« France Culture » il est 21h, l'heure d'ouvrir une fenêtre sur l'imaginaire. Une heure pour s'évader grâce aux feuilletons, s'émerveiller avec l'instant poésie et plonger dans le lecture du soir. « Magellan » de Stefan Zweig, lu par Christophe Brault, en direct du studio 116 de la Maison de la Radio et de la Musique. Réalisation Christophe Roquet.
Deuxième épisode, les conquistadors. Les âges héroïques ne sont jamais sentimentaux. Ces hardis conquistadors qui ont donné des mondes entiers à l'Espagne et au Portugal sont mal récompensés pour leur roi. Magellan, qui a presque toujours combattu sur mer et est devenu un des navigateurs les plus habiles de son temps, n'est, dans la grande armée qu'on envoie à Azamor, qu'un officier subalterne.
Il est encore blessé, c'est la troisième fois déjà, dans un corps à corps. Un coup de lance dans le genou gauche atteint l'articulation et sa jambe restera toujours à demi ankylosée. On ne garde pas au front un homme qui ne peut ni se mouvoir normalement ni monter à cheval. On lui assigne, en compagnie d'un autre officier, la surveillance des innombrables troupeaux de chevaux et de bétails pris ou morts. Mais ici se produit un incident.
Quelques douzaines de moutons s'échappent la nuit de leurs immenses enclos et de méchantes langues accusent Magellan et son camarade d'avoir secrètement revendu une partie du butin aux morts ou d'avoir par négligence permis aux animaux de s'évader de leur parc.
Le fait que Magellan, à peine arrivé à Lisbonne, demande audience au roi, non pour se défendre, ni même pour se justifier, mais pour réclamer, avec une pleine conscience de son mérite, une occupation plus digne de lui, un meilleur traitement, prouve qu'il ne se sent pas coupable le moins du monde.
Mais Manuel ne lui laisse pas le temps d'exposer sa requête. Il lui coupe la parole et lui intime d'un ton bref l'ordre de rejoindre sur le champ son poste en Afrique et de se mettre à la disposition du haut commandement. Par respect de la discipline, Magellan doit obéir. Il retourne à Azamor par le prochain bateau.
Là, il n'est plus question d'enquête ni d'accusation depuis longtemps. Personne n'ose inculper ce soldat chevronné qui, bientôt nanti de l'autorisation formelle de l'état-major de quitter l'armée en tout honneur, ainsi que de tous les documents qui attestent son innocence et ses mérites, revient une seconde fois à Lisbonne. On imagine avec quelle amertume au cœur. Personne n'a été témoin de ce qui s'est passé en cette heure capitale.
Mais les descriptions concordantes des chroniqueurs contemporains nous permettent de jeter un coup d'œil à distance dans la salle du trône. Magellan s'avance vers le roi en traînant la jambe et lui remet avec une révérence les documents qui détruisent irréfutablement l'injuste accusation dont il a été l'objet. Puis, il formule sa première requête.
Il prit le roi, en considération de ses blessures qui l'ont mis hors d'état de servir, d'augmenter sa moradia d'un demi-croussado par mois, environ 6 francs de notre monnaie actuelle. Ce n'est pas d'une piécette d'argent d'un demi-croussado que Magellan se préoccupe, mais de son rang, de son honneur. Mal conseillé par sa colère, Manuel, que sa chance a fait surnommer « el Fortunado »,
rejette la demande de Magellan sans prévoir qu'avant peu il paierait de milliers de ducats d'or l'économie de ce demi-groussador. Mais au lieu de s'incliner et de quitter la salle, Magellan reste tranquillement devant le roi, raidit dans son orgueil, et expose sa seconde requête qui est au fond l'essentiel de sa supplique. Le roi n'aurait-il pas dans ses services une situation, une occupation digne de lui ?
Manuel a peine à soutenir davantage ce regard impérieux. Il répond au navigateur par un froid refus, sans même lui laisser d'espoir pour l'avenir. Il n'a pas de place pour lui. Magellan formule encore une troisième prière qui, à vrai dire, est tout simplement une question. Le roi s'oppose-t-il à ce qu'il prenne du service dans un pays étranger, où il espère trouver plus d'avancement ?
