Il est 18h30, tout juste à Paris, l'heure du grand débat avec Romain Oswey. Bonsoir Romain. Bonsoir Véronique. Et ce soir dans le débat du jour, nous parlons de la réponse de la justice aux décisions de Donald Trump. Le débat du jour.
Et oui, car cela ne nous a pas échappé, le nouveau président américain mène au pas de charge le début de son second mandat. Il ne cesse de signer des décrets, déjà une centaine depuis son investiture, portant sur ses thèmes favoris, l'immigration, l'économie. Mais il y a un pas entre ces décisions prises et leur mise en œuvre. Notre question ce soir, est-ce que la justice peut contrer Donald Trump ?
Car parallèlement à ces annonces, les plaintes et les recours se multiplient. Sur quoi peuvent-ils déboucher ? A quel point Donald Trump a-t-il les mains libres ? Soyez les bienvenus dans le débat du jour !
Et pour répondre à ces questions, nos deux invités à mes côtés en studio. Pierre Jarvet, bonsoir. Bonsoir. Vous êtes professeur de civilisation américaine à l'université Sorbonne-Nouvelle, auteur du livre « Histoire des États-Unis » de 1860. À nos jours, face à vous, Julien Boudon, bonsoir. Bonsoir. Spécialiste de droit public à l'université Paris-Saclay, spécialiste de droit constitutionnel des États-Unis. Merci beaucoup à vous deux d'avoir accepté l'invitation du débat du jour sur RFI. Alors, avant d'évoquer...
Le judiciaire, évoquons le législatif, puisque cela peut aussi constituer un contre-pouvoir pour Donald Trump, Julien Boudon. Est-ce que le président américain peut gouverner uniquement par décret, comme il le fait beaucoup depuis le début de son mandat ? Ou est-ce que ça constitue finalement un contournement illégal du Congrès ?
Alors, il ne peut pas gouverner par décret tout le temps. Il aura besoin de l'appui du législateur, donc du Congrès. Il faut savoir que les États-Unis sont caractérisés par un système de séparation des pouvoirs qu'ils appellent « checks and balances ». C'est « freins et contrepoids », les freins et balances. C'est très important de le comprendre que l'exécutif, le législatif et le judiciaire s'équilibrent dans la République américaine.
Et ce qu'il faut savoir aussi, c'est que depuis les élections de novembre dernier, le Sénat comme la Chambre des représentants, qui sont les deux chambres du Congrès fédéral américain, sont détenus par les Républicains, c'est-à-dire le même parti que Donald Trump, mais avec des majorités extrêmement fines, extrêmement courtes. Ce qui fait que Donald Trump n'arrivera certainement pas, vu la complexion des partis politiques aux États-Unis, n'arrivera pas non plus à imposer son agenda comme si de rien n'était. Donc ça veut dire qu'il y a peut-être la marge d'action du Congrès, finalement ?
La marge d'action du Congrès, ce n'est pas tellement de lutter contre la prise des décrets par Donald Trump, c'est plutôt de savoir quel type de loi le Congrès serait prêt à adopter sur l'impulsion de Donald Trump. Aux États-Unis, le président des États-Unis n'a pas de droit d'initiative législative, contrairement à la France, par exemple.
Cela vient du Congrès, mais c'est téléguisé par le Président et par l'administration fédérale de façon générale. Encore faut-il deux majorités, puisque le bicamérisme est totalement égalitaire aux États-Unis, contrairement à la Ve République. Il faut que les deux chambres adoptent le même projet de loi.
Et c'est ça, malgré cette victoire des Républicains lors du Super Tuesday en novembre, peut-être que les choses ne seront pas aussi simples que prévues pour Donald Trump. Dès lors, Pierre Jarvet, quelle est la portée des décrets signés par Donald Trump ? Je pense que là, on a une différence d'appréciation peut-être avec mon collègue, parce que je suis beaucoup moins optimiste que lui, dans la mesure où ce qu'il décrit est effectivement le fonctionnement normal des institutions, avec le respect des normes juridiques et démocratiques. Or, il y a un vrai risque que ces normes ne soient pas respectées,
Qu'il s'agisse d'un autocoup, comme on dit en Espagne. C'est un autogolpe et c'est la prise de pouvoir par Trump. Et c'est certainement ce qui est en train d'essayer de se passer. Puisque nous avons une série d'actions, et là ce n'est plus des décrets, qui sont des actions illégales.
