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E158 Comment la drogue est-elle devenue taboue en France ?

2024/11/20
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AI Deep Dive Transcript
People
I
Ingrid
Z
Zoé Dubu
Topics
Ingrid: 我采访了一位历史学家Zoé Dubu,她专门研究药物在医学中的应用,并解释了为什么她不用“毒品”这个词。在法国,谈论毒品通常指的是负面事物,例如对健康的危害和助长犯罪。在法国媒体中,毒品话题通常以负面方式呈现,将其描绘成需要打击的祸害。法国媒体讨论毒品时,通常不会提及在公共场所广泛存在且合法的酒精和香烟。 Zoé Dubu: 我是一位当代历史学家,专门研究医学史,尤其关注精神药物的历史。“毒品”一词含义模糊,我更倾向于使用“精神药物”或“精神活性物质”来描述这类物质。“毒品”在法语中通常指非法精神活性物质,“精神药物”则涵盖所有改变意识的物质,包括合法和非法的。直到19世纪末,西方社会对精神药物的不同用途并没有明确区分,例如精神的、娱乐的、实验性的用途等。对某些物质的污名化导致了“医疗用途”和“娱乐用途”的区分,这掩盖了人们实际使用方式的多样性。我的研究涵盖了精神药物在医学和娱乐方面的用途,着重于理解它们在医学中的应用,以及它们如何被纳入和排除在药典之外。药典是指官方认可的用于治疗目的的药物清单。法国医学界对药物的认可主要由医学和药学机构决定。最初的麻醉品法案是为了保护医疗机构对这些物质的垄断。麻醉品可以是药物,但其法律地位是为了保护医疗机构的垄断,限制公众的获取。鸦片、大麻和古柯是历史上使用最广泛的三种精神活性植物,其用途多样且难以区分。基督教时期,教会谴责使用精神药物,认为其与邪恶势力有关。19世纪,西方社会对精神药物的看法发生了转变,科学进步促进了对这些物质的研究。19世纪,西方社会对精神药物的使用并没有强烈的道德谴责,甚至有医学人士在媒体上分享如何调节药物效果的信息。19世纪末,成瘾现象的出现以及社会对人口衰退的恐惧导致了对精神药物的污名化。1916年,法国设立了麻醉品法案,将药物用途分为合法和非法,这导致了医疗用途的减少。1916年后的麻醉品法案导致了对吗啡、可卡因、海洛因和大麻等物质的严格管控,限制了其医疗用途。麻醉品法案本意是保护医疗用途,但实际上却导致了医疗用途的减少,因为这些物质在公众眼中被视为毒品。20世纪,法国对吗啡的医疗用途急剧下降,这导致了严重的公共卫生问题,例如延缓了姑息治疗的发展。大麻在1953年被完全排除在法国药典之外,直到20世纪80年代艾滋病患者的需求才重新出现医疗用途。迷幻剂的研究始于20世纪30年代至60年代,直到60年代末才因娱乐用途而被列为麻醉品。迷幻剂在20世纪70年代的研究停止,直到21世纪才重新开始研究其治疗潜力。法国对毒品的立法是欧洲最严格的之一,这与法国独特的历史背景有关。法国对毒品的负面印象根深蒂固,这与19世纪末的社会背景和对人口衰退的恐惧有关。19世纪末,法国强大的医疗力量在毒品问题上发挥了重要作用,这与维护其专业地位和社会阶层偏见有关。法国在毒品政策方面较为保守,这与法国整体的社会保守主义有关。法国在医疗大麻等问题上落后于其他欧洲国家,这与公众对毒品的负面认知和政治风险有关。法国对毒品的负面宣传影响了公众认知,也影响了政治家的决策。

Deep Dive

Shownotes Transcript

Translations:
中文

Comment la drogue est-elle devenue taboue en France ? Bonjour à toutes et à tous, j'espère que vous allez bien. Aujourd'hui, vous allez entendre dans cet épisode une interview.

J'ai discuté avec Zoé Dubu, une historienne, qui m'a parlé de son sujet de spécialisation, c'est-à-dire l'utilisation des drogues dans la médecine. Alors, en réalité, elle n'utilise pas le mot « drogue » et elle va nous expliquer pourquoi.

Mais si moi j'ai décidé d'utiliser ce terme dans le titre, c'est parce qu'on l'entend beaucoup dans les médias enceintes.