Le roi lui accorde cette permission avec une indifférence offensante. Après le refus blessant du roi Manuel, un autre aurait sans doute quitté le pays sur le champ et fait carrément ses offres ailleurs. Lui, au contraire, reste encore tranquillement un an au Portugal. Et tout le monde ignore à quoi il s'occupe. Il mène en apparence une vie très retirée. Plus surprenante serait plutôt la nouvelle amitié qu'il contracte.
En effet, Rui Faleiro, celui avec qui il se lie de plus en plus étroitement, intellectuel impulsif, prime sautier, nerveux, emporté, semble, avec sa terrible souhada, son caractère orgueilleux et querelleur, convenir aussi peu que possible à ce marin taciturne, ce soldat impassible, impénétrable.
Théoricien, homme de cabinet, n'ayant jamais mis le pied sur un bateau ni quitté le Portugal, il ne connaît les routes lointaines du ciel et de la terre que par les calculs, les livres, les tableaux et les cartes. Mais dans le domaine de l'abstrait, comme cartographe et comme astronome, il passe pour la plus haute autorité de son pays. On peut se demander à présent...
Quel est ce plan mystérieux que Magellan et Falaero, à l'ombre du palais royal de Lisbonne, discutent secrètement, comme des conspirateurs ? La réponse paraît au premier abord assez décevante.
Car ce plan n'est autre que l'idée que Magellan a rapportée des Indes et à laquelle il a été encouragé par son ami Serrao, à savoir : atteindre les îles des Épices, non pas comme le faisaient les Portugais par la route de l'Est qui contourne l'Afrique, mais par l'Ouest, en contournant l'Amérique. En soi, il ne représente rien de nouveau. On sait que ce n'est pas pour découvrir l'Amérique que Colón entreprit son célèbre voyage,
mais pour atteindre les Indes. Et lorsqu'en fin de compte le monde comprit l'erreur qu'il avait commise, l'Espagne ne renonça nullement à cause de cette découverte fortuite au voyage des Indes. Une expédition suit l'autre, mais bientôt dans leur recherche d'une voie maritime conduisant aux Indes, les Espagnols connaissent la même déception qu'auparavant les Portugais avec l'Afrique. Partout !
Que ce soit au sud ou au nord, où il tente de passer dans l'océan indien, il se heurte à une barrière infranchissable. Et voilà que soudain, ce petit capitaine inconnu, Magellan, se lève et déclare avec une assurance absolue. « Il existe un passage conduisant de l'océan Atlantique à l'océan Indien. Je le connais. Je sais l'endroit exact où il se trouve. »
Donnez-moi une flotte et je vous le montrerai. Et je ferai le tour de la Terre en allant de l'Est à l'Ouest. » Magellan est maintenant à la veille d'une grave décision. Il a un plan d'une hardiesse jamais atteinte par aucun autre navigateur. Et il a la certitude, ou du moins il croit l'avoir, que grâce aux informations particulières qu'il possède, ce plan doit inévitablement réussir.
Repoussé par son roi, impossible pour lui de trouver une aide auprès de ses amis les armateurs portugais. Aucun d'eux n'oserait confier un commandement à un homme en disgrâce à la cour. Il ne lui reste plus qu'un moyen, s'adresser à l'Espagne.
Ce n'est que là qu'il peut faire aboutir le grand projet de sa vie, certes au prix d'un sacrifice douloureux. Car s'il se tourne vers l'Espagne, il sait qu'il devra renoncer à son nom portugais de Magaléche, qu'il sera mis hors la loi, considéré par ses compatriotes comme un transfuge et un traître. Mais l'homme qui crée est soumis à une loi plus haute que la loi nationale.
Magellan s'était rendu compte au milieu de sa vie, après des années de fidélité à sa patrie, de la mission spéciale qui lui incombait. En automne 1517, il met son plan à exécution. Laissant provisoirement au Portugal son associé Faleiro, Magellan franchit la frontière espagnole. Le 20 octobre, il aborde à Séville avec son esclave Enrique qui le suit depuis des années comme son ombre.
Séville n'est pas à cette époque la résidence du nouveau roi d'Espagne, Carlos Ier, connu plus tard sous le nom de Charles Quint.
Mais Magellan n'ignore pas que ce port est en fait le seuil de la Nouvelle-Inde. C'est de là que partent la plupart des navires qui se rendent vers l'ouest. Et tel y est l'afflux des marchands, des capitaines, des courtiers et des commissionnaires, que le roi y a fait construire un comptoir commercial, la fameuse Casa de Contratación, appelée aussi Maison Indienne, Domus Indica ou encore Casa del Océano.
