Il est déjà 18h30 à Paris, l'heure du débat avec Romain Osoui. Bonsoir Romain. Bonsoir Véronique. Nous parlons ce soir des agriculteurs français dans le débat du jour. Et des agriculteurs qui, une nouvelle fois, font entendre leur voix un an après un mouvement d'importance qui avait vu les tracteurs converger vers Paris.
Pour tenter d'éviter une nouvelle crise, le Premier ministre François Bayrou a reçu ce lundi les principaux syndicats agricoles. Ces derniers attendent maintenant des actes de la part de l'exécutif. Car les agriculteurs souffrent et cela se voit. Chaque année, environ 10 000 exploitations mettent la clé sous la porte en France. D'où notre question ce soir. Peut-on vivre de l'agriculture en France ? Pourquoi est-il si difficile d'obtenir un revenu décent ? Et qu'est-ce que cela dit de la considération du monde rural en France ? Eh bien, soyez les bienvenus dans le débat du jour.
Et pour répondre à ces questions, nos trois invités à mes côtés en studio ce soir. Sylvie Collas, bonsoir. Bonsoir. Vous êtes éleveuse et maraîchère bio dans le Gers, un département du sud-ouest de la France. Secrétaire nationale de la Confédération Paysanne. Face à vous, Benoît Abiteau, bonsoir.
Bonsoir. Paysan bio, agronome, député Les écologistes de la Charente-Maritime dans l'ouest de la France. Et notre troisième invité à vos côtés, Mathieu Brun. Bonsoir. Bonsoir. Directeur scientifique de la Fondation pour l'agriculture et la ruralité dans le monde, chercheur associé à Sciences Po Bordeaux. Merci beaucoup à vous trois d'avoir accepté l'invitation du débat du jour sur RFI. Première question.
Mathieu Brun, combien gagne en moyenne un agriculteur français ? Alors, c'est quand même une question qui est au cœur de notre débat. Et les chiffres, je ne peux pas en donner un parce qu'ils varient énormément. On a presque l'impression, et on va le savoir dans ce débat, si ce n'est pas devenu un enjeu politique, cette question. Alors,
Alors moi, je ne serais pas la meilleure placée pour vous répondre déjà parce que je ne suis pas agriculteur et mon objet de travail en tant que chercheur, c'est de travailler sur les agricultures du Sud et donc d'amener aussi du Sud de la planète, pas du Sud de la France. Et donc d'amener aussi des points de comparaison avec un cacao culteur au Ghana, un producteur de fèves ou de riz au Sénégal et donc de voir aussi ces différences de revenus. Est-ce que vous savez déjà si...
les agriculteurs français gagnent moins que leurs voisins européens ? On peut faire des parallèles ? Non, ça, je ne pourrais pas vous le répondre, mais je pense que nos voisins droits pourraient le faire. Oui, alors, effectivement, il y a des disparités énormes entre les différents pays d'Europe et notamment entre les nouveaux entrants, plutôt les pays de l'Est, la Roumanie, et les pays de l'Ouest, qui, depuis longtemps, bénéficient de la politique agricole commune, depuis 1962.
et qui surtout ont bénéficié de cette politique agricole commune pour faire émerger des très grosses structures agricoles. Et donc, on a des agriculteurs qui ont des niveaux de revenus très élevés. Le constat qu'il faut retenir quand même, c'est la très, très, très grande disparité qu'il y a entre certains secteurs d'activité. C'est-à-dire qu'un éleveur de bovins dans le Gers, pour faire un clin d'œil à ma collectivité,
et un gros céréalier de la plaine céréalière du bassin parisien ne sont absolument pas sur les mêmes niveaux de revenus. Et les deux ingrédients, c'est les deux ingrédients du revenu. C'est-à-dire que quand on est céréalier, on vend bien sa production en général et donc il y a une bonne rémunération de la production. Mais il y a aussi l'autre ingrédient du revenu qui est la politique agricole commune, donc les aides publiques.
qui sont nettement plus efficaces quand on est sur des grosses structures que sur des plus petites structures pour une raison très simple. C'est qu'on distribue les aides publiques par unité de surface et que le mécanisme est très simple à comprendre. Plus on a d'hectares, plus on a d'aides. Et donc, c'est ce qui crée ces grandes disparités et c'est ce qui crée ce malaise chez certains agriculteurs. Et ce n'est pas par hasard que le mouvement, au début de l'année 2024, est né dans le sud-ouest. C'est-à-dire qu'il naît sur des petites structures qui sont...
qui ont des difficultés à vendre leur production et qui ont aussi des difficultés ou en tout cas qui ne sont pas suffisamment bien éligibles aux aides publiques de la politique agricole. Et on évoque souvent l'approche productiviste, mais quelle est la taille moyenne des exploitations en France ? Est-ce qu'on est plutôt face à des petites exploitations, moyennes, grandes ?