Je pense en particulier à la fermeture de USAID, à la capture des données du ministère des Finances, du Trésor, par Elon Musk, qui n'a aucune base légale. Le renvoi d'un certain nombre de procureurs du département de la justice et de potentiellement plusieurs milliers d'agents du FBI.
Et ce qui est extrêmement inquiétant, c'est qu'il n'y a pas de réaction au niveau républicain dans le Congrès contre ce qui constitue des abus de pouvoir majeurs, des détournements de la Constitution. USAID n'est pas une agence républicaine.
décidée uniquement par le président. Elle a été créée par le Congrès et donc la supprimer est illégale. Pas de réaction politique, mais si c'est illégal, il y aurait une réponse judiciaire. Il y a déjà eu une réponse judiciaire puisqu'il y a déjà eu un juge qui a suspendu le fait d'arrêter les paiements, les versements de l'État fédéral, ce que Musk fait. Le problème est qu'à ma connaissance hier, les paiements n'avaient pas repris. C'est-à-dire que cette décision juridique n'a pas eu d'effet pour l'instant, à ma connaissance.
Et il y a un vrai risque que ces décisions juridiques soient ignorées. Les normes juridiques fonctionnent si elles sont respectées. Si elles ne sont pas respectées, elles ne fonctionnent plus. Mais jusqu'où Donald Trump peut ignorer la justice ?
jusqu'à une prise de pouvoir dictatoriale potentiellement, si on va dans cette direction-là. Après, les oppositions juridiques et les oppositions du Congrès ne valent que ce que vaut la volonté politique de s'opposer à une tentative de coup d'État. Julien Bouton, ça c'est intéressant. On va évoquer quelle peut être la réponse judiciaire, mais déjà Pierre Jarvet nous dit que finalement, quelle que soit la réponse judiciaire, Donald Trump peut s'en affranchir. Vous êtes d'accord ou pas ? Non, il ne peut pas s'en affranchir, sauf à verser...
définitivement dans l'illégalité et l'inconscionnalité. La question, elle est là. C'est ce qu'il dit. Est-ce que nous y sommes ? Est-ce que nous n'y sommes pas ? Il y a un certain nombre de mesures qui sont clairement inconscionnelles. Et ça, ça pose un problème, mais qui vaut pour la France comme pour les États-Unis. C'est la manière dont nos démocraties dites représentatives évoluent.
C'est-à-dire que désormais, on voit des effets d'annonce où on prend des dizaines de mesures qu'on sait particulièrement illégales et inconscientelles, et en réalité pour flatter l'opinion publique de façon totalement démagogique, en disant « ça n'a aucune espèce d'importance ». Et ça, c'est quelque chose qui est un marqueur en s'en remettant – alors je fais le lien avec ce que vous disiez à l'instant – en s'en remettant au judiciaire, en disant « mais de toute façon, le juge pourra dire pour mieux lui tomber dessus », en disant « c'est le gouvernement des juges ».
C'est ça qui est dévoyé complètement de nos démocraties actuellement, dévoyé de la séparation des pouvoirs. Et ça, c'est dangereux pour le monde, pas seulement américain d'ailleurs, le monde occidental de façon générale et au-delà. C'est qu'on a tendance à instrumentaliser totalement le débat. Et surtout, c'est de la mauvaise politique. C'est-à-dire, non seulement, sur le fond, ce n'est pas une bonne manière de faire de la politique, mais surtout, on sait que c'est clairement inconscient, c'est clairement illégal. Mais ce n'est pas grave, ce n'est pas grave. On verra plus tard.
On verra plus tard. Les dégâts seront commis, en réalité, déjà, quelles que soient les réactions des juges, parce que Pierre Javelle disait à l'instant, il y a eu des réactions déjà des juges, de nombreux juges fédéraux. Il faut rappeler qu'aux Etats-Unis, les juges sont nommés sur proposition du président avec le consentement du
Et que Donald Trump a renouvelé à peu près un quart de la magistrature fédérale dans son premier mandat. Donc ça, ce n'est pas non plus une bonne manière de faire parce qu'on politise également la magistrature fédérale. Ça va dans les deux sens, c'est ça. On politise de judiciaire et on judiciarise de politique. Il n'y a pas de garde-fou contre ça ?