Quiconque propose une nouvelle expédition sous le pavillon espagnol doit commencer par se présenter à la Casa de Contratación pour y obtenir autorisation ou soutien.
Rien ne prouve mieux la force extraordinaire de patience de Magellan que le fait qu'il ne se presse nullement de faire cette démarche nécessaire. Il doit tout d'abord se faire des relations, se procurer des recommandations, avoir derrière lui une force ou de l'argent, avant de commencer à négocier avec les maîtres du pouvoir et de l'argent. Il semble du reste qu'il ait déjà, du Portugal, pris les mesures qui convenaient.
Ce qui est sûr, c'est qu'il est reçu immédiatement et avec la plus grande cordialité dans la maison de Diego Barbosa. Ce dernier a renoncé lui aussi, il y a longtemps, à sa nationalité portugaise et occupe depuis 14 ans au service de l'Espagne le poste important d'alcade de l'arsenal. Barbosa offre à Magellan de venir habiter sous son toit. Au bout de peu de temps, sa fille Barbara s'éprend de cet homme énergique et imposant.
Avant que l'année se termine, Magellan deviendra le gendre de l'alcade. Il aura ainsi des attaches et un foyer à Séville. Il n'est plus considéré comme un réfugié, mais comme un habitant de Séville. Bien accrédité par son amitié et son alliance avec Barbosa, couvert par la dot de sa femme, qui est de 600 000 maravedis, il peut franchir sans crainte le seuil de la Casa des Contrataciones.
« Nous ne possédons aucun renseignement sérieux sur les entretiens qu'il a eus et l'accueil qu'il a reçu dans cette maison. Nous ne savons pas ce que Magellan, lié par son serment à Ruy Falaero, a révélé de son projet à la Commission. Et il est probable que c'est par simple analogie avec Christophe Colomb qu'on prétend que la Commission a brutalement repoussé ses propositions ou les a même raillées. »
La première des innombrables portes qui conduisent à la salle d'audience du roi est restée fermée devant lui. Ce dut être une journée sombre pour Magellan. Mais il arrive souvent à la guerre qu'au moment où un capitaine se croit vaincu et se prépare à battre en retraite, un messager arrive qui annonce que l'ennemi s'est retiré, abandonnant le champ de bataille et lui laissant la victoire. C'est ce qui se passe.
C'est une telle minute que vit Magellan lorsqu'il reçoit, d'une façon tout à fait inattendue, la nouvelle que l'un des membres de la commission, lui qui croyait que tous trois l'avaient écouté avec des plaisirs, avait été extrêmement intéressé par son exposé. Juan de Aranda, le directeur commercial de la Casa de Contratación, désireux d'en savoir plus long sur ce projet hautement captivant, le priait de bien vouloir se mettre en relation avec lui.
Homme pratique avant tout, il a flairé dans la proposition du navigateur une excellente affaire. Qu'en tant que fonctionnaire du roi, il ait repoussé la proposition de Magellan comme non avantageuse pour la couronne, cela n'empêche pas Aranda de s'occuper de l'affaire à titre pris, de la financer ou de tirer une commission en tant qu'intermédiaire.
A vrai dire, cette façon d'agir n'a rien de correct. Et d'ailleurs, la Casa de Contratation lui intentera plus tard un procès. Ce serait une folie impardonnable de la part de Magellan que de se laisser arrêter par de vains scrupules. Il lui faut mettre en jeu tout ce qui est de nature à faire aboutir son projet. Et c'est pourquoi il confie sans doute davantage de son secret qu'il n'en avait le droit, d'après la parole donnée à Ruefa Lairo. À sa grande joie !
Il constate qu'Aranda se rallie entièrement à sa proposition. Dans cette nouvelle association, Magellan apporte son expérience. Faleiro, ses connaissances théoriques. Et Juan de Aranda, ses relations avec le monde financier. Sur ses conseils, avant de voir le roi, on s'efforcera de gagner le conseil de la couronne. Ce qui est certain, c'est que l'attitude décidée de Magellan doit avoir immédiatement frappé les conseillers du roi.
Cet homme est effectivement allé plus loin en Orient qu'aucun autre navigateur. Et lorsqu'il parle des îles des épices, de leur situation géographique, de leurs conditions climatiques et de leur richesse incalculable, ces informations s'avèrent, grâce à ses relations avec Vartema et à son amitié avec Serrao, plus sûres que celles que contiennent les archives espagnoles. Après avoir éveillé l'intérêt des hauts personnages, Magellan présente ses conclusions et ses demandes.