La problématique des moyennes, c'est qu'elles cachent des grandes disparités. On est autour de 70 hectares. Sylvie a peut-être le chiffre 69, je crois exactement. Et donc, ce n'est pas des très, très grandes structures. Il y a des structures beaucoup plus grandes dans le nord de l'Europe. Mais derrière ces 70 hectares, il y a des très, très grosses structures de plusieurs milliers d'hectares. Il n'y a pas de moyenne. Et des petites structures de quelques hectares. Moi, je préfère une moyenne.
Ce que j'ai lu, c'est que le salaire médian en France, il est un peu en dessous chez les agriculteurs que parmi les autres professions en moyenne. Le revenu médian chez les agriculteurs, 1035 euros par mois. J'aurais dit 1000. Le salaire médian en France, un peu moins de 2200 euros net. Donc on est quand même bien en dessous, c'est quasiment la moitié. Et surtout, le nombre d'heures qui est évoqué, 70 heures de travail en moyenne, ça fait 5 euros de l'heure ?
Sylvie Collas, 5 euros de l'heure, il n'y a pas une profession en France qui est payée 5 euros de l'heure ? C'est bien pour ça qu'il y a une grande colère, parce qu'effectivement, notre profession a beaucoup évolué.
Elle est sur une pyramide des âges. J'en suis l'exemple. Moi, j'ai 40 ans de métier. Donc effectivement, moi, ma génération, il fallait bosser. Quand on était fils ou fille d'agriculteur, on travaillait. On était, disons, globalement, quand on travaillait, on arrivait à sortir à peu près un revenu. Mais il y avait ce côté de nourrir un sens à notre métier.
Et puis, évidemment, ça s'est beaucoup dégradé avec la productivité, mais aussi tout cet environnement des aides qui a fait que très vite, plus vous aviez d'hectares, plus vous aviez de revenus. Et donc, on a commencé à voir les voisins manger leurs voisins. Donc, ça a aussi beaucoup divisé le monde agricole, cette façon d'avoir incité les gens à toujours s'agrandir parce qu'à chaque fois qu'il y en avait un qui tombait, il y en avait un pour reprendre la ferme.
Et ça, c'est détestable. C'est un vrai cannibalisme qui s'est passé. Moi, je l'ai vu autour de nous. Et puis, il y a eu la distorsion, c'est-à-dire le fait que, par exemple, moi, avec mon époux et puis mon fils, on s'est installé comme arrêchage, puis après, on a développé une production de volailles bio. Puis mon fils, quand il est arrivé, on a commencé à avoir des terres, mais 25 ans plus tard. Donc, ça veut dire que pendant 25 ans, je n'ai pas eu une prime PAC.
j'ai pourtant fait mon revenu à produire des volailles et des légumes, c'est-à-dire là où il y a le plus de boulot, parce que la volaille, en plus, c'est en vente directe, donc c'est du travail quotidien, c'est de l'abattage une à deux fois par semaine. En plus, j'étais en vente directe sur les marchés. Je peux vous dire que des heures, on en a fait beaucoup. Alors pour le coup, comme j'étais quand même sur une production bio de qualité et que quand même, on avait une dynamique aussi à trouver la valorisation,
et qu'on faisait un très bon produit, on arrivait à se rémunérer sur ce produit, à faire des marges, ce qui fait que mon travail a été rémunéré. Mais ce n'est pas le cas de tous. Oui, et surtout pour une production bio qui est quand même censée être valorisée et dont vous n'avez pas bénéficié avec cette production bio des aides de la politique agricole commune. Alors que la France, on le rappelle, est quand même la première bénéficiaire de la PAC. Ce sont...
