Neuf contes d'Andersen. Choix des textes et adaptations, Baptiste Guitton. Réalisation, Mélanie Péclat. Bonjour, je suis Hugues de La Salle et je vais vous raconter l'histoire de l'intrépide soldat de plomb. Il y avait une fois 25 soldats de plomb, tous frères, car ils étaient nés d'une vieille cuillère de plomb. L'arme au bras, l'œil fixe, l'uniforme rouge et bleu, quelle fière mine ils avaient tous !
La première chose qu'ils entendirent en ce monde, quand fut enlevé le couvercle de la boîte qui les renfermait, ce fut ce cri « Des soldats de plomb ! » que poussait un petit garçon en battant des mains. On les lui avait donnés en cadeau pour sa fête et il s'amusait à les ranger sur la table. Tous les soldats se ressemblaient parfaitement, à l'exception d'un seul, qui n'avait qu'une jambe. On l'avait jeté dans le moule, le dernier, et il ne restait pas assez de plomb.
Cependant, il se tenait aussi ferme sur cette jambe que les autres sur deux. Et c'est lui, précisément, qu'il nous importe de connaître. Sur la table où étaient rangés nos soldats, il se trouvait beaucoup d'autres joujoux. Mais ce qu'il y avait de plus curieux, c'était un charmant château de papier. À travers les petites fenêtres, on pouvait voir jusque dans les salons. Au dehors, se dressaient de petits arbres autour d'un petit miroir, imitant un petit lac.
Des signes en cire y nageaient et s'y reflétaient. Tout cela était bien gentil. Mais ce qu'il y avait de bien plus gentil encore, c'était une petite demoiselle debout à la porte ouverte du château. Elle aussi était de papier, mais elle portait un jupon de linon transparent et très léger, et au-dessus de l'épaule, en guise d'écharpe, un petit ruban bleu, étroit, au milieu duquel étincelait une paillette aussi grande que sa figure.
La petite demoiselle tenait ses deux bras étendus, car c'était une danseuse, et elle levait une jambe si haut dans l'air que le petit soldat de plomb ne put la découvrir, et s'imagina que la demoiselle n'avait, comme lui, qu'une jambe. « Voilà une femme qui me conviendrait, pensa-t-il, mais elle est trop grande dame. Elle habite un château, moi une boîte, en compagnie de vingt-quatre camarades, et je n'y trouverai pas même une place pour elle. Cependant, il faut que je fasse sa connaissance. »
Et se disant, il s'étendit derrière une tabatière. Là, il pouvait à son aise regarder l'élégante petite dame qui toujours se tenait sur une jambe sans perdre l'équilibre. Le soir, tous les autres soldats furent remis dans leur boîte et les gens de la maison allèrent se coucher. Aussitôt, les joujoux commencèrent à s'amuser tout seuls. D'abord, ils jouèrent à Colin Maillard. Puis ils se firent la guerre. Enfin, ils donnèrent un bal !
Les soldats de plomb s'agitaient dans leur boîte car ils auraient bien voulu en être. Mais comment soulever le couvercle ? Le casse-noisette fit des culbutes et le crayon traça mille folies sur son ardoise. Le bruit devint si fort que le serin se réveilla et se mit à chanter. Les seuls qui ne bougeassent pas étaient le soldat de plomb et la petite danseuse. Elle se tenait toujours sur la pointe du pied, les bras étendus. Lui, intrépidement sur son unique jambe et sans cesser de les pieds. Minuit sonna et craque !
Voilà le couvercle de la tabatière qui saute. Mais au lieu de tabac, il y avait un petit sorcier noir. C'était un jouet à surprise. « Soldat de plomb », dit le sorcier. « Tâche de porter ailleurs tes regards. » Mais le soldat fit semblant de ne pas entendre. « Attends jusqu'à demain et tu verras », reprit le sorcier. Le lendemain, lorsque les enfants furent levés, ils placèrent le soldat de plomb sur la fenêtre. Mais tout à coup, enlevé par le sorcier ou par le vent,
Il s'envola du troisième étage et tomba la tête la première sur le pavé. Quelle terrible chute ! Il se trouva la jambe en l'air, tout son corps portant sur son chaco et la baïonnette enfoncée entre deux pavés. La servante et le petit garçon descendirent pour le chercher, mais ils faillirent l'écraser sans le voir. Si le soldat eut crié « Prenez garde ! », il l'aurait bien trouvé, mais il jugea que ce serait déshonorer l'uniforme. La pluie commença à tomber.
Les gouttes se suivirent bientôt sans intervalle. Ce fut alors un vrai déluge. Après l'orage, deux gamins vinrent à passer. « Eh, Dylan ! Eh, par ici ! Voilà un soldat de plomb ! Faisons-le naviguer ! » Ils construisirent un bateau avec un vieux journal, mirent dedans le soldat de plomb et lui firent descendre le ruisseau. Les deux gamins couraient à côté et battaient des mains. Quel flot grandieux dans ce ruisseau ! Que le courant y était fort ! Mais aussi, il n'y avait plus inverse !
