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Neuf contes d'Andersen 8/9 : "Le chanvre"

2025/5/9
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Le Feuilleton

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Shownotes Transcript

Le Chant d'Andersen. Choix des textes et adaptations. Baptiste Guitton. Réalisation Mélanie Péclat. Je suis Daniel Königsberg et je vais lire Le Chantvre. Le Chantvre était en fleurs. Ses fleurs sont bleues, admirablement belles, molles comme les ailes d'un moucheron et encore plus fines.

Le soleil répandait ses rayons sur le chanvre et les nuages l'arrosaient, ce qui lui faisait autant de plaisir qu'une mère en fait à son enfant. Lorsqu'elle le lave, il lui donne un baiser. L'un et l'autre n'en deviennent que plus beaux. « J'ai bonne vie, à ce qu'on dit, murmura le chanvre. Je vais atteindre une hauteur étonnante et je deviendrai une magnifique pièce de toile. Je suis heureux. Il n'y a personne qui soit plus heureux que moi. Je me porte à merveille et j'ai un bel avenir. »

« La chaleur du soleil m'égaye et la plume charme en me rafraîchissant. Oui, je suis heureux, heureux, on ne peut plus. » « Oui, oui, oui, » dirent les bâtons de la haie. « Vous ne connaissez pas le monde, mais nous avons de l'expérience, nous. » Et ils craquèrent lamentablement et chantèrent. « Cric, crac, cric, crac, crac, c'est fini, c'est fini, c'est fini. » « Pas si tôt, » répondit le chanvre.

Voilà une bonne matinée, le soleil brille, la pluie me fait du bien, je me sens croître et fleurir, ah, je suis bien heureux. Mais un beau jour, il vint des gens qui prirent le chanvre par le toupet, l'arrachèrent avec ses racines et lui firent bien mal. D'abord, on le mit dans l'eau comme pour le noyer, puis on le mit au feu comme pour le retirer. Oh, cruauté ! On ne saurait être toujours heureux, pensa le chanvre. Il faut souffrir, et souffrir, c'est apprendre.

Mais voilà de pis en pis, il fut brisé, peigné, cardé, sans y comprendre un mot. Puis on le mit à la quenouille et il perdit tout à fait la tête. « J'ai été trop heureux, pensait-il au milieu des tortures. Les biens qu'on a perdus, il faut encore s'en réjouir, s'en réjouir. »

et devenait une magnifique pièce de toile. Les mille pieds de chanvre ne faisaient qu'un morceau. Vraiment, c'est prodigieux. Je n'aurais jamais cru. Quelle chance pour moi ! Que chantaient donc les bâtons de la haie avec leur « Cric-crac, cric-crac, crac ! C'est fini, c'est fini, c'est fini ! » Mais je commence à peine à vivre. C'est prodigieux ! Si j'ai beaucoup souffert, me voile maintenant plus heureux que jamais. Je suis si fort, si doux, si blanc, si long !

« C'est une autre condition que la condition de plante, même avec les fleurs. Personne ne vous soigne et vous n'avez jamais d'autre eau que celle de la pluie. Maintenant, au contraire, que d'attention. Tous les matins, les filles me retournent et tous les soirs, on m'administre un bain avec l'arrosoir. La ménagère de monsieur le curé a même fait un discours sur moi et prouvé parfaitement que je suis le plus beau morceau de la paroisse. Je ne saurais être plus heureux. »

On l'a coupée. On l'a coupée. On l'a piquée avec l'aiguille. Ce n'était pas très agréable. Mais en revanche, elle fit bientôt douze morceaux de linge, douze belles chemises. C'est à partir d'aujourd'hui seulement que je suis quelque chose. Voilà ma destinée. Je suis bénie car je suis utile dans le monde. Il faut cela pour être content soi-même. Nous sommes douze morceaux, c'est vrai. Mais nous formons un seul corps, une douzaine.