Près de 8 milliards d'euros. Ça a encore augmenté. Sylvie Collas. Oui, et puis il faut savoir que 25% des agriculteurs ont 75% des primes PAC. Redites. 25% des agriculteurs touchent 75% de ce budget. C'est-à-dire que là, on voit la concentration de l'aide et le fait qu'on a abandonné des productions. Et c'est pour ça qu'il y a très peu de fruits et légumes cultivés en France. C'est-à-dire là où il fallait la main-d'oeuvre, là où il fallait de l'humain, là où il fallait de l'investissement de temps...
On n'a pas accompagné, mais on a accompagné tout ce qui était mécanisation, donc tout ce qui a été investissement, matériel, agrandissement, foncier, et donc développé et mis des grandes disparités même entre les régions. Et au sein même d'une région, on a commencé à créer des bassins de production spécialisés pour justement intensifier.
plus. Et là, on a détricoté tout ce monde rural et toute cette localisation de la production qui permettait justement d'avoir de la rémunération, des débouchés sur place, mais aussi de l'activité humaine, de l'emploi et forcément une ruralité vivante. Parce que maintenant, c'est toute la ruralité qui est touchée. Les écoles se ferment, il n'y a plus de médecins, enfin...
On voit une dégradation dans les mairies, dans les collectivités locales. Il y a une dégradation énorme de leur équilibre budgétaire, de la dégradation des routes. On est devenus aussi les parents pauvres à ce niveau-là. Et en plus, le manque de retraite des agriculteurs qui fait que dans cette ruralité, il y a aussi tous les agriculteurs et traités qui ont
Je crois que la moyenne, c'est juste 800 euros en moyenne la retraite d'un agriculteur. Il y a 20% des agriculteurs qui sont sous le seuil de pauvreté et deux agriculteurs qui suicident tous les trois jours en France. Mathieu Brun, 25% des agriculteurs, nous dit Sylvie Collas, qui touche 75% des aides de la PAC. Est-ce que c'est à l'image de la politique française ? Et est-ce que ça montre que finalement, cette approche productiviste...
Elle n'a cessé de progresser au fil des années. Et pourquoi ? À qui profite le crime ? Quand on regarde les aides publiques qui sont dévolues à l'agriculture, il faut regarder un petit peu plus largement et se dire que quand même, plus un État aujourd'hui soutient son agriculture, moins il dépend de cette agriculture. C'est-à-dire que l'Union européenne, les États-Unis, la Norvège...
L'Islande sont des pays qui dépensent énormément dans leur agriculture. Alors certainement, on pourrait discuter de l'efficacité de ces dépenses, étant donné les chiffres qu'on a entendus. On a quand même en moyenne un agriculteur européen. Le diable est dans les détails et dans les moyennes. Un agriculteur européen, il touche à peu près entre 10 et 11 000 dollars environ.
d'aide et de soutien à l'agriculture. Un agriculteur éthiopien, il en touche 100. Un Américain, 45 000. On est sur des zones qui sont des écarts extrêmement différents. Ce qui fait qu'on a quand même une situation au niveau mondial où plus un pays dépend de son agriculture, l'Éthiopie, la Tanzanie, le Kenya, le Sénégal, moins il la soutient. Ce qui crée forcément des écarts de compétitivité énormes. Pourquoi ? C'est paradoxal ?
Alors c'est très paradoxal parce que déjà il y a un enjeu de finances publiques, il y a un enjeu aussi de représentativité de ce qu'est l'agriculture, de poids. On a quand même en France une organisation, des organisations agricoles, paysannes qui sont aussi là pour faire remonter la question de la voix des agriculteurs. Puis globalement dans les pays en développement, on a un biais urbain. L'intérêt c'était de nourrir la population.
notamment dans les villes, pour éviter des crises politiques. Donc ça veut dire aller chercher sur les marchés des productions, aller chercher des poudres de lait, parfois aller chercher des productions qui sont produites ailleurs, qui sont largement subventionnées et très peu compétitives. Si bien qu'on se retrouve avec des situations où un lait, on en parlait juste avant d'entrer ici, un lait local produit en Afrique de l'Ouest, au Sénégal, au Mali, coûte beaucoup plus cher à l'achat que la poudre de lait qui viendrait de l'Europe du Nord, par exemple, ou de certains territoires français.