Notamment, il y a beaucoup de débats de société, de débats politiques dans lesquels on se pose la question soit de la légalisation de certaines drogues comme le cannabis par exemple ou comme certains psychédéliques. Donc les psychédéliques, c'est par exemple le LSD qui peuvent être utilisés en psychiatrie

On parle aussi beaucoup de drogue quand on parle de grande criminalité. La France en ce moment, notamment, a de très très gros problèmes avec la grande criminalité, avec le trafic d'armes, avec les gangs. Et ces gangs utilisent l'argent, par exemple, de la cocaïne ou du cannabis pour pouvoir grandir. Alors, tous ces sujets font que

En France, quand on parle de drogue, on parle de plein de choses, mais on parle plutôt de choses négatives. On parle des excès, on parle des utilisations qui sont faites et qui sont soit très mauvaises pour la santé, soit qui vont favoriser la criminalité.

Et donc, c'est un sujet qui est plutôt tabou. Pas tabou dans le sens où on ne va pas en parler, mais dans le sens où on va en parler seulement d'une manière négative et seulement d'une manière dans laquelle on présente ça comme un fléau contre lequel il faut lutter.

Alors bien sûr, vous vous en doutez, quand on parle de drogue dans les médias en France, on ne parle pas de l'alcool ou de la cigarette qui sont, elles, bien présentes, ces substances, dans les lieux publics et qui sont totalement légales.

Donc voilà pour une petite introduction et Zoé va nous expliquer quels sont les différents usages de ces substances en médecine, comment elles ont été découvertes, utilisées dans le passé et à quel moment en France on a commencé à avoir très peur de certaines substances et comment jusqu'à aujourd'hui elles sont devenues taboues, elles sont devenues...

forcément négatives dans le débat public. Je vous laisse avec cette conversation. Salut Zoé ! Bonjour ! En tout cas, merci beaucoup d'avoir accepté notre invitation chez InnerFrench. Toi, tu es une historienne. Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus sur ta spécialisation ?

Je suis effectivement historienne, je suis historienne contemporaine, donc ça veut dire que je travaille du XIXe siècle jusqu'à à peu près nos jours, et je suis spécialiste en histoire de la médecine.

Et plus particulièrement, je m'intéresse à l'histoire des psychotropes, donc à toutes les substances qui modifient le comportement, l'humeur, la conscience de manière générale. D'accord. Et donc, quand tu dis psychotrope, est-ce que c'est la même chose que ce qu'on appelle drogue en général ? Le mot drogue, il est assez problématique parce qu'il est très vague et tout le monde ne met pas la même définition sur le mot drogue. Par exemple, il y a des gens qui vont considérer que l'alcool n'est pas une drogue parce que c'est un produit qui est légal.

Donc, moi, je n'utilise jamais ce terme-là. En français, le mot « drogue » est plutôt synonyme de « stupéfiant ». Donc, « stupéfiant », ça veut dire tous les psychotropes qu'on n'a pas le droit de consommer. Mais les psychotropes, c'est une grande famille qui contiennent toutes les substances qui sont légales, par exemple l'alcool, le tabac, mais aussi le café, et puis des substances qui sont des médicaments, par exemple les anxiolytiques ou les antidépresseurs, et toute la grande famille des substances qui sont interdites.

D'accord, donc plutôt que de dire drogue pour parler de tous ces produits, on va plutôt dire stupéfiant pour tout ce qui est illégal et psychotrope pour tout ce qui modifie la conscience. Donc effectivement, on n'y pense pas trop au café. Il y a vraiment beaucoup de produits différents.

Tout à fait, oui. C'est un problème. En France, c'est un problème de définition. C'est un gros problème parce que ça limite aussi dans la compréhension de ces substances. Et d'ailleurs, en parlant d'une définition un peu bizarre, on entend souvent parler de usage médical face à usage récréatif. Je

Je ne sais pas si c'est quelque chose qui existe dans toutes les langues ou qui est spécifique à la France, mais c'est vrai qu'on entend beaucoup ce mot « récréatif ». Est-ce que tu peux nous expliquer ce que ça veut dire et quelle est la différence entre ces deux usages ?