Le voyage par l'Ouest est beaucoup plus sûr. C'est d'ailleurs la direction que le Saint-Père a indiquée aux Espagnols.
Certes, dans cette direction se dresse comme une barrière le continent nouvellement découvert, l'Amérique, dont on affirme à tort qu'on ne peut la contourner par le sud. Mais lui, Magellan, possède des informations tout à fait précises qui lui permettent d'affirmer qu'il existe un passage, un détroit. Et il s'engage à mettre ce secret au service de la couronne à condition qu'elle lui équipe une flotte.
Maintenant que la question passe du domaine pratique au domaine théorique et qu'il faut prouver, à l'aide de méridiens et de cartes, que les îles des épices sont propriétés de la couronne d'Espagne, il laisse la parole à son ami Faleiro. Le roi et ses conseillers ont écouté, mi-indifférents, mi-intéressés, les exposés de Magellan et de Faleiro. Voici que se produit la chose la plus inattendue.
Ce ne sont pas les humanistes, les savants qui s'enthousiasment pour ce voyage autour du monde, qui doit fixer définitivement les dimensions de la Terre et confondre tous les atlas jusqu'alors existants, mais le sceptique Fonseca. A l'étonnement général, ce dernier se prononce en faveur de Magellan.
Peut-être, au fond de lui-même, est-il conscient de la faute qu'il a commise devant l'histoire en s'opposant à l'entreprise de Christophe Colomb. Et ne veut-il pas apparaître une seconde fois comme l'ennemi de toute grande idée ? Peut-être les longues conversations qu'il a eues avec Magellan l'ont-elles convaincue ? Le projet est accepté en principe et Magellan et Faleiro sont priés officiellement de soumettre leur proposition par écrit au Conseil de Sa Majesté.
Le 22 mars 1518, Charles Quint signe, au nom de sa mère Jeanne la Folle, selon la formule solennelle, « Io el rei », la capitulation, le contrat définitif avec Magellan et Ruy Faleiro. Étant donné, ainsi commence ce document historique, que vous, Hernando de Magalénes,
Chevalier natif du Portugal, et Rui Faleiro, bachelier, également natif de ce royaume, vous proposez de nous rendre un grand service dans les limites de la zone de l'océan qui nous a été attribuée. Nous ordonnons que l'accord suivant soit conclu avec vous dans ce but. Suivent toute une série de clauses. La première accorde à Magellan et à Faleiro le droit exclusif de navigation dans ces mers inconnues.
Dans les paragraphes suivants, on promet à Magellan et à Faleiro, en considération de leur bonne volonté et des services rendus par eux, un vingtième de tous les revenus qui seront tirés des territoires qu'ils découvriront, ainsi qu'un droit spécial sur deux îles, au cas où ils réussiraient à en découvrir plus de six. En outre...
On leur accorde, comme dans le contrat signé avec Christophe Colomb, pour eux-mêmes et pour leurs héritiers, le titre de gouverneur de tous ces territoires. Magellan n'avait jamais espéré cela, même dans ses rêves les plus hardis. En l'espace de quelques semaines, le sans-patrie qu'il était, l'homme méprisé, sans situation,
est devenu capitaine général d'une flotte de cinq navires, chevalier de l'ordre de Santiago, futur gouverneur de toutes les îles et terres qu'il découvrira, maître absolu d'une armada et avant tout maître, pour la première fois, de son destin.
Des grands exploits des héros, le monde, pour des raisons de simplification synoptique, ne retient de préférence que l'instant dramatique, pittoresque. Représenter Magellan, lui aussi, au moment du triomphe quand il franchit le détroit qu'il a découvert, peut séduire le peintre, le poète. En réalité, la partie la plus ardue de son œuvre fut peut-être d'arracher l'obtention d'une flotte, de poursuivre son armement au milieu de mille difficultés.
L'équipement de cette flotte doit parer à toutes les éventualités à la fois. Température polaire et tropicale, tempête et calme plat, navigation d'une, deux, voire trois années, guerre et commerce. Il doit tout prévoir, tout faire, tout réaliser par lui-même, et cela en dépit des obstacles les plus inattendus. La première attaque dirigée contre l'entreprise de Magellan vient du Portugal.