Et la France le montre également parce qu'il y a un excédent énorme en termes d'importation. Alors vous parlez de l'étranger et de l'Afrique notamment, mais la France où les moyens évidemment ne sont pas les mêmes. Malgré tout, près de 8 milliards d'euros d'excédent en termes d'importation. Les importations agricoles ont doublé en 25 ans en France. Benoît Biteau, nourrir la population, nous disait Mathieu Brun, ce n'est plus l'objectif.
Ce n'est plus un objectif aujourd'hui. En tout cas, est-ce que c'est ça qui explique que les aides se raréfient et qu'on laisse finalement ces agriculteurs s'appauvrir ? Je ne suis pas sûr que les aides se raréfient. C'est ça la difficulté. C'est-à-dire qu'on parle beaucoup de la politique agricole commune. Que les agriculteurs s'appauvrissent en tout cas. Les aides sont les mêmes, mais elles se concentrent vers certains types de personnes et pas d'autres.
Exactement, et on parle beaucoup de la politique agricole commune parce que c'est la partie visible. C'est la partie visible de l'iceberg d'ailleurs. Et l'image de l'iceberg me paraît intéressante puisqu'il y a, comme un iceberg, toute la partie invisible des aides publiques qui sont fléchées vers l'agriculture et qui ne se voient pas, mais que tous supportent. Et aujourd'hui, on a orienté la politique agricole commune dans le soutien d'une agriculture qui nécessite que cette part invisible de l'iceberg soit toujours plus importante.
C'est la réparation des dégâts de cette agriculture qui mobilise beaucoup de pesticides et qui nécessite beaucoup d'argent public pour réparer la santé, pour réparer la biodiversité, pour réparer le climat. Et on fait ça au motif de proposer à une population qui serait moins...
riche, on va l'appeler comme ça, en tout cas plus défavorisé, de lui proposer l'accès à des produits peu chers. Mais en vérité, ces produits peu chers le sont parce qu'on a affaire à une concurrence déloyale, parce que collectivement, nous supportons des politiques publiques de réparation des dégâts de cette agriculture qui, en amont du geste de production, a bénéficié des aides de la PAC. Si on réorientait la PAC en soutenant une agriculture plus respectueuse de la santé, plus respectueuse de la biodiversité, plus respectueuse du climat,
on aurait la possibilité de soutenir des agriculteurs qui répondent à l'enjeu de la souveraineté alimentaire, à l'enjeu de la production d'alimentation, tout en se projetant dans l'avenir. Parce que ce qui menace la souveraineté alimentaire, c'est précisément le dérèglement climatique et l'effondrement de la biodiversité qu'on néglige dans la façon de distribuer les aides publiques de la PAC. Et donc, là, on est en train...
de continuer d'alimenter un cercle vicieux avec une mauvaise excuse, qui est la proposition de produits peu chers pour les revenus modestes, alors que ça coûte horriblement cher. Et si on allait... Alors moi, je propose, je suis plutôt dans les politiques publiques, celui qui prône la carotte que le bâton. Mais on peut aussi proposer le bâton et dire, ça suffit maintenant, principe pollueur-payeur. C'est-à-dire que maintenant, à chaque fois que vous allez dévaster de la biodiversité, de la santé, moi, je suis sur une circonscription où il y a des gamins qui ont des cancers.
Voilà, ça ne me fait pas rire du tout, cette affaire-là. Moi, je les reçois, les parents des gamins qui sont victimes de cancer et dont probablement, en tout cas, les faisceaux d'études montrent que c'est probablement leur environnement surchargé en pesticides qui provoque ces cancers-là. Ça, on pourrait mettre tout l'argent public !
Les dégâts affectifs, émotionnels, c'est redoutable. Et donc faisons le job, appliquons le principe pour leur payer. Et puis sur le lien avec l'Afrique de l'Ouest, par exemple. La politique publique européenne, la politique agricole commune, c'est une politique de dumping. C'est-à-dire que parce qu'il y a cette politique publique, l'actalisme, par exemple, dont on connaît les grandes vertus humanistes...
