir d'hiver. Cette même semaine, j'ai fait de la tisane au thym, parce que ça protège les bronches et tient les rhumes à distance. J'avais lu ça dans un magazine. Goûte-moi ça. C'est bon pour la santé, tu vas voir. Ah ouais ? Ouais, c'est pas mauvais ?

J'étais si contente de cette nouvelle amélioration de notre existence que je fis infuser du thym à longueur de journée. La tisane remplaça le thé. Nous en buvions sans cesse. Au bout de quelques jours, nous étions malades, Olivia et moi. C'est peut-être à cause du thym ? Ouais, il faudra mieux d'arrêter. Ça donne des boutons à force. Pour l'ordinaire de nos conversations, nous en étions toujours à la drogue.

Olivia, à demi sevrée, se tairait dans l'appartement comme un loir terrifié. Je me sens pas trop descendre à la boulangerie. Tu veux pas y aller plus tôt ? Pourquoi ? Elle ne consentait à sortir que pour aller attendre les enfants devant l'école. J'ai peur de tomber sur eux. Tu comprends, j'ai tellement la poisse qu'il suffit que je mette le nez dehors pour en rencontrer un. Et alors ? Alors j'ai peur. Peur de quoi ?

T'as des embrouilles ? Tu dois quelque chose à quelqu'un ? Non, mais je sais pas me défendre. Ils vont me parler, ils vont encore m'embobiner. Je sais comment je suis, je peux pas résister. Elle se prenait la tête dans les mains et elle se frottait les joues comme une enfant prise en faute. Des fois, j'ai l'impression que j'y arriverais pas à m'en tirer. Et pourquoi tu t'en tirerais pas ? Hein ? À cause de trois petites frappes qui traînent dans la rue alors qu'elle devrait dormir en prison ? Attends !

Attends un peu que je m'en occupe moi. Je vais aller chez les flics. Moi j'ai pas de casier, j'ai une famille, je gagne ma vie, j'ai le droit. Olivia baissait la tête et regardait ses pieds. Tiens, d'ailleurs tu vas m'accompagner. On va y aller toutes les deux. Demain on porte plainte et tu pourras enfin sortir de cet appartement. La rue elle est à tout le monde. Merde ! Jette un coup d'oeil dans la chambre des enfants, je vais acheter du pain. Non mais pas les flics, en fait je crois que je préfère me débrouiller toute seule. Eh bah voilà. T'as qu'à dire non après tout, c'est facile. Regarde-moi. Non !

Justement, je ne sais pas. Eh bien, prends ! Bordel ! J'arrive ! Bonsoir. Je voudrais une tradition, s'il vous plaît. Pas trop cuite. Je nous imaginais au commissariat. Moi en furie bourgeoise. Les pauvres flics blasés. Olivia portant ses yeux tremblants de repentis de fraîches dates. Comme deux sucettes choupa-choups plantées au milieu du visage. Merci. Au revoir. Au revoir.

Dans le hall, j'ai appelé l'ascenseur sans prendre la peine d'allumer la lumière. Un homme est venu. Madame Alves, vous me faites peur. Il a demandé mademoiselle Bernier tout à l'heure, à la loge. Qui ça ? Vous connaissez les hommes qui visitent mademoiselle Bernier ? Un peu. C'était une réponse de solidarité car non, je ne connaissais pas ces hommes, pas personnellement. Ce sont des voyous d'êtres, vous pouvez vous renseigner. Peut-être si vous interrogez mademoiselle Bernier...

J'avais un peu de mal à comprendre ce que me disait Mme Alves, non pas tant à cause de son accent que parce que sa beauté me renversait. Elle était mince, avec un visage aigu, auréolé de boucles sombres, des vêtements noirs. Elle portait le deuil comme un bijou. Elle était veuve, malgré son jeune âge. Je ne dis rien, tant que les locataires ne se plaignent pas. Mais vous devriez faire attention. Des plaintes, je vais venir par à la voir. Merci, Mme Alves. Je vais faire attention. Très bien. Bonne soirée.

Merci. J'avais confiance en Mme Alves. Je savais bien qu'elle aurait pu nous balancer au propriétaire de l'appartement. Je n'étais tout compte fait qu'une femme seule, avec deux enfants, qui me rendait vulnérable et quasi pauvre, en tout cas indésirable au regard émotif des propriétaires parisiens. J'avais beau payer mon loyer avant le 15 du mois, je m'attendais toujours à recevoir mon congé pour défaut de morale et de fiabilité. Mais Mme Alves n'était pas tombée de la dernière pluie. Et puis nous étions liés par les mômes.

