Et puis, une nuit d'août 1970, Louride vit seule sur la 60e Est.
Just goes to show how wrong it can be. Sad song.
Je contemple mon album photo. Elle ressemble à Marie, reine d'Ecosse. Il me semblait absolument royal. Ce qui montre juste combien on peut se tromper. Je vais arrêter de perdre mon temps. Quelqu'un d'autre lui aurait cassé les devoirs. Chanson triste. Chanson triste. Mon château, enfants, mes foyers. J'ai cru qu'elle était Marie, reine d'Ecosse. J'ai fait tellement d'efforts.
Ça montre combien on peut se tromper. Tous les week-ends, on prend la route direction la Californie, l'Oregon, le Canada, Dallas. Puis on revient à New York. Je vais à l'université. Et le vendredi, on repart. Je vis avec moins de 200 dollars par mois. Dans la semaine, je fais des petits boulots.
Et quand on demande à Lou Reed ses plans pour l'avenir ? Jouer ici et là, nous n'avons rien à prouver, aucun compte à régler. Pour nous, c'est tout simplement génial de pouvoir jouer notre musique pour des gens, et qu'elles plaisent, du plaisir et rien d'autre. Leur maison de disques, MGM, a financé un studio au Record Plant à Manhattan, où le Velvet va enregistrer une vingtaine de titres.
Mais en 1970, il signe avec un autre label, Atlantic. MGM riposte et refuse de leur laisser les bandes. Le disque ne sortira pas. On avait fait Stéphanie Says, Foggy Notion, Sad Song, I'm Sticking With You, Andy Chess et Ocean. Un bel album. Tout ce que Lou reprendra dans ses premiers albums solos. Et puis, un soir d'août 1970, au Maxus. Une chanson appelée Something Alone.
Richard Nixon poursuit la guerre du Vietnam. Le jeudi 30 avril 1970, il annonce qu'une incursion au Cambodge est menée par l'armée américaine. Le lendemain, 500 étudiants de l'université d'état du Kent manifestent. Le maire fait appel à la garde nationale. Les étudiants scandent « Picks off campus ».
un slogan des Black Panthers. Le sergent Taylor tire un premier coup de feu, bientôt suivi de toute la troupe. En 13 secondes, 9 étudiants sont blessés et 4 tués. À New York, au Maxis Kansas City, une boîte à la mode, 213 Park Avenue South, sur la 17e à Manhattan, on parle de la guerre, pas du Velvet Underground. ...
Du printemps 1967 jusqu'à l'été 1970, on n'a pas fait plus de deux ou trois concerts à New York. Une fête privée au Salvation Club plus tôt dans l'année et deux spectacles de soutien pour le chorégraphe Merce Cunningham. On peut dire qu'on n'a pas joué à New York depuis trois ans. On ne veut plus. On pense que le public new-yorkais ne nous aime pas et les radios locales refusent de nous diffuser. Le 24 juin, quand on donne le premier concert au Maxis, le club le plus branché de Manhattan,
On peut dire que l'underground new-yorkais découvre le velvet underground. Le Max's est un restaurant situé à côté du bâtiment de la Guardian Life Insurance Company of America. L'enseigne annonce crânement steak, lobster, chickpeas, steak, homard, poulet petit pois. Le hamburger est à 1,10$.
Dans la journée, le combi Volkswagen qui assure les livraisons est garé sur le trottoir près de la bouche à incendie. Le soir, on passe sous l'auvent de tissu noir au-dessus de l'entrée où est inscrit « Upstairs at Max's » et qui signale que la musique est au premier étage. Puis, on s'engouffre dans la porte à tomber. Janice Joplin était souvent là, avec Paul Morisset et Tim Buckley, et puis Grace Lick et le groupe Jefferson Airplane.
On y voyait parfois Jimi Hendrix manger tête baissée, chapeau sur la tête. En 68, se tenait dans l'arrière-salle du Maxis le CCAW, Casting Center d'Andy Warhol. Mais en 70, on ne voit plus Warhol au Maxis. Tout le rock est là. Nous, le Velvet Underground, on doit jouer trois mois, du mercredi au dimanche. Dimanche 23 août 1970 au Maxis. Il fait chaud. Tout le monde se connaît.
Au centre de la salle, on peut danser. Les tables sont alignées contre les murs. La plus à gauche, à l'avant de la scène, est occupée par Bridget Polk, une ex-superstar warholienne de la Factory. Elle enregistre tout avec un petit magnéto à cassette Sony. À la Factory, quand Bridget prenait quelqu'un au téléphone, elle commençait toujours par « Allô, attends juste une seconde, le temps de courir brancher un magnéto avant de reprendre la ligne ». C'est Jim Carroll, le poète guitariste qui est à côté d'elle.