distribuent de la poudre de lait très peu cher parce qu'il y a l'argent public qui permet de mettre en marché cette poudre de lait qui d'ailleurs est réengraissée avec de l'huile de palme, c'est-à-dire qu'on a produit de l'huile de palme au détriment des producteurs du Sud, on apporte de l'huile de palme pour enrichir une poudre de lait de laquelle on a extrait toutes les graisses et tout ça, et parce qu'il y a de l'argent public, ils peuvent mettre cette poudre de lait en marché et faire mourir l'agriculture locale. Donc on voit bien que tout
dysfonctionne. Vous diriez que la seule préoccupation des pouvoirs publics aujourd'hui concernant l'agriculture en France, c'est le coût économique ? Quelles que soient les conséquences sur la santé ? Non, non, c'est pas ça. Quelles que soient les importations qui se magnifient ? Il faut faire faire des profits au même. Il faut faire faire des profits à l'agro-industrie, il faut faire faire des profits à la financiarisation, à la spéculation sur les céréales. C'est ça l'objectif et c'est ça qui marche
actuellement et qui fait fonctionner le monde. C'est l'argent. L'argent, le profit facile, rapide. Le coût est quand même lié. C'est d'abord l'enjeu financier. Non, non, mais par exemple, pensez que dans 100 euros qu'achète d'alimentation un Français, il y a 7 euros qui revient aux paysans.
Donc, ça donne déjà une idée du profit qui peut se faire. Alors, bien sûr, il y a les coûts de la transformation, du transport, de la mise en distribution, etc. J'entends bien, mais les marges sont énormes. C'est-à-dire qu'à cette compétition du toujours moins cher, du toujours moins disant, on sait qu'on détruit la planète ici et ailleurs. On est
dans la mondialisation. Et nous, par exemple, à la Confédération Paysanne, on défend, par exemple, les prix minimums d'entrée, notamment sur la question des fruits et légumes. Si on veut redonner, entre guillemets, une souveraineté alimentaire de production de fruits et légumes en France, on ne peut pas être aux cours mondiaux du Maroc ou que sais-je encore. Surtout que les fruits, c'est vraiment un exemple d'importance.
Et puis c'est un produit frais, donc c'est difficile, on ne peut pas le stocker. Donc les spéculateurs ne sont pas tant là-dessus. Mais pour le coup, si on met un prix minimum d'entrée, c'est-à-dire qu'on interdit les importations de fruits et légumes qui viennent des pays tiers, en dessous de nos coûts de production et de la rémunération des paysans français, on tire tout le monde vers le haut. C'est-à-dire que là, du coup, on est sur une concurrence loyale et non pas déloyale. Et là, ça change tout parce que du coup,
On permet de mieux rémunérer le paysan de l'autre bout du monde qui peut-être ne produira pas la même chose. Pour l'instant, ils produisent des choses qui ne les nourrissent pas. On ne fait plus d'agriculture vivrière dans beaucoup de pays du monde. Et nous, en France aussi, notre souveraineté alimentaire est en danger. Avec en plus l'évolution du climat, nous on s'aperçoit, et vous parliez de revenus, moi je finis ma carrière avec les plus mauvais revenus que je n'ai jamais eus.
C'est-à-dire ? Je peux me permettre de vous demander ? C'est-à-dire qu'il y a eu des années, je pouvais arriver à faire 2 000, 3 000 euros par mois. Et là, maintenant, cette année, mon époux et moi, on ne s'est pas payés pour laisser le revenu de notre troisième associé, qui est notre fils. Parce qu'on est trois associés et qu'on part
partage en trois le résultat de la ferme. Donc pour ne pas enlever de la trésorerie à la ferme, nous, nous n'avons rien prélevé et nous vivons parce que nous avons un petit peu d'ancienneté et que nous n'avons plus de dettes sur notre ferme. Donc on arrive avec peu de besoins à subvenir à ce que l'on a besoin pour vivre. Mais on ne fait pas d'excès.
Donc ça veut dire, et on consomme très très peu de choses, mais ça veut dire qu'effectivement, la question, on le voit bien, la précarité dans laquelle sont les paysans ici, ressemble aussi à la précarité des autres pays du monde. Finalement, c'est toujours la classe paysanne... Non, non, mais c'est la classe paysanne qui disparaît, c'est-à-dire que nous,
Bien sûr, je ne vais pas comparer le travailleur indien, mais je veux dire, par là, on voit bien qu'on disparaît. C'est ça la réalité. La classe paysanne disparaît. Vous avez de moins en moins de moyens. Et pourtant, vous êtes, et vous avez ça en commun avec Benoît Biteau, dans le bio, qui est quand même censé être un mouvement d'avenir.