Le péril est trop grand pour le trésor de la couronne pour que Manuel n'essaye pas par tous les moyens d'empêcher cette dangereuse expédition. Aussi charge-t-il officiellement son ambassadeur Alvaro da Costa de la faire avorter. Alvaro da Costa affronte ardiment la difficulté et l'attaque même par les deux bouts. Il va d'abord trouver Magellan et cherche à la fois à l'intimider et à le séduire.
Mais Magellan sait le peu d'amour que lui porte son seigneur et maître et se doute bien qu'en fête de récompense, un bon coup de poignard serait le prix de son retour. Aussi déclare-t-il qu'il regrette, mais qu'il est trop tard. Les caprices des grands monarques de la terre se heurtent étrangement dans la destinée du Fidalgo hier encore inconnu. C'est seulement au moment où Carlos Ier lui a confié une flotte
que ce petit officier devient un personnage aux yeux de Don Manuel. En revanche, depuis que ces derniers essaient de le ravoir à tout prix, Carlos l'apprécie davantage. Et plus l'Espagne cherche à hâter le départ de sa flotte, plus le Portugal fait de furieux efforts pour le retarder. Un sabotage secret de l'expédition est organisé par Sébastien Alvarez, consul du Portugal à Séville.
Déjà, les cinq navires gréés de neuf, presque entièrement affrétés et montés, attendent l'ordre du départ. Mais Alvarez a gardé une flèche dans son carquois, une flèche empoisonnée. Il s'en servira pour atteindre Magellan à l'endroit le plus vulnérable. Il l'avertit loyalement de ne pas trop se fier aux paroles mielleuses du cardinal Fonseca, ni même aux assurances de la cour d'Espagne.
Sans doute Charles Quint l'a nommé amiral, ainsi que Falero et lui a confié le commandement suprême de la flotte. Mais est-il certain qu'on n'ait pas donné à d'autres des instructions secrètes qui limitent son autorité ? Il existait, il ne pouvait lui en dire davantage.
toutes sortes de clauses et d'instructions connues seulement des fonctionnaires royaux qui l'accompagnaient, dont on ne lui donnerait connaissance que lorsqu'il serait trop tard pour son honneur. Ce qu'Alvarez lui dit, Magellan le sait. Depuis longtemps, il n'a pu s'empêcher de remarquer une certaine ambiguïté dans l'attitude de la cour d'Espagne et de multiples indices lui font craindre qu'on ne joue pas franc jeu avec lui.
Le soupçon que celui qui a trahi un drapeau peut en trahir un autre, que celui qui a abandonné son roi peut être infidèle une seconde fois, s'attache à lui comme son ombre. Il sera toujours seul et seul contre tout. Un drame ne commence vraiment qu'au moment où le héros reconnaît le tragique de sa situation. Mais le rôle d'un héros est aussi de lutter contre un destin écrasant.
Magellan repousse énergiquement le tentateur. Non, il ne pactisera pas avec Manuel. Dès ce moment, il se sait environné ou pense l'être d'ennemi sur son propre vaisseau. Toutefois, ce sentiment d'insécurité ne l'abat nullement. Il durcit plutôt sa volonté. Il stimule son courage.
S'il doit être seul, Magellan veut l'être réellement. Le commandement de la flotte ne doit pas être réparti plus longtemps entre deux capitaines générales, entre deux amiraux. Il ne veut pas s'encombrer davantage de cet être querelleur, de cet hystérique qu'est Ruy Faleiro. Il faut jeter ce leste par-dessus bord avant que la flotte quitte le port.
On ignore comment Magellan a pu accomplir cet ultime et adroit tour de force. Faleiro se serait soi-disant tiré son horoscope et trouvant qu'il ne devait pas revenir de cette expédition, il se serait effacé de lui-même. Ainsi, le dernier obstacle, le plus rude de tous, se trouve écarté et l'entreprise de Magellan redevient ce qu'elle était à son début, son idée et son exploit personnel.
Tout lui incombe à présent, charges et peines, responsabilités et dangers, mais aussi la plus grande joie du créateur, ne devoir qu'à soi-même la réalisation de l'œuvre qu'il s'est proposée.
Musique originale, Lucas Valero, Pablo Valero et Christophe Oquet. Conseillère littéraire, Emmanuelle Chevrière. Prise de son et mixage, Benjamin Vignal, Éric Villanfin. Assistante à la réalisation, Claire Chéneau. Réalisation, Christophe Oquet. Musique originale,