Les garde-fous, on en a vu trois, Pierre Javet, dans les dernières semaines, puisque trois juges fédéraux ont suspendu temporairement trois décrets de Donald Trump. Celui dont on a beaucoup parlé, c'est celui sur, naturellement, le droit du sol et la remise en cause du droit du sol, qui est une violation mais flagrante
aucun juriste américain ne vous dira le contraire. C'est une violence, une violation absolument flagrante du 14e amendement. Il n'y a pas de... Les juristes adorent l'interprétation. Il n'y a pas de jeu à l'interprétation ici. C'est-à-dire, c'est clair, le 14e amendement dispose que toute personne née sur le sol américain ait de nationalité américaine. Et là, Donald Trump a signé un décret où il dit, dans lequel il
il est écrit que les enfants nés aux Etats-Unis de parents sans papier, pour eux, le droit du sol est révoqué. Alors, c'est plus compliqué. Il met des conditions à cela, mais en gros, il revient là-dessus. En gros, il révoque le droit du sol. Mais tout de suite, vous voyez, il y a eu un contre-pouvoir, il y a eu un contre-poison qui s'est manifesté, puisque la mesure a été immédiatement suspendue par un juge de Washington, avec toutes les limites que ça a, puisque selon...
Le système fédéral américain, ça va inévitablement remonter d'abord à une cour de circuit, c'est-à-dire à une cour d'appel, et in fine à la Cour suprême, dont on sait qu'elle est à majorité conservatrice, que trois des neuf ont été nommés par Donald Trump lors de son premier mandat.
Donc ça va revenir à la Cour suprême. Inévitablement, à la Cour suprême des Etats-Unis. Et là, on verra. Ça vous fait sourire, Pierre-Javier. Ça veut dire que vous n'y croyez pas. Puisque la Cour suprême, elle peut aussi donner tort à Donald Trump, paradoxalement. Oui, la Cour suprême a quand même donné à Donald Trump une immunité quasiment totale dans le cadre de ses activités présidentielles l'été dernier.
à ça. Vous avez des argussies juridiques autour du 14e amendement, disant oui, mais le 14e amendement dit que ça n'est valable que pour les gens qui sont sous la juridiction des Etats-Unis, donc à partir du moment où vous êtes un enfant illégal, vous n'êtes pas sous la juridiction des Etats-Unis. Ce sont des argussies spécieuses. Mon problème, et la raison pour laquelle je sonne une note beaucoup
plus sombre, mon problème, mais plus dans le respect des décisions juridiques. Et c'est ça le vrai problème. Je rappelle ce que Andrew Jackson a dit au moment où la Cour suprême des États-Unis a donné aux nations amérindiennes le droit de rester dans le Sud-Est alors que Jackson voulait les expulser. Il a dit, je cite, « Marshall a rendu sa décision, et bien maintenant qu'il l'applique ».
Et il a chassé les tribus en question et il ne s'est jamais rien passé. C'est-à-dire que si l'exécutif décide effectivement de s'affranchir complètement de l'état de droit, et je pense qu'on est véritablement en train d'assister à ça, à ce moment-là, il n'y a plus de garde-fou juridique. Mais quelles conséquences, je ne sais pas, aux Etats-Unis ? Alors aux Etats-Unis, on peut s'attendre à des protestations violentes. Je pense que la raison pour laquelle Excef a été nommé ministre de la Défense, c'est précisément parce que les gens de Trump prévoient déjà des répressions violentes, militaires, armées,
sanglante de protestation. Je pense que c'est tout à fait à l'ordre du jour compte tenu de la politique actuelle. Je pense que le vrai problème va être en fait les divisions à l'intérieur de la coalition Trump entre des gens qui quand même essayent de continuer à essayer de faire de l'argent
ce qui est un petit peu difficile si le pays s'effondre dans le chaos, et la frange dure du mouvement qui, elle, ne verrait pas du tout d'inconvénient à s'affranchir entièrement de la démocratie libérale. Je pense qu'il y a pas mal de gens dans la coalition Trump qui sont prêts à le faire, y compris à la base. C'est des gens armés, dangereux et nombreux. Donc on est dans une situation extrêmement tendue. Je ne suis pas du tout certain de la direction que ça va prendre. Et j'avoue que les garde-fous traditionnels, qui sont ceux que mon collègue décrit, tout à fait, c'est ceux qui sont censés fonctionner.
en temps normal. Je ne suis pas sûr qu'il fonctionne maintenant. Julien Boudon, on pose la question ce soir, est-ce que la justice peut contrôler Donald Trump ? Finalement, Pierre Javier nous dit que le bras de fer, ce ne sera pas politique contre justice, mais politique contre la rue ?