Quelle incomparable félicité ! Les années s'écoulèrent. C'en était fait de la toile. « Il faut que toute chose ait sa fin », murmura chaque pièce. J'étais bien disposé à durer encore, mais pourquoi demander l'impossible ? Et elles furent réduites en lambeaux et en chiffons, et crurent cette fois que c'était leur fin finale, car elles furent encore hachées, broyées et cuites. Le tout sans y rien comprendre. Et voilà qu'elles étaient devenues de superbes papiers blancs,

« Oh, surprise ! Oh, surprise agréable ! » s'écria le papier. « Je suis bien plus fin qu'autrefois, et on va me charger d'écriture. Que n'écrira-t-on pas sur moi ? Ma chance est sans égale. » Et l'on y écrivait les plus belles histoires, qui furent lues devant de nombreux auditeurs et les rendirent plus sages. C'était un grand bienfait pour le papier que cette écriture. « Voilà certes plus que je n'ai rêvé lorsque je portais mes petites fleurs bleues dans les champs,

Comment deviner que je servirais un jour à faire la joie et l'instruction des hommes ? Je n'y comprends vraiment rien. Et c'est pourtant la vérité. Dieu sait si j'ai jamais rien entrepris. Je me suis contenté de vivre, et voilà que, de degré en degré, il m'a élevé à la plus grande gloire. Toutes les fois que je songe au refrain menaçant « C'est fini, c'est fini », tout prend, au contraire, un aspect plus beau, plus radieux. « Sans doute je vais voyager. »

« Je vais parcourir le monde entier pour que tous les hommes puissent me lire. » « Autrefois, je portais de petites fleurs bleues. » « Mes fleurs, maintenant, sont de sublimes pensées. » « Je suis heureux, incomparablement heureux. » Mais le papier n'alla pas en voyage. Il fut remis à l'imprimeur et tout ce qu'il portait d'écrit fut imprimé pour faire un livre. Des centaines de livres qui devaient être une source de joie et de profit pour une infinité de personnes.

Notre morceau de papier n'aurait pas rendu le même service, même en faisant le tour du monde. À moitié route, il aurait été usé. C'est très juste, ma foi, dit le papier. Je n'y avais pas pensé. Je reste à la maison et j'y suis honoré comme un vieux grand-père. C'est moi qui ai reçu l'écriture. Les mots ont découlé directement de la plume sur moi. Je reste à ma place et les livres vont par le monde. Leur tâche est belle, assurément. Moi, je suis content. Je suis heureux.

Le papier fut mis dans un paquet jeté sur une planche. « Il est bon de se reposer après le travail », pensa-t-il. C'est en se recueillant de la sorte que l'on apprend à se connaître. « D'aujourd'hui seulement, je sais ce que je contiens et se connaître soi-même. Voilà le véritable progrès. Que m'arrivera-t-il encore ? Je vais sans nul doute avancer. On avance toujours. » Quelques temps après, le papier fut mis sur la cheminée pour être brûlé.

Car on ne voulait pas le vendre au charcutier ou à l'épicier pour habiller des saucissons ou du sucre. Et tous les enfants de la maison se mirent à l'entourer. Ils voulaient le voir flamber. Et voir aussi, après la flamme, ces milliers d'étincelles rouges qui ont l'air de se sauver et s'éteignent si vite, l'une après l'autre. Tout le paquet de papier fut jeté dans le feu. Oh, comme il brûlait ! Ouf ! Ce n'est plus qu'une grande flamme. Elle s'élevait, la flamme, tellement...

« Tellement que jamais le chanvre n'avait porté si haut ses petites fleurs bleues. Elle brillait comme jamais la toile blanche n'avait brillé. Toutes les lettres, pendant un instant, devinrent toutes rouges. Tous les mots, toutes les pensées s'en allèrent en langue de feu. « Je vais monter directement jusqu'au soleil, disait une voix dans la flamme. Et on eût dit mille voix réunies en une seule. La flamme sortit par le haut de la cheminée, et au milieu d'elle voltigeaient de petits êtres invisibles à l'œil des hommes. »

Ils égalaient justement en nombre les fleurs qu'avait porté le chanvre, plus léger que la flamme qui les avait fait naître. Quand celle-ci fut dissipée, quand il ne resta plus du papier que la cendre noire, ils dansaient encore sur cette cendre et formaient en l'effleurant des étincelles rouges. Les enfants de la maison chantaient autour de la cendre inanimée. « Cric, crac, cric, crac, crac, c'est fini, c'est fini, c'est fini ! » Mais chacun des petits êtres disait « Non, ce n'est pas fini ! »

Voici précisément le plus beau de l'histoire. Je le sais et je suis bien heureux. Les enfants ne purent ni entendre ni comprendre ces paroles. Du reste, ils n'en avaient pas besoin. Les enfants ne doivent pas tout savoir. C'était Le Chanvre, traduit par David Soldi et lu par Daniel Königsberg. Retrouvez le générique complet sur le site franceculture.fr et l'application Radio France.

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