Gaspard et Manuel, son neveu, étaient camarades de classe. Ils s'étaient pris d'amitié. Quand j'ai poussé la porte de l'appartement, j'avais mangé le tiers de la baguette et les enfants étaient en pyjama. Ils travaillaient. Olivia avait repris son rôle de répétitrice des écoles primaires, un rôle dans lequel elle accélère, avec son orthographe péremptoire, ses intuitions acrobatiques et son inépuisable patience.

Le problème résidait dans sa trop grande bonté. Allongée sur le tapis, Olivia s'épuisait à déchiffrer un polycopier à peine lisible, tandis que Gaspard était tendrement appuyé contre sa hanche, en train de nettoyer d'un doigt distrait un vieux pot de Nutella.

Non mais tu verrais ce qu'on lui fait apprendre, mais les pauvres quoi. Ils sont dingues ces profs. Non mais t'inquiète pas, on a fini dans 5 minutes. Oh bah prenez votre temps, je vais faire une soupe moi. Nous avons appris ce soir-là qu'un roi de France avait donc fait construire un mur autour de Paris, ou autour du 11e arrondissement, ou autour d'on ne sait quoi, le texte n'était pas très explicite. Enfin bref, un mur qui n'existait plus depuis longtemps. C'était vers l'an 1200.

Et Gaspard ignorait si cet événement considérable s'était produit avant ou après l'extinction des dinosaures. Seul repère insubmersible du marigot chronologique. Olivia, elle, savait que l'extinction des dinosaures avait précédé les rois de France, mais ses connaissances n'allaient pas beaucoup plus loin. Plus généralement, j'avais constaté avec stupéfaction que le nom de Marx lui était inconnu,

comme ceux de Danton, Gutenberg, Van Gogh ou Roosevelt, Staline, Baudelaire ou Martin Luther King. Elle ignorait tout du dernier siècle et de ses guerres. Elle ne savait pas qui gouvernait la France. L'histoire glissait sur elle comme l'eau sur les plumes d'un canard. Il y avait quelque chose de très beau dans cette inestimable ignorance. Du moins, je pensais ainsi parce que je l'aimais et parce que je lui étais reconnaissante de m'apprendre que l'on peut vivre au milieu des hommes sans rien connaître de leurs histoires.

Un jour que je m'étonnais, elle avait constaté avec regret. Le docteur me l'avait bien dit, le caillou Olivia ça flingue la mémoire. Elle disparaît par morceaux et ça va t'arriver à toi aussi un de ces quatre si tu continues. Mais il avait raison, je sais rien et c'est à cause du caillou. Ouais, je trouve qu'elle a bon dos la dope. Tu sais rien parce que personne t'a jamais rien appris, c'est tout. Si tu veux un coupable, t'as qu'à te dire que c'est la faute à la société. Et puis si tu veux te racheter, t'as qu'à prendre des livres, y'en a plein ici. Ah non merci, j'ai déjà trop de choses à penser, moi j'ai pas la place pour lire un livre.

Tu vois qui c'est Armelle ? Tu vois comme elle est gentille. Un jour, elle m'a amenée à la FNAC parce que j'avais gardé ses gosses. Viens, on va t'acheter un truc. Elle m'a dit quel truc. Je ne pose pas de questions, je suis contente. On arrive et je vois des livres, des centaines de milliers de livres.

Et Armelle, elle me plante au milieu et elle me dit « Je vais choisir un bouquin. Toi, regarde, prends ce qui te fait plaisir, je te l'offre. » Elle me tourne le dos, elle s'en va. Mais je ne te dis pas la panique. Tous ces bouquins, pour moi, ils étaient pareils. Qu'est-ce que tu veux que j'aille en prendre un plutôt qu'un autre ? Mais bon, je ne voulais pas passer pour une cloche. Alors, j'en ai tapé un sur une pile au hasard. J'ai fait comme si. On est allé à la caisse. Ah tiens, elle a fait Armelle en regardant la couverture. Je n'aurais pas cru. Je n'ai jamais su ce qu'elle aurait cru. Je n'ai pas posé de questions, je pense.

Pour ce qui concernait le mur, l'histoire, les livres, tout ça n'avait aucune importance, il s'agissait d'apprendre par cœur. Et Gaspard n'y parvenait pas. Olivia le couvait d'un regard admiratif, car elle détectait le génie dans son lointain regard d'enfant.

On tournait en rond. La soupe était chaude. Gaspard, laisse tomber ce mur, tout le monde s'en fout. Je vais rendre mon gazpote. C'est nous qui restons avec moi à la maison demain. Et moi alors ? Moi aussi je peux rester à la maison ? Non, tout le monde travaille demain, les enfants aussi, c'est la vie. Allez, à table. On reprendra ce truc à la con quand on aura mangé. C'est pas juste ! Suzanne râlait tout le temps.