Inévitablement, dans des pays qui se disent démocratiques et où le peuple est déclaré souverain, à un moment ou à un autre, si les gouvernants prennent des décisions qui vont clairement à l'encontre des dispositions constitutionnelles telles que les interprètes européens,
les gens. Il y aura, ce que dit Pierre Gervais est tout à fait exact, il y aura sans doute des émeutes et des soulèvements et on risque d'assister à des choses extrêmement sombres. Alors, je ne veux pas me montrer aussi pessimiste que lui. C'est très bien. Notre divergence est peut-être sur ce point. Je crois plus à la vertu
de ces fameux checks and balances. J'espère que la démocratie américaine ne va pas verser comme ça dans le fossé. Il faut rappeler, on ne l'a pas dit, mais ça coule de source pour nous, mais il faut rappeler que les États-Unis, c'est une fédération. Dans une fédération, le gouvernement fédéral ne peut pas tout. Il y a 50 États, il y a 50 States,
Et dans ces 50 États, la résistance aussi s'organise, du moins dans un certain nombre d'entre eux. Ceux qui sont majoritairement démocrates depuis longtemps. La Californie a déjà mis de côté 25 millions de dollars pour préparer une réponse judiciaire aux actions de Donald Trump. Mais justement, une réponse judiciaire. Une réponse judiciaire. Parce que peut-être l'autre réponse...
L'autre réponse, j'espère qu'on n'assistera pas à ça, ça serait d'une tristesse terrible, mais ce qu'on peut craindre, c'est des morts. C'est des insurrections et des morts. C'est bien ça qu'on peut craindre. Attendons de voir quand même, parce que les anticorps vont...
ont besoin d'un peu de temps pour se manifester. Là, il y a un fameux sidération. En fait, je crois que nous sommes tous complètement sidérés. C'est-à-dire qu'on est un peu éberlués devant ce spectacle fascinant, mais de façon morbide, j'ai envie de dire. Mais attendons de voir, parce que les contre-pouvoirs mettent toujours un peu de temps à...
à réagir. Donc ne soyons pas définitivement pessimistes aujourd'hui. Attendons peut-être encore un tout petit peu, tout en sachant qu'il faut impérativement résister contre cette vague de mesures totalement illégales, inconscientelles. Alors, ce qui est à la tête de la justice fédérale, et c'est un des grands enjeux, c'est la Cour suprême. Est-ce que vous êtes d'accord avec Pierre Jarvet sur le fait que finalement la Cour suprême, elle ne peut que donner raison à Donald Trump ? J'ai pas dit ça. J'ai dit que ça risquait. Non, mais ça risquait.
Ce que j'ai dit, ce que j'ai dit, ce n'est pas que la Cour suprême allait nécessairement donner raison à Trump. C'est que la Cour suprême avait dans le passé donné raison à Trump dans un cadre où elle n'aurait pas dû. Donc il était clair qu'il s'agissait d'un de ces jugements de la Cour suprême qui font date du genre Dred Scott ou des choses comme ça qui, 100 ans plus tard, sont considérés avec étonnement. Alors voilà, je serais content pour le débat. Non mais c'est vrai.
J'ai une licention sur l'arrêt Trump versus United States qui a été rendu le 1er juillet 2024. C'est à ça que Pierre Javé fait allusion. Je ne suis pas du tout aussi inquiet s'agissant de cet arrêt parce qu'il se trouve que je l'ai beaucoup commenté et beaucoup lu et beaucoup interprété. Et quand on regarde un peu par rapport à l'article 67-68 de la Constitution française de 1958, le statut du président des Etats-Unis...
reste moins protecteur qu'en France. Je trouve que les Français sont très allants pour dire que le président des Etats-Unis reçoit une immunité pénale absolue. En réalité, notre président de la République à nous reçoit une immunité beaucoup plus vaste, beaucoup plus étendue que celle du président des Etats-Unis. C'est un arrêt un peu compliqué. Il distingue entre trois types d'actes du président des Etats-Unis.
C'est un arrêt qu'on attendait depuis 50 ans en réalité et à un moment ou un autre, il fallait statuer sur l'immunité pénale. Elle est uniquement pénale en l'espèce. Ce n'est pas tellement cet arrêt qui me trouble, c'est plutôt tous les autres, j'ai envie de dire !