C'est une question compliquée et très intéressante. Jusqu'à la fin du XIXe siècle, on ne fait pas de distinction en Occident entre les différents types d'usages. En fait, il y a plein de types d'usages possibles avec les psychotropes. Il y a des usages qui peuvent être spirituels, religieux, par exemple, mais

Il y a des usages qui sont festifs, récréatifs. Il y a des usages qui sont plus expérientiels, pour faire des expériences sur soi ou sur le monde. Il peut y avoir aussi des usages qui sont performatifs, par exemple pour être plus efficace dans son travail. Il y a plein de types d'usages en réalité de ces produits. Jusqu'à la fin du XIXe siècle, on ne fait pas de distinction.

en particulier entre l'usage médical et l'usage qu'on appellerait nous aujourd'hui récréatif, parce qu'on considère que prendre une substance qui nous met dans un état dans lequel on se sent bien, finalement c'est déjà un petit peu thérapeutique, c'est déjà un petit peu un usage médical. Et c'est seulement quand on va commencer à stigmatiser l'usage de certaines substances

On va faire cette distinction entre des usages qui sont perçus comme légitimes, donc des usages médicaux, et des usages qui sont dénoncés moralement, et donc qu'on va décrire comme récréatifs ou festifs. C'est de là que vient cette distinction, qui existe, je pense, dans beaucoup de langues, en tout cas en France,

En anglais, ça existe, mais qui, du coup, pour les universitaires ou les scientifiques qui travaillent sur ces substances, est vraiment limitante. Le caractère récréatif ne décrit pas, en fait, la réalité des usages des gens.

D'accord, parce qu'en voyant tes travaux, tes interviews, etc., je voyais beaucoup de choses sur la médecine, sur les usages médicaux, et je me demandais justement si dans tes recherches, ça se croisait aussi avec les usages récréatifs qui sont quand même très présents dans les médias aujourd'hui. Donc oui, finalement, il n'y a pas de distinction, tu étudies tout ensemble. Moi, mon travail, c'est vraiment de comprendre

pour la médecine, comment est-ce que ces substances ont été étudiées, comment elles ont été intégrées à la pharmacopée à un moment, pourquoi est-ce qu'on a arrêté de les considérer comme des médicaments, et puis il m'intéressait aussi aux raisons qui font qu'aujourd'hui,

on se penche à nouveau sur leurs propriétés thérapeutiques et on réfléchit à comment peut-être les réhabiliter. Donc, les types d'usages sont finalement assez perméables. On peut utiliser une substance pour faire la fête et se rendre compte que mes symptômes dépressifs, par exemple, sont soulagés par la substance.

ou on peut prendre une substance pour faire une expérience mystique et se dire finalement c'était quand même vachement marrant et je me suis bien amusée. Donc voilà, les différents types d'usages se mélangent. Mais dans mes recherches à moi, j'étudie vraiment le côté médical. D'accord. Est-ce que tu peux expliquer un mot que tu as utilisé, c'est pharmacopée ?

Je ne saurais pas définir exactement, je n'ai pas en tête une définition exacte, mais pour moi, telle que je l'emploie, la pharmacopée, c'est la liste des médicaments qui sont utilisés dans un but thérapeutique. Et en général, c'est une liste de médicaments qui est officielle. Donc il y a des médicaments qui sont employés par le corps médical légitime et qui sont considérés comme des médicaments. Et à côté de ça, il peut y avoir plein d'autres substances qui sont utilisées par les gens dans un but thérapeutique et qui ne font pas partie de la pharmacopée officielle.

Donc la pharmacopée, c'est vraiment la liste légitime de médicaments reconnus par le corps médical. D'accord, ok. En France, on a une institution en particulier qui s'occupe de reconnaître ces médicaments ? C'est l'Académie de médecine qui décide des substances qui sont intégrées. Peut-être l'Académie de pharmacie, je ne sais pas, je connais moins le côté pharmacie.

Mais par exemple, la cocaïne est toujours dans la pharmacopée. Et dans les années 1980, il y a eu des débats à l'Académie de médecine pour savoir si on l'a retirée ou pas. Et finalement, on l'a laissée dans la liste des médicaments. D'accord, ok. Ah oui, donc c'est différent de ce qui est légal et vendu en France. C'est ce qui est considéré par les médecins comme ok pour soigner les gens.

Oui, donc les stupéfiants peuvent être aussi des médicaments. Le statut de stupéfiant, à l'origine, a été créé pour protéger le monopole médical autour de ces substances. Donc de dire, ces produits, par exemple la morphine ou l'héroïne ou le cannabis, les

Les gens n'ont plus le droit de décider d'eux-mêmes s'ils peuvent les consommer. Par contre, c'est toujours des médicaments. Donc, s'ils ont envie d'en avoir, il faut qu'ils aient l'autorisation de leur médecin

Et ensuite, il n'y a que les pharmaciens qui vont pouvoir vendre ces substances-là. Donc à l'origine, c'est le statut de stupéfiant, c'est la création d'un monopole médical. Et donc aujourd'hui, c'est toujours la même chose. Il peut y avoir dans la liste des stupéfiants des substances qui sont aussi utilisées en médecine, comme la cocaïne, comme la morphine par exemple. D'accord, ok. Bon, je pense que là, on a bien compris toutes les définitions qui étaient importantes.