C'était l'une de ses qualités, l'une de celles qui nous la rendait précieuse, ce pouvoir qu'elle avait de protester. Allez, Gaspard, pas ta mauvaise tête, là. Mange. On voit bien que c'est pas toi qui va à l'école. Bon, écoute, tu sais déjà que ce type-là, Philippe, il a fait construire un mur dans Paris. C'est bien, déjà. Le reste, t'as toute la vie pour l'apprendre, tu sais. Je dis ça parce que je suis bête. Mais pas du tout, j'ai pas dit tout ça. Ça n'a rien à voir à ça, enfin. Suzanne, arrête, c'est pas drôle. Tu fais pas de se moquer comme ça.

Les enfants couchés et la lumière éteinte, il restait à évoquer avec Olivia l'affaire de ses visiteurs. Olivia, il y a un type qui te cherchait tout à l'heure. Il a demandé à la concierge. C'était qui ? Madame Alves n'aime pas ces types. Et moi non plus. Parce qu'il y en avait plusieurs ? Je ne sais pas, deux ou trois aux dernières nouvelles. Non, c'est pas ça.

C'est ma faute parce que j'avais donné mon adresse quand j'ai commencé à travailler chez toi, mais je ne pouvais pas savoir que j'arrêterais. Paniquée, les joues gonflées, elle m'évoquait cette andouille de petit cochon, celui qui pavoisait cinq minutes encore avant que le loup ne lui souffle sa hutte de paille. Moi, je roulais des épaules, semblable à cet autre petit cochon, l'aîné consciencieux, le propriétaire insolent d'une maison de briques.

Je sais que ce cochon-là a quelque chose de déplaisant, une espèce d'assurance prétentieuse. Mais j'aimais qu'il ait une maison de briques, pour se défendre du loup, de l'hiver et des propriétaires parisiens. Je m'identifiais. « Va chercher ta brosse à dents et puis installe-toi ici sur le canapé. De toute façon, ils vont vite se décourager. S'ils insistent, la concierge dira que t'habites plus ici. Puis ceux qui s'obstinent, ils auront affaire à moi. Mais enfin, ils sortent d'où ces types ? C'est à cause du caillou !

Elle disait le caillou comme on dit la bagnole ou les pompes, parce qu'on ne peut pas s'empêcher de surnommer le monde familier. Les objets comme les gens. Ça, j'avais compris. Mais encore ? Ça date de quand je travaillais dans la musique. Olivia avait donc travaillé deux ans dans un studio d'enregistrement, au poste officiel de standardiste. L'endroit était fréquenté par des amateurs et géré par des vendeurs, ce qui n'avait rien de très original, l'époque et le milieu étant assez portés sur la consommation de cocaïne.

Elle s'était retrouvée là-dedans comme une souris dans un gruyère, sans compter le plaisir qu'il y a à croiser des vedettes à longueur de temps. Les gens étaient gentils. Véreux, mais gentils. Par amitié, je ne demandais qu'à la croire, mais je n'en pensais pas un mot. Olivia n'avait pas mis longtemps à assurer toute une série de tâches annexes à son emploi de standardiste. Je préférais ne pas en connaître le détail, mais en tout cas, il était entendu qu'elle n'était pas ses livreurs.

Elle y gagnait d'aller sonner chez les riches et de voir de ses propres yeux les belles baraques où ils habitaient. Le patron n'était pas mécontent. Menteuse comme elle était, son visage inspirait une confiance proche de l'amour. Elle pouvait prendre le métro chargé comme une mule. Aucun flic ne l'aurait soupçonné. Ça amusait toute la bande, cette innocence qu'elle portait plaquée sur la face. Elle se baladait comme elle voulait, les poches pleines de dos palés, pleines de thunes retours, avec ses airs de petite fille à sa maman. Sauf que justement, elle n'en avait pas de maman.

Juste du caillou et du culot. À vendre et à revendre. Et puis, un beau matin, le studio avait mis la clé sous la porte. Pas par manque de commerce, mais plutôt par faute de gestion ou par nécessité de vacances. C'était pas très clair. Olivia s'était retrouvée à la rue. Elle en avait retrouvée. Elle l'avait reperdue. Les amis, en revanche, elle les avait gardés.

Et maintenant, il fallait s'en débarrasser.

Françoise Cousin, Madeleine Ziadé et Ambroise Marant. Bruitage, Sophie Bissons. Conseillère littéraire, Emmanuelle Chevrière. Prise de son, montage et mixage, Philippe Redin, Éric Villanfin. Assistante à la réalisation, Yael Mandelbaum. Réalisation, Cédric Aussire.

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