C'est tous ces arrêts extrêmement réactionnaires. Et puis on voit qu'une majorité très affranchie, une majorité conservatrice de six juges contre trois, qui est très alente, qui est prête à suivre une forme d'agenda. Et on voit néanmoins dans cette majorité de six des dissensions qui peuvent nous laisser un peu d'espoir. On voit le Chief Justice Roberts, par exemple,
qui essayent de maintenir une position un peu équilibrée. On voit qu'Amy Barrett, qui a été nommée par Donald Trump, elle se distingue, notamment dans cet arrêt dont on parle du 1er juillet, elle se distingue un peu des autres juges de la majorité conservatrice. Donc, ce n'est pas non plus un bloc complètement homogène que ces six juges conservateurs, alors que les trois juges progressistes, eux, forment vraiment une minorité très homogène. Et sur cette question, la justice peut-elle contrôler Donald Trump ?
la Cour suprême, c'est l'enjeu majeur. Parce que c'est la Cour suprême qui, finalement, aura le dernier mot sur les litiges en cours. J'ajoute juste un mot, je ne veux pas monopoliser toute la parole, mais comme disaient Hamilton et Madison dans Le Fédéraliste, qui est la Bible aux Etats-Unis, le président des Etats-Unis a le pouvoir de l'épée. Le Congrès a le pouvoir de la bourse, de l'argent. Mais le juge, quel est son pouvoir, en gros ? Qu'est-ce qu'il peut faire ?
Et les pères fondateurs américains, c'est le pouvoir de conviction. Il faut que les gens aient confiance en nous pour nous voir comme des gens avisés qui vont rendre la justice de manière correcte. Donc en fait, c'est la confiance qu'on place dans l'institution judiciaire qui sert à établir finalement le respect que l'on doit aux décisions, même si elles étaient contraires aux décisions prises par Donald Trump.
Ce qui n'est pas d'augure à rassurer finalement, c'est l'histoire judiciaire récente aux États-Unis. On a quand même un président américain qui a été condamné par la justice et qui est malgré tout président. Alors il faut faire ici encore distinction. C'est ce dont on parlait s'agissant du système fédéral. C'est qu'à l'aune de cet arrêt du 1er juillet 2024 rendu par la Cour suprême,
En gros, toutes les poursuites fédérales ont été abandonnées contre Donald Trump. La question qui va se poser dans quatre ans, c'est, à la fin du mandat de Donald Trump, est-ce que la justice va reprendre son cours ? Ça, c'est le point d'interrogation s'agissant des poursuites fédérales. Maintenant, il y a toutes les poursuites dans les États français.
fédérés, et notamment en Géorgie. Et ça, ça va être le gros sujet de savoir dans quelle mesure la jurisprudence fédérale contamine la jurisprudence des États fédérés. Est-ce qu'elles vont être parallèles ou est-ce qu'au contraire les juges des États fédérés vont tenir compte de l'arrêt du 1er juillet 2024 ? Pierre Gervais, est-ce qu'on peut faire un parallèle avec le premier mandat de Donald Trump ? Parce que là, c'est évidemment trop tôt pour tirer les enseignements de la réponse judiciaire au décret. Non, non, on est dans
Dans le sens, quelle a été la réponse judiciaire aux décisions prises par Donald Trump lors de son premier mandat ? La réponse judiciaire aux décisions prises par Donald Trump a été extrêmement lente parce qu'on est d'abord passé par une réponse politique qui était le impeachment, qui est la réponse normale quand il s'agit de ce type de situation. La réponse judiciaire s'est véritablement déployée après la fin du mandat de Donald Trump. En réalité, ces poursuites ont été mises
à l'arrêt, en gros, jusqu'à ce que... Enfin, je crois qu'il y en avait déjà deux de lancées, si mes souvenirs sont bons, avant le début de son mandat. Elles ont repris après la fin de son mandat, ce qui est normal pour des procédures d'État. Le problème, c'est là où la situation est très différente, c'est que nous n'avons plus la certitude...
C'est là, je pense que c'est vraiment une discussion clé, là, ici, que le pouvoir du juge tel que vous l'avez décrit, effectivement, qui est un pouvoir de conviction fondé sur la tradition de démocratie libérale, existe encore. Nous n'en savons rien à ce stade.