Vous pouvez danser si vous voulez. La future chanteuse de Blondie qui se présente encore comme Debbie Harry, serveuse au Max's, tête de gamine échevelée, corsetée de blanc, ses jambes gainées de cuissard de noir, aime bien danser. Patti Smith aussi.
C'est au max ce qu'elle verra Lou Reed pour la première fois. On sait combien le rock littéraire de Lou Reed sera déterminant pour elle. Je suis complètement perdu. Je donne des interviews en disant que oui, je veux que le groupe fasse danser, oui, je veux faire ça, mais une grande partie de moi veut faire autre chose. Et cette partie de moi n'est pas autorisée à parler. Et ce truc me constitue 90% de Lou. Ce que je me fais subir me rend malade. Je n'ai rien à faire là. Je ne veux pas faire partie d'un groupe pop à succès avec un fan club.
Le concert commence par une reprise de I'm Waiting for the Man. On vient d'enregistrer Loaded, le quatrième album du Velvet prévu pour septembre. Beaucoup de textes de loups sur la solitude, complètement désorientés. Et le son, c'est comme une radio des années 50 qu'on aurait oublié d'éteindre.
Debout au coin de la rue, ma valise à la main. Jack, dans son corset, dit à Jane qui est dans sa veste, « Moi, je suis dans un groupe de rock. » Au volant d'une Stutz Bearcat, mec. Tu sais, c'était une autre époque. Tous les poètes étudiaient les règles de la versification.
Il y a des gens qui aiment sortir danser et d'autres qui doivent travailler et il y aura toujours des mères horribles qui vont te dire que la vie est une saloperie. Certaines personnes aiment aller danser et d'autres comme nous doivent travailler.
Que les femmes ne s'évanouissent jamais vraiment, que les méchants clignent toujours des yeux, et que les enfants sont les seuls à rougir, parce que la vie, c'est juste mourir. Mais quiconque n'a jamais eu un cœur, ne voudrait pas le voir briser. Et quiconque n'a jamais joué un rôle, ne voudrait pas le voir singer.
Juste avant Sweet Jane, on entend la voix de Jim Carroll s'élever dans le silence et déclarer que pour le perno, il faut aller au bar du restaurant en bas. Lou et Sterling ont l'air un peu désabusés. On dirait que Sterling a pris ses distances. Je fais signe à Maureen dans la salle. Elle est enceinte.
Doug Yule a pris la base de John Cale et c'est son frère Billy qui est à la batterie. Je n'ai pas discuté. Depuis le départ de John, je ne discute plus. Devant moi, Lou a admis sa responsabilité dans les tensions. Il m'a même proposé qu'on recommence tout, qu'on reparte à zéro. Mais tel qu'il le présentait, le plan n'incluait pas John. J'ai juste refusé. Je me suis fait à l'idée qu'on a peut-être tout accompli. C'est le pouvoir de concentration de Sterling qui m'a toujours impressionné.
Quand il lit, vous pouvez lui accrocher ses lacets ensemble, lui brûler les cheveux ou mal parler de lui, rien ne le distrait. C'est le parfait étudiant. En coulisses, il nous fait des discours sur Don Quichotte. Je suis étudiant à plein temps au City College. L'été où nous jouons au Maxis, je viens de décrocher mes diplômes. Je vois Sterling et Lou désaccordés qui rectifient la tension de leur corps d'autant bien que mal en cours de route. Ça va très vite. Les guitares sont tendues, fiévreuses. On oublie qu'on est dimanche, qu'on est cool.
C'est du son chaud, brûlant, enveloppant, vibrant. Mais ce n'est pas le Velvet. C'est un bon groupe, précis, mais ce n'est pas le Velvet. Nous sommes des manche-soirs. Comme d'habitude, nous ne sommes pas très accordés, Sterling et moi. Tous les habitués sont là. Jim Carroll essaie de trouver des cachets, ils parlent tous de la guerre. Moi seul, je sais ce qui se passe. Ça, c'est I'll be your mirror, il y a trois ans déjà. Ça paraît loin tout ça ?
C'est Doug Yule qui la chante. Un chien aboie quelque part dans la salle. Avant la suivante, Lou se met à parler. Voici une chanson sur... Quand on a fait quelque chose de très triste, qu'on se réveille le lendemain et qu'on s'en souvient. Ce n'est pas pour avoir l'air sinistre ou quoi, on a parfois des jours comme ça. Moi, on dirait que ça m'arrive très... C'est une chanson qui s'appelle Sunday Morning. Waouh !