Le bateau de papier était étrangement balotté, mais malgré tout ce fracas, le soldat de plomb restait impassible, le regard fixe et l'arme au bras. Tout à coup, le bateau fut poussé dans un petit canal où il faisait aussi noir que dans la boîte aux soldats. « Où vais-je maintenant ? » pensa-t-il. « Oui, c'est le sorcier qui me fait tout ce mal. Cependant, si la petite demoiselle était avec moi dans le bateau, l'obscurité fut-elle deux fois plus profonde ? Cela ne me ferait rien. »
Bientôt, un gros rat d'eau se présenta. C'était un habitant du canal. « Voyons ton passeport ! Ton passeport ! » Mais le soldat de plomb garda le silence et serra son fusil. La barque continua sa route et le rat la poursuivit. Ouf ! Il grinçait des dents et criait aux pailles et aux petits bâtons. « Arrêtez-le ! Hé ! Arrêtez-le ! Il n'a pas payé son droit de passage ! Il n'a pas montré son passeport ! »
Mais le courant devenait plus fort, toujours plus fort. Déjà, le soldat apercevait le jour, mais il entendait en même temps un murmure capable d'effrayer l'homme le plus intrépide. Il y avait au bout du canal une chute d'eau, aussi dangereuse pour lui qu'elle est pour nous une cataracte. Il en était déjà si près qu'il ne pouvait plus s'arrêter. La barque s'y lança. Le pauvre soldat s'y tenait aussi raide que possible et personne n'eut osé dire qu'il clignait seulement des yeux.
La barque, après avoir tournoyé plusieurs fois sur elle-même, s'était remplie d'eau. Elle allait s'engloutir. L'eau montait jusqu'au cou du soldat. La barque s'enfonçait de plus en plus. Le papier se déplia et l'eau se referma tout à coup sur la tête de notre homme. Alors il pensa à la gentille petite danseuse qu'il ne reverrait jamais et crut entendre une voix qui chantait. Soldat, le péril est grand. Voici la mort qui t'attend. Soldat,
Le papier se déchira et le soldat passa au travers. Au même instant, il fut dévoré par un grand poisson. C'est alors qu'il faisait noir pour le malheureux. C'était pire encore que dans le canal. Et puis, comme il y était serré, mais toujours intrépide, le soldat de plomb s'étendit de tout son long, l'arme au bras. Le poisson s'agitait en tous sens et faisait d'affreux mouvements,
Enfin, il s'arrêta et un éclair parut le transpercer. Le jour se laissa voir et quelqu'un s'écria « Un soldat de plomb ! » Le poisson avait été pris, exposé au marché, vendu, porté dans la cuisine et la cuisinière l'avait ouvert avec un grand couteau. Elle prit avec deux doigts le soldat de plomb par le milieu du corps et l'apporta dans la chambre où tout le monde voulut contempler cet homme remarquable qui avait voyagé dans le ventre d'un poisson. Cependant, le soldat n'en était pas fier.
On le plaça sur la table et là, comme il arrive parfois des choses bizarres dans le monde, il se trouva dans la même chambre d'où il était tombé par la fenêtre. Il reconnut les enfants et les jouets qui étaient sur la table. Le charmant château avec la gentille petite danseuse. Elle tenait toujours une jambe en l'air. Elle aussi était intrépide. Le soldat de plomb fut tellement touché qu'il aurait voulu pleurer du plomb. Mais cela n'était pas convenable. Il la regarda. Elle le regarda aussi.
Mais ils ne se dirent pas un mot. Tout à coup, un petit garçon le prit et le jeta au feu sans la moindre raison. C'était sans doute le sorcier de la tabatière qui en était la cause. Le soldat de plomb était là, debout, éclairé d'une vive lumière, éprouvant une chaleur horrible. Toutes ses couleurs avaient disparu. Personne ne pouvait dire si c'était les suites du voyage ou le chagrin. Il regardait toujours la petite demoiselle et elle aussi le regardait. Il se sentait fondre, mais toujours intrépide.
Il tenait l'arme au bras. Soudain s'ouvrit une porte. Le vent enleva la danseuse et, pareil à une sylphide, elle vola sur le feu près du soldat et disparut en flamme. Le soldat de plomb était devenu une petite masse. Le lendemain, lorsque la servante vint enlever les cendres, elle trouva un objet qui avait la forme d'un petit cœur de plomb. Tout ce qui était resté de la danseuse, c'était une paillette que le feu avait rendue toute noire. Musique
C'était L'intrépide soldat de plomb, lu par Hugues de Lassalle. Retrouvez le générique complet sur le site franceculture.fr et l'application Radio France.