Un certain nombre de décisions dans les quelques jours qui viennent de s'écouler ont été prises. Et je trouve que la concentration sur les tarifs douaniers est tout à fait regrettable parce qu'en réalité, c'est beaucoup moins important que la prise de contrôle du département de la justice et du FBI par des idéologues et des agents militants
de Trump en chassant les professionnels de la chose. Ça, ça rejoint la politisation de la justice. C'est pas seulement de la politisation, c'est une prise de pouvoir, c'est un coup d'État, c'est une capture de l'appareil d'État. C'est une capture de l'appareil d'État qui va absolument contre toutes les règles, non seulement constitutionnelles, mais vous avez des lois qui datent de 1883 sur le service public, vous avez le statut des agences fédérales indépendantes, vous avez toute une série, tout un appareil...
qui normalement devrait interdire complètement ce genre d'action. Ces actions ont été prises. Elles ont des conséquences à l'heure où je parle. Et effectivement, les juges disent « ça ne va pas ». Dès qu'on leur demande, les juges disent « ça ne va pas » parce qu'ils disent le droit, bien sûr, surtout au niveau du juge fédéral, si je puis dire, qui voit ça pour la première fois. Mais rien ne garantit que ces jugements seront suivis d'effet. Parce que pour ça, il faudrait que la démocratie libérale existe encore. À ce stade, à mes yeux, ça n'est plus une certitude.
Vous évoquiez le temps de la justice. C'est intéressant parce que la question se pose aussi même pour ce second mandat. Donald Trump prend des décrets. La justice tente de les contrer. Encore faut-il que la décision judiciaire, vous l'avez dit Pierre Javé, soit respectée. Mais déjà, elle va mettre du temps. Alors,
Mon collègue l'expliquera mieux que moi, mais c'est suspensif quand même. Je fais quand même la bonne demande des choses. Non, mais dans le sens où les décrets pris par Donald Trump, entre le moment où ils sont pris et le moment où ils entrent en vigueur, où ils sont contrés par la réponse judiciaire, il y a du temps.
Oui, en fait, il y a des mécanismes d'urgence qui permettent de remédier et d'éviter que les dégâts soient colossaux tout de suite. Donc c'est exactement toutes les décisions dont on parle là, les trois décisions de juge de district. On peut prendre des exemples ? Par exemple, encore une fois, vous avez évoqué le décret qui révoque le droit du sol. C'est quelque chose de très emblématique. Mettons que cette action du juge fédéral qui la bloque temporairement, mettons que la justice, la Cour suprême...
disent non, ce décret est contraire à la Constitution. Entre-temps, ça va concerner énormément de monde.
Justement, ce sont des suspensions qui vont de période en période en réalité. Et puis surtout, c'est un juge de district fédéral. Mais comme on l'a dit, il y en a des dizaines de tribunaux fédéraux. Donc en réalité, il faut voir aussi ce que les autres vont faire. Comme ils vont fatalement se contredire, ça va remonter au niveau supérieur. Au niveau supérieur, on va peut-être même éviter le niveau de l'appel. Et ça va remonter peut-être directement, sans aucun doute en réalité...
à la Cour suprême des États-Unis, qui a ce pouvoir extraordinaire parmi toutes les cours constitutionnelles dans le monde, de choisir ses affaires. Mais là, elle va évidemment choisir cette affaire parce qu'elle est colossale, elle est énorme. C'est la remise en cause de quelque chose qui existe depuis 150 ans aux États-Unis. Il est évident qu'elle n'esquivera pas la question. Et elle va répondre dans un temps qui sera là pour le coup sans doute assez bref, contrairement...
à ses habitudes, où en général elle aime bien prendre son temps quand même, bien réfléchir, parce que c'est que 80 arrêts en moyenne qui sont délivrés par la Cour suprême des Etats-Unis. La justice peut-elle contrer Donald Trump ? La question qu'on pose ce soir dans le débat du jour, alors qu'évidemment le président américain, en quelques semaines seulement de ce second mandat, a déjà signé une centaine de décrets. Est-ce que ces décrets...
Eh bien, peuvent être contrées par la réponse judiciaire. C'est la question qu'on pose ce soir. Julien Boudon, professeur de droit public à l'université Paris-Saclay, spécialiste de droit constitutionnel des États-Unis. Et Pierre Gervais sont mes deux invités. Pierre Gervais, professeur de civilisation américaine à l'université Sorbonne-Nouvelle, auteur du livre « Histoire des États-Unis de 1860 à nos jours ». Julien Boudon, c'est intéressant parce que quand on parle « réponse judiciaire »,
Ça pose quand même la question de la séparation des pouvoirs. Jusqu'où la justice peut-elle répondre sans violer cette séparation des pouvoirs ?