On va pouvoir parler plus particulièrement de l'histoire de ces médicaments, finalement, peut-être que c'est le mot le plus juste, en France en particulier. Est-ce que tu peux nous faire une petite chronologie de comment ces substances sont apparues, comment elles ont été utilisées ?

C'est une large question, mais comment on est arrivé à la situation actuelle globalement ?

C'est des substances qui ont fait partie de l'aventure humaine depuis très longtemps. On a des traces d'utilisation d'opium, en tout cas de pavot à opium, de cannabis et de coca particulièrement. C'est vraiment les trois plantes psychotropes les plus utilisées depuis le plus longtemps. Donc on trouve des traces d'usage de ces substances depuis quelques milliers, voire quelques dizaines de milliers d'années à travers le monde.

Et à nouveau, on ne peut pas vraiment distinguer les types d'usages, en particulier dans les contextes archéologiques, donc de la préhistoire, parce que ça veut dire qu'on n'a pas de traces écrites. Donc on ne peut pas se dire, on a justement par exemple un livre de médecine qui nous dit précisément pour quels usages ces substances étaient utilisées. On a juste des traces archéologiques, donc on fait des déductions, et certainement que c'était des plantes qui étaient utilisées parfois pour créer des expériences mystiques.

parfois pour leur propriété thérapeutique mais aussi certainement parfois pour faire la fête ou pour le côté récréatif voire expérientiel aussi pour faire des expériences sur soi.

Ensuite, pour la question, si on reste en Occident, parce que moi, c'est ma spécialité et que de toute façon, il y a très peu de recherches qui se font en histoire sur ces produits en général et dans certains pays du monde, encore moins qu'en Occident parce que c'est encore des substances pour lesquelles il y a beaucoup de stigmates. Donc, faire

Des recherches sur ces produits, ça suppose que la personne qui fait ces recherches se confronte à la stigmatisation de ses collègues parce qu'on suppose que si la personne a un intérêt pour faire des recherches sur ces produits, c'est qu'elle en consomme soi-même. Donc il y a finalement très peu de recherches encore aujourd'hui qui sont faites en histoire sur ces produits. Donc en Occident, c'est des substances qui sont utilisées

Alors pas la coca, puisque la coca vient d'Amérique du Sud, mais l'opium, le cannabis, et puis d'autres substances comme la belladone, la mandragore, des substances qui poussent vraiment en France par exemple, sont utilisées pendant la préhistoire, pendant l'Antiquité. Et puis après, pendant l'époque chrétienne, l'Église va condamner ce type d'usage, ce type de pratiques, comme étant des moyens d'entrer en contact avec des puissances maléfiques, et notamment avec le diable.

L'explication qu'on donne à ça, c'est que Dieu nous a créés de manière parfaite. Donc si on essaye de modifier son état de conscience, c'est qu'on essaye d'entrer en contact avec le diable ou c'est que le diable essaye de nous donner des idées qui sont déviantes.

Donc il y a vraiment une interdiction qui est faite par l'Église à ce moment-là, et même si le vin lui rentre dans le culte, en réalité théoriquement on n'est pas censé être sous, on n'est pas censé être dans un état d'ivresse avec l'alcool. Donc vraiment toute expérience psychotrope, toute modification de l'état de conscience est condamnée. Ça ne veut pas dire que les gens le feront effectivement.

On voit qu'il y a des usages qui demeurent des psychotropes dans les pratiques des populations, mais c'est quelque chose qui est tabou et qui souvent n'est pas retranscrit par écrit. Ce sont des savoirs qui se transmettent oralement. Donc pour nous les historiens, c'est très difficile de retrouver des traces de ce type d'usage. Quand on arrive à la Renaissance,

Il va y avoir de plus en plus de voyages dans le monde et donc c'est les débuts de la colonisation. Les populations occidentales vont découvrir des usages de psychotropes dans d'autres parties du monde et condamner ces usages-là et puis tuer les gens qui les pratiquent, qui utilisent par exemple les champignons hallucinogènes en Amérique du Sud. Donc il va y avoir une répression très forte et une destruction de tous les savoirs

des populations indigènes qui connaissaient ces substances et qui les utilisaient, qui avaient créé tout un imaginaire collectif autour de ces produits. Donc ça demeure comme ça jusqu'au XIXe siècle, et le XIXe siècle c'est un moment où en Occident d'abord on prend de la distance avec les principes de l'Église, donc