C'est vraiment bien de pouvoir vous jouer ça. C'est pas le si souvent. La guitare de Lou est fluide, sa voix est tendre avec quelque chose d'un peu nervé. Quand ça s'arrête, Jim Carroll est en train de discuter de tuinal, c'est un calmant, et dit qu'il doit aller se cacher pour prendre ça. Lou chante « Quelque chose s'est emparé de moi et je ne sais pas quoi, c'est le commencement d'une nouvelle ère. Je me demande ce que ça signifie pour le groupe. »
Après New Age, quelqu'un a demandé "héroïne". Je vais voir ce que Lou va dire, mais "héroïne", il y a longtemps qu'on ne veut plus la faire. Pour lui, la drogue c'est loin. Il dit ce qu'il pense de cette saleté depuis longtemps. On ne joue plus, héroïne. Lou Reed écrit pour sortir de l'obscurité. Il s'est dit qu'au contraire, il a peut-être entraîné des gens dans l'obscurité. Cette pensée est insupportable.
C'est peut-être à cause de cette incompréhension de l'époque qu'il chante dans l'album Loaded, qu'il vient d'enregistrer, les routes solitaires de la vie, le soleil qui brille pour rien, et qu'il a décidé ce qu'il a décidé. Quelqu'un demande femme fatale. C'est surprenant une si vieille chanson. Lou aussi, ça l'étonne. C'est une chanson sur quelqu'un qui a été très minable envers quelqu'un d'autre. Nico avec Lou. Bridget a éclaté de rire, elle a compris. Elle était à la factorie quand tout ça a eu lieu.
Elle se penche vers Jim Carroll et en baissant la voix dit que ça l'étonne d'entendre Lou en parler. De la scène, Lou a reconnu le rire de Bridget. Le dire, oui, le dire sur scène, c'est ce qui me permet de dire qu'il y a des gens qui n'ont pas de cœur, qui se foutent de ce qu'ils peuvent faire. C'est une chanson européenne, je suppose. Et le premier morceau qu'on a écrit avec un accord. C'est ma chanson préférée.
La voici. Tu devrais faire gaffe. Elle va te briser le cœur, je t'assure. C'est pas dur à comprendre. Regarde simplement dans ses yeux, plein d'artifice. Elle te portera au nu pour mieux te démolir. Écoute comme elle parle. Tu es inscrit dans son carnet. Tu es le numéro 37. Regarde. Elle va te faire passer pour un con, je t'assure. Écoute comme elle parle.
C'est une femme fatale. Pendant la pause entre deux septes,
Tout le monde parle de Richard Nixon et de la grande différence entre mon style à la batterie et le jeu de Billy Yule, le jeune blondinet. Ce soir-là, Bridget a enregistré. Je me suis vraiment amusé. C'est la seule fois. Je fais toutes les chansons que je veux, beaucoup de balades. Il y a une grande énergie, ce qui ne signifie pas forcément la rapidité. Ça a à voir avec le cœur, avec ce qui se passe en moi. Après la pause, je n'ai pas retrouvé ma table et je me suis collée derrière, contre le mur.
Je pensais que Lou ne me voyait pas, mais à la fin du deuxième set, juste avant de jouer le dernier titre, After Hours, il a dit en me regardant. C'est Maureen qui la chante normalement. Elle le fait mieux que moi, mais c'est ma voix à chanter. Si tu fermes la porte, la nuit pourrait durer toujours. Laisse le soleil dehors et dis salut à jamais.
Tout le monde danse et s'éclate tellement, si seulement ça pouvait m'arriver. Mais si tu fermes la porte, je n'aurai plus jamais à voir le jour. Or, un jour, quelqu'un plongera dans mes yeux et dira « Salut, tu es mon élu ».
Mais si tu fermes la porte, je n'aurai plus jamais à voir le jour. Faites-les obscures dans les bars, Cadillac est un slant, et les gens dans les métros, les trains semblent gris sous la pluie, plantés en pleine confusion. Oh mais les gens ont l'air bien dans l'obscurité. Si tu fermes la porte, je n'aurai plus jamais à voir le jour. Mais si tu fermes la porte...
Plus tard, on s'est assis avec Lou, seul dans le noir, tout en haut des escaliers du Max et où personne ne va jamais car il ne mène nulle part. Je passe mon bras autour de ses épaules. Il a l'air triste. « Je déteste ce que je vis. Je ne peux pas faire les chansons que je veux et on me met la pression pour faire des choses que je ne veux pas et ça va crescendo. »
Jamais de ma vie je n'aurais cru qu'on m'empêcherait de faire ce que je veux, et voilà. Je ne fais pas ce en quoi je crois, et ça me rend malade. Je fais ce que d'autres me disent de faire. Je ne suis pas une machine qui s'anime pour faire le perroquet sur des chansons. Une seule personne peut écrire, et cette personne doit tout maîtriser. Tiens-t'en à ce que tu crois, et les gens l'accepteront. Lou a déjà eu des périodes comme ça, de tristesse. Ça lui passera. Il est tard. Je viens de Long Island, c'est loin. Il faut que je m'en aille.