Alors ça, c'est vraiment la question la plus subtile et la plus complexe de la conscience américaine de 1787, ce fameux système de checks and balances. C'est-à-dire qu'aucun organe n'exerce en monopole une fonction ou très peu, parce que très souvent, il y a ce que les Américains appellent des empiétements, qui permettent à un organe d'empiéter sur la fonction naturelle, on va dire, d'un autre.
Mais en réalité, ce n'est pas tellement ça la question. La question, je crois que Pierre Gervais l'a très bien résumée, c'est qu'on voit un ébranlement inouï, on n'a jamais assisté à ça, des institutions classiques d'une démocratie libérale. Pierre Gervais, ce qu'il nous dit, c'est finalement, entre guillemets, quelle que soit la réponse judiciaire, le risque, c'est que Donald Trump s'en affranchisse. S'il n'avait pas de bras pour faire exécuter une décision de justice...
la décision de justice reste une barrière de parchemin comme disait Madison. Donc la question c'est, est-ce que vous avez une police, est-ce que vous avez une gendarmerie, pour prendre un vocabulaire français, qui est d'accord pour faire appliquer la décision de justice, parce que ce n'est pas les juges eux-mêmes qui dans leur robe noire vont aller sur le terrain pour faire appliquer la décision. Mais est-ce que la séparation des pouvoirs ce n'est pas un frein à la réponse judiciaire ?
Ah non, pas du tout. Au contraire, la question, c'est de savoir est-ce que la séparation des pouvoirs va bien marcher ? C'est au contraire ça. Est-ce qu'on ne peut pas accuser le juridique d'empiéter sur le politique ? Non, c'est pas du tout. Chacun est dans son rôle. Le risque est contraire. Chacun a ses compétences
et ses vertus à respecter ses compétences. Ce qu'on voit avec le trumpisme, c'est que précisément, on sort totalement du lit constitutionnel qui est affecté par l'article 2 de la Constitution américaine au président des Etats-Unis. C'est ça le problème. Les juges, eux, par définition, sont respectueux des compétences. C'est leur métier d'être des professionnels du droit. Le Congrès, lui...
Malheureusement pour lui, c'est une langue de descente aux enfers depuis deux siècles, en quelque sorte, ou depuis un siècle. Autant la présidence impériale, c'est bien le président des États-Unis. Or ici, avec Donald Trump, deuxième mandat, on a quelque chose d'inouï, d'inédit, et qui ébranle totalement la démocratie américaine, de savoir si on peut laisser un fou furieux, il faut appeler les choses comme...
comme elle s'appelle, il faut appeler... Est-ce qu'il y a encore des limites d'ordre congressionnel ou d'ordre judiciaire à un pouvoir qui... Alors, je n'irai pas jusqu'à dire dictatorial. On va voir, à ce point précis...
On ne peut pas encore dire dictatorial, inconscionnel, illégal, assurément. Et on est au bord du précipice. Ça, on peut le dire aussi. Vous vous rangez de plus en plus à l'avis de Pierre Gervais. Je voulais faire plaisir. Le problème, c'est ce qui s'est passé depuis 48 heures. C'est la prise de contrôle de certains secteurs de l'appareil d'État américain par Erdogan,
Et ces affidés directs qui n'ont aucun rôle officiel, qui n'ont aucune fonction officielle, qui n'ont aucun droit de faire ce qu'ils font et qui ont littéralement capturé des bureaux, y compris au Trésor américain, où ils ont capturé le cœur de l'appareil de dépense américain, qui est la partie comptable, si vous voulez...
qu'ils ont mis sous séquestre. Or, il s'agit là, effectivement, d'abord de quelque chose qui est complètement inconstitutionnel, puisque ces dépenses sont fixées par le Congrès, et que donc le président est encore moins quelqu'un qu'il a nommé comme ça, qui n'a aucun rôle de cabinet, ne peut s'affranchir de la nécessité de dépenser ses fonds. Or, très explicitement, depuis deux jours, Musk et ses hommes ont chassé les responsables du Trésor. — Oui.
Et ont pris le contrôle du trésor américain. C'est quelque chose qui s'apparente quand même à un coup d'État. La question qu'on pose ce soir, c'est est-ce que la justice peut contrer Donald Trump ? Et finalement, Julien Boudon a commencé à soulever le coup d'après qui est comment faire appliquer les futures décisions de justice ?