L'expérience des psychotropes n'est plus comprise comme quelque chose qui va mener forcément vers le diable. Et puis en plus, il y a des progrès énormes de la chimie à cette époque-là qui permettent de trouver des nouveaux psychotropes. Par exemple, dans l'opium, on va trouver la morphine, on va trouver la codéine et puis on va trouver l'héroïne.

on arrive à faire venir des plants de coca d'Amérique du Sud, et dans la coca, on va trouver la cocaïne. Donc on va trouver les substances actives qui sont dans les plantes. Et ça, ça intéresse beaucoup les scientifiques et les médecins. Et donc c'est un moment, le XIXe siècle, de très grand intérêt scientifique et médical pour ces produits, un renouvellement complet des représentations en Occident, où l'usage aussi même des gens qui ne sont pas des médecins, qui ne sont pas des scientifiques, n'est pas du tout condamné. Donc on...

diffusent par exemple dans la presse, il y a des médecins qui diffusent dans la presse des articles pour expliquer comment faire varier les effets du cannabis. Donc si on veut avoir une expérience qui est plutôt euphorisante, il faut consommer le cannabis de telle et telle manière. Si on veut avoir une expérience qui soit plutôt introspective, il faut l'utiliser d'une autre manière. Donc il n'y a vraiment pas de condamnation morale au XIXe siècle au secours des psychotropes.

Et c'est seulement à la toute fin du XIXe siècle que ça va arriver, parce que pour la première fois, on va décrire le phénomène de l'addiction. Ça n'existait pas avant, ce qui

Ce qui veut dire qu'en partie, il y avait des règles, des connaissances qui étaient acquises par la population pour maîtriser les substances, pour savoir comment les utiliser de manière sûre, et aussi que les nouvelles substances qui se sont découvertes, comme la morphine, l'héroïne, sont des substances qui sont beaucoup plus puissantes et qu'on utilise à travers l'injection.

Et donc c'est l'addiction à cette forme d'administration qui va se développer, qui reste un phénomène en réalité très marginal, c'est-à-dire qu'il n'y a pas plus de quelques centaines de cas en plus de 40 ans de morphinomane ou d'héroïnomane à la fin du XIXe siècle, mais ça va marquer très fort la société occidentale et en particulier en France, parce que la France à ce moment-là est dans une période qui s'appelle la fin de siècle.

La France a perdu la guerre de 1870, on fait de moins en moins d'enfants et donc la population a l'impression qu'elle est en train de disparaître. On appelle ça la dégénérescence. Les gens ont l'impression que dans les décennies qui vont suivre, la population française va s'autodétruire.

C'est vraiment une peur très forte de la population à cette époque-là. D'un côté, on a l'apparition de cette nouvelle maladie qui est l'addiction, et de l'autre côté, tout un contexte culturel de peur très intense de la population à l'idée de sa propre disparition, qui va faire qu'on va dénoncer de plus en plus l'usage de psychotropes comme étant un des risques les plus forts de la dégénérescence. Les médecins

qui utilisaient ces substances-là en tant que médicaments vont progressivement développer un discours dans lequel ils disent

En fait, ces substances sont trop dangereuses pour être utilisées par le commun des mortels. Il faut qu'il n'y ait que nous qui puissions les utiliser et dire que ça devient des médicaments exclusifs du corps médical. Et c'est comme ça qu'on va créer cette catégorie des stupéfiants qui arrive en 1916 en France, qui va séparer des substances entre usage légitime et usage qui deviennent illégitimes.

C'est hyper intéressant et c'est dingue de s'imaginer que les Français pensaient déjà ça à l'époque. On se dit, on tourne en rond. Mais du coup, on arrive au début du XXe siècle et à ce moment-là, les médecins, eux, continuent d'utiliser tous ces produits et ce qu'ils utilisent. Donc là, on peut peut-être parler justement des psychédéliques parce que tu as parlé de la morphine, de la codéine.