Alors le bio, ça ne concerne pas encore énormément d'agriculteurs en France. C'est 20% environ des surfaces qui sont bio. Ce serait bien si c'était 20%, c'est plutôt 10%. Pourquoi est-ce que votre voix n'est pas davantage entendue ? Là, vous êtes deux autour de cette table. Est-ce que vous êtes minoritaire ?
Évidemment qu'on est minoritaire. Parmi les agriculteurs. Oui, vous êtes minoritaire, mais votre voix. Et pourquoi il n'y a pas davantage de personnes qui font du bio ? Parce qu'on n'a pas été accompagné non plus. Par exemple, il y avait une aide au maintien à la bio. Moi, j'avais 15 000 euros de prime PAC en plus, puisque mon fils fait un peu plus de céréales dans l'entreprise. Et on nous a supprimé du jour au lendemain les 15 000 euros d'aide au maintien, c'est-à-dire de...
Pour l'environnement, tout le travail de l'agriculture bio, on avait ce qu'on appelait une aide au maintien. Chaque hectare bio avait une petite prime en plus et on arrivait à 15 000 euros d'aide au maintien. Elle nous a été supprimée du jour au lendemain. C'était des fonds, certes, de la région, de la PAC, dans la partie, effectivement, de ce pilier de la PAC où l'État a un certain nombre de libertés et plutôt...
l'État préférait accompagner le fameux HVE qui ne veut rien dire. Haute valeur environnement qui n'a pas de sens et qui n'a aucune contrainte et qui n'améliore rien sur l'environnement, sur l'usage des pesticides, sur la biodiversité. Donc en fait, tous les jours, les agriculteurs dans le système productiviste
se tirent une balle dans le pied puisque tous les jours, ils vont avoir des difficultés à produire et ils vont être de plus en plus contraints à trouver des artifices qui vont leur coûter plus cher et baisser leurs revenus. C'est sans fin. C'est incroyable. Moi, je n'imagine pas et là, on voit qu'encore aujourd'hui, on a été reçu par M. Bayrou ce matin. Oui.
Mes collègues, à part sur Mayotte, où on a eu quelques éléments un petit peu positifs, où ils sont prêts à aller les accompagner un peu plus qu'à 1000 euros par ferme détruite, vous imaginez, ils leur proposaient 1000 euros aux gens de Mayotte pour reconstruire une ferme, et c'est juste ridicule. Donc là, il a dit qu'il allait revoir le dispositif, mais pour le reste, c'est rien de rien. Et on est en élection professionnelle, et c'est dommage que les citoyens ne votent pas, qu'il n'y a que les paysans et les paysannes, mais là, on va à la catastrophe, parce qu'on est revenus
Un système où on aura toujours la même hégémonie du productivisme à un moment où il faut renverser la table, où il faut changer complètement de modèle. Parce que demain, la France, déjà, elle a très peu de souveraineté alimentaire sur beaucoup de productions. Les fruits et légumes, les oeufs, la volaille, la volaille, moins 50%.
Donc il est temps de remettre un peu de sens dans notre façon de produire pour nous protéger tous. Parce que le coût social et le coût de la santé publique est énorme. Et notamment, évidemment, avec la perspective de la lutte contre le changement climatique, évidemment. Et vous citiez le productivisme qu'incarne évidemment l'alliance majoritaire des syndicats agricoles qui ont rencontré François Wajerou aujourd'hui, FNSEA, Jeunes agriculteurs, qui a fixé à l'issue de cette rencontre un point d'étape, le Salon de l'agriculture.
à partir du 22 février pour mesurer les avancées après la présentation. Et là, ce sera deux échéances importantes, le budget et le projet de loi d'orientation agricole qui sera examiné au Sénat à partir du 4 février prochain.
Peut-on vivre de l'agriculture en France ? La question qu'on pose ce soir dans le débat du jour, alors que les syndicats agricoles, les principaux syndicats agricoles, et notamment à la Confédération Paysanne dont vous faites partie, Sylvie Collas, étaient reçus par le Premier ministre François Bayrou aujourd'hui pour éviter qu'éclate une nouvelle crise agricole. Sylvie Collas, éleveuse et maraîchère bio dans le Gers.
secrétaire national de la Confédération Paysanne, Benoît Biteau, paysan bio, agronome, député, les écologistes de la Charente-Maritime et Mathieu Brun, directeur scientifique de la Fondation pour l'agriculture et la ruralité dans le monde, chercheur à Sciences Po Bordeaux. Le temps tourne, il nous reste moins de 10 minutes.