Je commence à descendre les escaliers et d'en haut, toujours assis sur les marches, dans le noir, Lou a dit quelque chose. « Maureen, je quitte le groupe. » Quelque chose de grave a dû se passer. Je suis bouleversée. « Le 23 août, ce sera le dernier concert du Velvet. C'est la route que j'ai choisie. Je ne veux plus faire de tournée. Je ne peux pas écrire en tournée. C'est trop bruyant. C'est fini. C'est tout. »
Le lendemain de cette soirée du 23 août 1970, Lou Reed roule jusqu'au 35 Oakfield Avenue à Freeport, Long Island. Il retourne chez ses parents. Il passera les premières 48 heures à dormir. Océan. L'image du poète est dans la brise. Des oies sauvages volent au-dessus des arbres.
Une brume flotte doucement au-dessus du lac. Ma maison est très belle dans la nuit. Mon ami et maître occupent une chambre libre. Il est mort. Enfin en paix le juif errant. D'autres amis ont disposé des pierres sur sa tombe. Le fier et majestueux d'Elmore.
Tes drôles de manières me manquent, tes blagues et tes réparties brillantes me manquent. Moi, Dédalus, face à toi, le vieux Bloom, c'était d'une telle finesse. Et te trouver dans ma maison sublime l'ensemble. J'ai vraiment de la chance dans ma vie. Mon écriture, ma moto, ma femme. Et pour couronner le tout, un esprit de pure poésie vit dans cette maison de pierres et de bois avec moi.
Cet automne-là, Louis travaille dans l'entreprise de son père. Il a 28 ans. L'album Loaded est un succès commercial. Quelques temps plus tard, il apprend que David Bowie le cherche.
Il signera avec lui et enregistrera à Londres son premier album solo. C'est une autre histoire. Pour l'instant, il est revenu à son point de départ au bord de l'océan. A cause de l'histoire de sa vie, de la différence entre le vrai et le faux. Que l'on truque, que l'on simule ou qu'on emploie ses énergies vitales pour imiter les pires aspects narcissiques, et très vite, tant l'esprit que le corps en sont épuisés. Tricher, ça rend fou. Il est seul dans l'époque.
Au contraire du « Flower power on vote », Lou Reed écrit sur le désespoir, la puissance dévastatrice et la fausse transcendance des drogues, l'amour plus paranoïaque et brutal qu'universel, la liberté sans cesse arrachée, la rue fatale, autant dire la réalité, authentique et honnête. Combien de temps faudra-t-il pour prouver que tout est sincère, vrai, franc et signifie exactement ce que ça semble signifier ?
L'hiver 1970, il compose Ocean, l'enregistre seul. Il ne fait qu'une seule apparition publique. C'est au Saint-Marc's Poetry Project, au lieu de la poésie d'avant-garde new-yorkaise, que fréquentent Allen Ginsberg et Gregory Corso. Lou Reed fait une lecture de Sister Ray, de Black Angel's Death, mais aussi de nouveaux textes dédiés à celle qui va devenir sa femme, Betty Kronstadt.
Puis il déclare en riant. Je suis un poète. Si jamais je retourne jouer du rock'n'roll, le fantôme de Delmore Schwartz viendra me hanter à coup sûr. Donnez une fête pour célébrer mon départ. Faire un espère à mon... Et toi, Lou, tu ne dois jamais écrire pour de l'argent. Sinon, je te hanterai. Je te le jure. Tu sais bien que si quelqu'un peut le faire, c'est bien moi. Ne te compromets jamais. Ce sont les derniers mots qu'il me dit.
Voilà l'océan et les vagues au bord de la mer. Voilà l'océan et les vagues, d'où viennent-elles ? Ne va pas nager ce soir, mon amant. La mer est démente, mon amant. On sait qu'elle rend les hommes fous. Voilà.
Malcom s'est brûlé à la mer. Le château en improuve et en peste. La folie peut rendre confus, mais voilà les vagues sous le rivage, baignant les rochers qui sont là depuis des siècles et plus encore. Au bord de la mer, des châteaux rougeois dans la nuit.
Des tours surplombent notre peur, des sorciers décapitent. Malcom, lui, vit dans la haine, serre sur un plat à cervelle, se régale de ta bouche à son dîner. Mais voilà les vagues au bord de la mer, baignant les yeux des hommes qui sont morts au bord de la mer.
C'était Lauride, les années velvettes, de Christine Spianti. Cinquième et dernier épisode, et puis, une nuit d'août 1970. Avec Andréa Schiffer, la voix de l'époque, Quentin Bayot, Lauride, Nicolas Buchout, John Cale, Bastien Bouillon, Sterling Morrison, Clémence Boucher, Maureen Tucker,
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