Ça, c'est des choses qu'on retrouve encore aujourd'hui dans la pharmacie. Moi, il n'y a pas longtemps, j'ai eu une prescription de codéine. Mais par contre, il me semble qu'aujourd'hui, on n'a pas de prescription en France ni de cannabis médical.

ni de LSD pour des expériences en psychiatrie, etc. Est-ce que tous ces produits-là étaient utilisés encore à cette époque dans la médecine et au fur et à mesure, ils ont été interdits ? Ou comment ça s'est passé ? À partir de 1916, quand il y a ce statut de stupéfiant qui se met en place, ça concerne la morphine, la cocaïne, l'héroïne et le cannabis.

Donc c'est ces substances-là qui vont être désormais interdites à la population et qui deviennent exclusivement des médicaments. Le problème, c'est que en créant ce statut-là de stupéfiant, c'est supposé protéger l'usage médical, mais ce que j'observe dans mes recherches, c'est qu'en

en réalité, ça le supprime parce que les gens ne considèrent plus ces substances que comme des drogues. C'est comme ça qu'elles sont présentées dans les médias, dans les films, dans tous les discours. Et donc, ça devient très difficile de penser une substance qui soit à la fois mortifère, mais aussi un médicament. Et donc, il faut

Et très rapidement, les populations ont peur de ces substances et donc refusent qu'on leur en administre médicalement. Et les médecins eux-mêmes commencent à les voir comme des substances trop dangereuses pour être utilisées et donc vont se censurer. Et ce qu'on voit, c'est que dès l'entre-deux-guerres, il y a une chute drastique de l'usage de morphine qui va continuer en France jusque dans les années 90, 1990. Donc en fait, on abandonne pendant tout le XXe siècle presque totalement l'usage de morphine en médecine

Et donc ça, ça a des conséquences très graves en termes de santé publique parce qu'on ne peut plus traiter la douleur sévère en France. Et donc on a, par exemple, 30 ans de retard sur l'émergence des soins palliatifs. On a, dans les années 80, seulement 4% des femmes en France qui accouchent avec une péridurale, donc avec le soulagement de leur douleur. C'est vraiment...

un contexte français qui est très particulier où il va falloir déhabiliter la morphine dans les années 1990 au point qu'aujourd'hui on en est dans une situation où on ne pense plus à la morphine comme une drogue et en fait chaque substance va passer par ses différentes étapes

Donc le cannabis devient un stupéfiant en 1916, son usage médical va se réduire au point qu'en 1953 on ne l'utilise plus du tout. Il y a des études qui sont faites pour voir s'il y a des médecins qui utilisent encore le cannabis et ce n'est plus le cas. Donc ça va disparaître de la pharmacopée, là pour le coup il est complètement retiré, ça n'est plus un médicament. Et c'est seulement dans les années 80, au sein des années 80,

avec les malades du sida que l'usage médical du cannabis va réapparaître

Parce que les malades du sida, qui par ailleurs fument du cannabis, mais pas pour les propriétés thérapeutiques, parce qu'on a complètement oublié que ça en avait, découvrent que ça soulage leur douleur ou que ça a un effet sur leur vomissement. Et donc ils vont réclamer, notamment aux États-Unis, que les scientifiques refassent des études sur les propriétés thérapeutiques du cannabis. Et c'est comme ça que le cannabis médical réémerge en Occident.

Les psychedeliques, quant à eux, ne sont pas encore vraiment utilisés au début du XXe siècle. Ils viennent à peine d'être redécouverts. C'est le cactus peyote qui est découvert en premier, un cactus qui pousse en Amérique centrale, et qui est découvert à la fin du XIXe siècle. On va en tirer la mescaline. La mescaline commence à être étudiée vraiment dans l'entre-deux-guerres, à la fin des années 1920.

Donc à ce moment-là, la mescaline commence à être étudiée en psychiatrie particulièrement.

Le LSD va être découvert au début des années 40 et intégré à la psychiatrie au début des années 50. Et les champignons hallucinogènes, eux, vont être découverts seulement à la fin des années 50. Donc, pour les psychédéliques particulièrement, des années 30 à peu près à la fin des années 60, c'est la période où ça va être étudié en médecine et où il n'y a pas encore de condamnation parce que ce sont des substances qui sont exclusivement utilisées par le corps médical. Il n'y a pas encore d'usage

ou d'usage en dehors d'un usage spécifiquement médical. Et c'est seulement à la fin des années 60, quand il y a de nouvelles générations des baby boomers américains qui vont commencer à utiliser ces produits pour faire la fête, mais aussi pour faire des expériences,

que la condamnation morale va arriver et donc que ces substances vont être classées dans le tableau des stupéfiants à la fin des années 60. Et là, à nouveau, ce classement-là, qui est censé protéger l'usage médical, va faire qu'on va en réalité, au cours des années 70, arrêter d'étudier les psychédéliques parce que ça devient trop stigmatisant de les utiliser en médecine, que les patients en ont peur, donc ils ne veulent pas qu'on leur en administre,