Même un peu plus de cinq minutes dans ce débat du jour, je voudrais qu'on trace quelques perspectives. Qu'est-ce que cela dit, Mathieu Brun, de la situation que nos invités dénoncent ce soir avec un modèle productiviste qui est extrêmement valorisé et qui permet de faire profiter des aides au maximum ? Qu'est-ce que cela dit ? Est-ce que ça permet de penser que l'industrie peut fonctionner sans l'agriculteur ? Que seule l'agro-industrie est maître du monde aujourd'hui ?
Je crois qu'on a effectivement construit un modèle agroalimentaire en France au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, avec une construction de grandes structures agro-industrielles où on a transformé les produits, on a craqué les produits pour nourrir cette industrie agroalimentaire. Donc on est quand même dans une phase aussi de remise en question de ce modèle. Peut-être que ça ne va pas assez vite, peut-être qu'il faut être plus actif et plus bruyant pour en parler, mais on a des choses qui
sortent, on a la question des coûts cachés de l'alimentation, on a des données aussi parce que ce qui manquait aussi beaucoup à ces réflexions c'était de comprendre quels étaient les niveaux de ces fameux coûts cachés sociaux environnementaux au-delà du prix de l'alimentation donc il y a des signaux positifs je voudrais simplement réagir avec parfois la tendance qu'on a à penser que ce qu'il faudrait c'est fermer les frontières
arrêter d'exporter, arrêter d'importer, etc. On est dans un monde qui est de toute façon largement globalisé. Vos interlocuteurs ou les personnes qui nous écoutent, vos auditeurs, ont bu un café tout à l'heure, ont mangé un peu de chocolat dans leur chocolatine ou ont produit même certainement à l'autre bout du monde des bananes qu'on consomme au quotidien. Donc effectivement, on ne va pas changer du jour au lendemain ce modèle. Il y a des régions dans le monde...
On parlait des exportations des poudres de lait. Il y a des régions dans le monde où l'exportation de blé ne sera pas autosuffisante et qu'on aura besoin de créer aussi des consensus, ne serait-ce qu'au niveau méditerranéen, sur le lait, sur le blé. Mais là, il y a un excès qui est dénoncé. Encore une fois, je ne vais pas redonner les chiffres des importations en France. On n'a pas parlé encore de l'accord du Mercosur, mais qui est un bon exemple de libre-échange contre lequel la France se bat également. Et...
Moi, la question que j'aurais posée, Benoît Biteau, c'est comment tirer son épingle du jeu aujourd'hui en tant qu'agriculteur français ? Est-ce que la seule réponse, c'est produire plus ? Agro et industrie, encore une fois, on dit agro-industrie, mais ça paraît être un oxymore de deux mots qui s'opposent.
L'agriculteur français, si les politiques publiques ne sont pas réorientées, il n'y arrivera pas. Je ne suis pas exactement d'accord. Bien sûr qu'on a besoin de cacao parce qu'on ne sait pas le produire en Europe. Bien sûr qu'on a besoin de café. Mais où on est en difficulté aujourd'hui, c'est qu'on a spécialisé des zones de la planète.
On a spécialisé le bloc russo-ukrainien sur la production de blé. On a spécialisé le bloc américain sur la production de protéines végétales. On a spécialisé l'Europe sur la production de tournesols, de blé et de maïs. Ce qui fait que, et c'est très simple à comprendre pour le commun des mortels, toutes ces surfaces qu'on a spécialisées dans des productions monolithiques,
sont des surfaces qui sont utilisées pour exporter, et c'est cette folie de vouloir toujours exporter, et ces mêmes surfaces ne peuvent pas porter les productions qu'on a besoin localement. C'est la raison pour laquelle on importe beaucoup de fruits et légumes. C'est la raison pour laquelle on importe beaucoup de protéines. Donc ils font un virage à 180.
C'est pas uniquement la question des moyens, mais vous avez dit d'ailleurs, parce que les moyens sont là, ils sont juste mal distribués selon vous. Mais un virage à 180, qui pourrait l'incarner ? Mais il faut que les politiques publiques soient sur la table. C'est-à-dire que si demain, les 9 milliards et demi qui viennent de l'Europe pour la France soient orientés sur une réinvention de l'agriculture...