Pierre Jarvet. C'est bien le problème. C'est que déjà, c'était un problème sous Andrew Jackson, puisque on l'a vu, la décision de la Cour suprême n'a jamais été appliquée. Là, on est dans des circonstances beaucoup plus sérieuses en un sens, puisqu'on a en même temps la prise de contrôle de l'appareil policier américain et du département de la justice.
par des idéologues envoyés par Trump. Je vous rappelle que Trump est en train d'essayer de chasser plusieurs milliers d'agents du FBI, à l'heure où nous parlons. Trump a licencié 15 ou 20, je ne me souviens plus, procureurs fédéraux pour essayer de les remplacer par des gens à lui. Donc il s'agit véritablement d'un coup d'État légal ou d'une tentative de coup d'État légal. Après, la façon dont ça va jouer finalement ne dépend plus tant du juridique
que de la capacité d'opposition politique. Or, elle est très faible chez les démocrates, il faut bien le dire, qu'on n'entend pratiquement pas sur cette question. Et donc, on en est à avoir des manifestations à Los Angeles de gens qui s'opposent dans la rue. C'est arrivé hier. On ne voit pas jusqu'à quel point ça va... Ça peut dégénérer, mais je pense que ça peut dégénérer fort. Ça peut dégénérer, mais est-ce que la mobilisation populaire, la contestation populaire, elle peut être plus forte que, justement, cette réponse juridique, mais dans le bon sens du terme ? Alors oui, mais en même
C'est un pays extrêmement militarisé, avec énormément d'armes à feu, des milices d'extrême droite qui sont extrêmement puissantes, une police qui est radicalisée, la police républicaine française à côté est vraiment républicaine, ce qui nous donne une idée de l'ampleur des dégâts. Et la situation est extrêmement grave. Donc il y a une dernière barrière qui est l'armée.
Il faut bien le dire. L'armée est républicaine traditionnellement. Les cadres de l'armée, généralement, sont très entraînés du point de vue constitutionnel. Mais je n'exclus pas, effectivement, une guerre civile aux États-Unis. On va terminer avec ces mots, même s'ils sont lourds. En tout cas, la justice peut-elle contrer Donald Trump ? On a entendu votre pessimisme. Rien ne l'indique.
Merci beaucoup à vous deux. Pierre Gervais, professeur de civilisation américaine à l'université Sorbonne-Nouvelle. Julien Boudon, professeur de droit public à l'université Paris-Saclay, spécialiste de droit constitutionnel des Etats-Unis. Merci à Florence Ponce qui était à la préparation de ce débat et Pauline Bertélémy
à la réalisation, merci à la documentation de Radio France Internationale. Coup d'œil à la pendule, 18h58 ici à Paris, ça veut dire que dans un peu plus d'une minute, ce sera l'heure du Grand Journal du Soir avec Diane Berger. Le dossier sera consacré ce soir au sommet informel.
des dirigeants européens qui se tient aujourd'hui à Bruxelles. Juste après, une demi-heure plus tard, ce sera l'heure de la première édition d'Afrique Soir. Bonsoir Zéphirin Coadio. Bonsoir Romain, bonsoir à toutes et à tous. Et au programme ce soir, réanimation d'une centaine de corps à Goma dans l'est de la RDC. Oui, la capitale de la province du Nord qui vous ont en grande partie tombé selon les mots du porte-parole du gouvernement.
Ces corps sont ceux de personnes tuées dans les affrontements de la semaine dernière. Affrontement entre l'armée appuyée par ses alliés et les rebelles du M23 soutenus par le Rwanda. L'attaque djihadiste contre Djibout, localité de la province du Soum au Burkina Faso. Oui, des djihadistes ont pris pour cible en déposition de l'armée. Attaque revendiquée par le GNIM, le groupe de soutien terroriste.
à l'islam et aux musulmans. Pour l'instant, aucune communication officielle ni de l'armée ni du gouvernement. Et puis, on parle des Etats-Unis dans le débat du jour. Inquiétude des organisations humanitaires après le gel de l'aide internationale américaine. Oui, décision prise le 20 janvier dernier par le président américain Donald Trump. Le nouvel hôte de la Maison Blanche a décidé de stopper pour 90 jours l'aide internationale américaine. Mesure qui a déjà des conséquences concrètes et tragiques. On vous retrouve dans 30 minutes. Zéphirin Coadio, restez à l'écoute dans 30 secondes. C'est le Grand Journal du soir.