Et donc, toutes les études s'arrêtent au cours des années 1970 dans le monde entier. Et c'est seulement dans les années 2000 à peu près qu'il y a de nouvelles générations de thérapeutes qui s'intéressent à nouveau aux propriétés thérapeutiques de ces substances et qui vont petit à petit réclamer qu'on fasse des nouvelles études. Donc là, on est vraiment encore dans ce moment de redécouverte.

Il y a quelques études à travers le monde qui essayent de préciser les propriétés thérapeutiques, notamment de la psilocybine, donc c'est la substance qu'il y a dans les champignons hallucinogènes, et du LSD. Pour l'instant, c'est les deux substances les plus étudiées dans les psychédéliques classiques. Et puis, il y a aussi la MDMA, qui est un petit peu à côté, qui est une substance plus récente qui commence à être étudiée dans les années 1970, qui, elle aussi...

est en train d'être réhabilité aujourd'hui et étudié, en tout cas pour l'instant, dans le cadre de la psychothérapie. Mais on ne peut pas encore se faire prescrire ces substances-là parce qu'on est vraiment au tout début de la reprise de ces études. Il va encore falloir de nombreuses années pour qu'il y ait un consensus médical pour dire effectivement que ces substances sont non seulement sûres, donc elles ne sont pas trop dangereuses, et en plus, elles ont des propriétés thérapeutiques, donc on va les autoriser en médecine.

Et est-ce qu'en France, il y a un tabou au cours de l'histoire qui est un peu plus important ou spécifique par rapport à l'ensemble de l'Occident ? Je pose la question parce que particulièrement en France, on a souvent des débats sur le cannabis et on a souvent cette impression que les Français, en tout cas ceux qui peuvent parler dans les médias, les hommes politiques et les femmes politiques...

ont tendance à vraiment stigmatiser comme si c'est un peu avec le côté c'est de la drogue, c'est mal. Est-ce que c'est quelque chose qui est spécifique à la France et qui vaut pour toutes les substances ? Oui, c'est vraiment un contexte qui est spécifique à la France. Alors on a déjà l'une des législations à l'égard des stupéfiants qui est l'une des plus dures au niveau européen.

Et c'est vraiment lié à notre histoire spécifique dont je te parlais tout à l'heure de la fin de siècle, où le contexte français lié aux représentations très négatives qui vont être liées à l'usage notamment de morphine et ensuite de cocaïne comme étant des substances qui poussent la population à la dégénérescence va beaucoup plus marquer l'imaginaire collectif que dans d'autres pays.

Donc il y a vraiment un contexte français qui est très spécifique autour de ces produits, et notamment le corps médical français qui va lutter très fort contre ce type de pratiques dans un processus de légitimation de la profession. C'est-à-dire qu'à la fin du XIXe siècle, les médecins sont en train de devenir une profession particulièrement reconnue dans la population française, et donc ils

Ils ont une plus grande place, par exemple, en politique. Ils sont souvent maires de leur village et puis ensuite, ils vont devenir députés, préfets, etc. Donc, ils ont un poids politique qui est très fort et ils ont tout intérêt, à ce moment-là, à protéger leur monopole autour des psychotropes

Donc la législation qui va se mettre en place est liée à ce pouvoir médical très puissant de la fin du XIXe siècle qui stigmatise beaucoup l'usage de psychotropes, aussi dans un discours bourgeois. C'est-à-dire qu'il faut travailler, il faut être performant pour la patrie, et ça ne correspond pas aux représentations qu'on diffuse à cette époque de l'usage de psychotropes comme des gens qui sont paresseux, qui sont vicieux et qui sont donc nuisibles à la société.

C'est des représentations, ce n'est pas du tout la réalité, mais c'est comme ça que c'est présenté dans les médias et dans les discours médicaux. Et c'est particulièrement le cas en France. On ne retrouve pas exactement la même stigmatisation en Allemagne, par exemple, ou en Angleterre ou aux États-Unis. Donc, c'est vraiment lié à notre fin de siècle et à la peur de la dégénérescence. Et ensuite, ça va se...