Et que les 90 milliards, parce que c'est ça les coûts cachés, c'est 10 fois la PAC. Les 90 milliards qu'on met tous les ans pour réparer le climat, la santé, la biodiversité, étaient là pour dire aux agriculteurs « Maintenant on va vous accompagner, on va vous rémunérer, parce que vous allez prendre soin de l'intérêt commun. »
parce que vous allez prendre soin de la souveraineté alimentaire, parce que vous allez cesser de concurrencer les paysans du Sud avec des politiques de dumping. Ils vont faire le virage. Ils l'ont dit d'ailleurs au début de l'année 2024. 62% disent qu'il ne faut pas renoncer au virage agroécologique. 23% disent que c'est une réelle opportunité.
Il n'y en a plus que 15% qui sont des irréductibles. Eh bien, appuyons-nous sur ces 85% qui disent « Nous, on est prêts à faire le virage. Ce qu'il faut, c'est qu'on nous accompagne. » Et qu'est-ce qu'on fait ? On capte 80% de l'enveloppe publique de la PAC, c'est 81% à l'échelon européen, pour soutenir que 20% des agriculteurs. Toujours les plus gros. Et pendant ce temps, les paysans bio, les petits producteurs, eux, ils voient passer le train et ils tirent la langue. Et c'est la raison pour laquelle on est dans cette situation. Et vous n'êtes pas si minoritaire ?
D'après ce que vous me dites, est-ce que ce virage, vous y croyez, vous, Sylvie Collat, ce sera le mot de la fin, il nous reste moins d'une minute. Moi, j'y crois bien sûr, sinon je n'aurais pas accompagné mon fils dans son installation avec nous. Pour moi, je ne veux pas que ce soit une galère, je veux qu'il fasse un beau voyage, comme moi j'ai pu faire, et il a des pratiques résilientes,
Il oriente différemment la ferme à sa manière. Mais par exemple, lui, il est sur du matériel d'occasion, qui bricole, qui répare. Surtout pas de GPS pour ne pas être dépendant encore de plus de coûts et de dépendance. Il met beaucoup de raisonnement pour être le plus autonome possible. Et c'est comme ça qu'il réduit ses coûts et qu'il est autonome aussi pour mieux vendre et mieux valoriser ses productions. Et puis, il fait de la qualité. Il y croit à la bio. Il est autonome.
Il évite d'acheter même des engrais organiques, il n'en veut pas sur sa ferme. Donc je veux dire, il y a un vrai travail de réflexion et la jeunesse, là-dessus, elle porte toutes ses valeurs. Et elle, on y croit, nous, à la Confédération paysanne, parce que 30% des jeunes qu'on installe, enfin, on installe 30% des jeunes depuis plusieurs années avec notre agriculture paysanne. Et ceux-là, ils vont nous aider à faire de l'agriculture souveraine, qui est respectueuse de la santé et de l'environnement.
On va terminer avec ce message d'espoir. Merci beaucoup à vous trois, qui nous permet d'espérer que l'on puisse continuer à vivre de l'agriculture en France. Merci beaucoup à vous trois, Mathieu Brun, Benoît Biteau et Sylvie Collas. Il est bientôt 19h, ici à Paris, dans un peu plus de 10 minutes, ce sera le Grand Journal du soir. Et puis à 19h30, ici à Paris, ce sera Afrique Soir. Bonsoir Sylvie. Bonsoir Romain. Allez, on jette un coup d'œil au programme de l'émission de ce soir. Oui, à la une, le Mozambique, des barricades et des pneus en feu. Ma poutou a tourné au ralenti aujourd'hui, premier jour.
Détroit de grève générale lancée par l'opposition alors que les députés ont été investis. Vous le savez, la contestation se poursuit depuis les élections contestées du 9 octobre. Nous parlerons du Niger où l'émotion est vive à Agadez où réside depuis plus de 30 ans maintenant l'Autrichienne Eva Gretz-Marrer. Elle a été enlevée samedi soir chez elle par des hommes non identifiés et le rap n'a toujours pas été revendiqué.
Nous reviendrons sur ce bras de fer diplomatique entre Alger et Paris. La décision d'Alger de renvoyer un influenceur expulsé par la France a remis le feu aux poudres et ce sera le dossier d'Afrique Soir.