En fait, la France est vraiment un pays conservateur. On a toujours l'impression que, en tout cas les Français et les Françaises ont toujours l'envie d'être le pays des droits de l'homme et de la modernité, etc. Mais c'est en réalité, quand on regarde, quel que soit le sujet qu'on regarde, la France est très en retard sur plein de domaines. Par exemple, sur le droit de vote des femmes, on a attendu beaucoup plus

plus longtemps que la plupart des autres pays européens, pour l'usage de stupéfiants, c'est la même chose. On est très conservateurs et donc on attend très longtemps de voir comment font les autres pays autour de nous et pour mettre en place petit à petit des évolutions dans la législation.

Donc c'est ce qui s'est fait, comme je t'expliquais tout à l'heure, avec la morphine. Ou par rapport à d'autres pays européens, on avait 40 ans de retard sur la mise en place des soins palliatifs parce que nous, on avait peur de la morphine et qu'on ne voulait pas la réutiliser en médecine. Pour le cannabis médical, c'est la même chose. On est à la traîne de tous les autres pays autour de nous. Et c'est aussi lié à des décisions politiques qui sont difficiles à prendre parce que, comme en France, il y a ce contexte

particulièrement stigmatisant autour de l'usage des stupéfiants. Les politiciens ou les politiciennes qui prendraient le risque de dire « on va faire évoluer la législation » perdraient un électorat très important qui a été très marqué par la guerre à la drogue, c'est comme ça que ça s'appelle, toute cette propagande qui a été diffusée depuis des décennies pour faire croire aux gens que les stupéfiants étaient des substances extrêmement dangereuses

en ne se basant absolument pas sur les données scientifiques dont on dispose sur ces produits, mais parce que ça permet de faire vendre, parce que ça permet d'avoir un discours politique qui va faire peur et donc qui va fonctionner, puisque les gens vont voter pour ces personnes qui sont censées protéger la population.

Et on a très bien vu en France, à la fin des années 90, le candidat Jospin avait dans son programme la proposition de légaliser le cannabis. Et ça a été un tel tollé médiatique qu'il a été obligé de retirer cette proposition. Et il n'a pas été élu en 2002. Et ça, tous les politiciens et les politiciennes aujourd'hui ont bien en tête cette histoire-là qui est finalement encore assez récente.

et personne ne va prendre le risque encore de faire évoluer la législation parce que les représentations demeurent très négatives, en particulier pour les générations les plus anciennes qui ont été baignées dans cet imaginaire de guerre à la drogue et qui sont celles qui votent le plus aujourd'hui. Donc voilà, ce contexte-là fait que pour l'instant on a encore du mal à dépasser ces représentations très négatives.

Ok, donc il ne faut pas s'attendre à ce que la France soit bientôt pionnière et il faut juste attendre de voir ce qui se passe ailleurs. Mais en tout cas, on comprend. La France est rarement pionnière. C'est vrai. Pratiquement pour tous les sujets dont on parle sur ce podcast, on est obligé de rappeler ça. Malgré la réputation de pays des droits de l'homme, c'est vrai qu'en fait, on n'y est pas du tout.

Ok, c'était super intéressant. C'était clair, je pense. Vous nous direz dans les commentaires ce que vous en avez pensé. N'hésitez pas à

à poser des questions et puis surtout à aller sur la page de l'épisode où vous aurez plusieurs liens pour retrouver les travaux de Zoé si vous voulez approfondir. Voilà, je pense que tu as vraiment beaucoup de contenus en ligne qui pourront les intéresser. Merci beaucoup encore pour cette invitation. Je suis ravie d'avoir participé. Merci à toi. Au revoir.

Et voilà, c'est fini. J'espère que cette conversation vous a plu. N'hésitez pas à me dire dans les commentaires ce que vous en avez pensé. Sur la page de l'épisode, je vais vous mettre quelques liens pour les personnes qui voudraient aller plus loin et voir le contenu de Zoé.

Elle intervient souvent dans les médias et elle alimente sa chaîne YouTube avec certaines de ses interventions. Donc, n'hésitez pas à aller voir.

Je vous précise que vous allez voir dans ces interventions récentes beaucoup de choses sur les psychédéliques. C'est tout simplement une catégorie bien spécifique des psychotropes qui apparemment est à la mode en ce moment.

Mais en général, son sujet d'études, comme elle nous l'a expliqué, est assez large et vous pouvez trouver pas mal d'infos dans toutes ses interventions. Ben voilà, c'est fini pour nous. Je vous souhaite une bonne semaine et je vous dis à très bientôt !