All hail the American night !
Feuilleton en 5 épisodes de Christine Spianti. Climat 3. Highway in history. Truck 1. Highway. Entre deux concerts, pendant des jours, Jim disparaît dans la nature. Il dit « Pamela, je vais rouler un peu dans le désert. » Tu sais où il est ? Il a pris la boule et il dit... Je prenais la Mustang Shelby GT500 bleue. Dans le grondement du moteur...
Je n'aimais rien tant que sortir de Los Angeles par Spring Street et pousser droit sur l'autoroute 101 jusqu'à l'entrée de l'Interstate 15. Il roule dans le désert pendant des heures. La route, ça lui rappelle des souvenirs. Au lycée, j'habitais San Francisco. C'est là que mon copain Bud me fit découvrir le blues, Muddy Waters et Howling Wolf dans la boutique de musique Starway.
Je le laissais pour faire un saut à la City Lights Bookshop, 261 Columbus Avenue, où il y avait tout ce qui se publiait en poésie. On pouvait même lire au sous-sol des journaux anarchistes. Il y avait aussi ces disques enregistrés par Lorenz Ferlinghetti, le vieux poète beat qui tenait la librairie. Il édité Ginsberg. Un jour, Ferlinghetti avait croisé mon regard. Je n'avais pas osé lui parler. J'avais acheté « Sur la route » de Kerouac.
Avec mon copain Bud, on en parlait des heures, des putes mexicaines bon marché, de faire de l'autostop sur des autoroutes interminables, transcendé par le zen, d'aller boire de la bière au bar expresso, retrouver quelque part une fille dans un motel, voire même un jour, aller draguer sur les routes de France. Kerouac disait « La Beat Generation est un groupe d'enfants au bord de la route qui parle de l'apocalypse ». « La première fois que je suis vraiment parti, c'était ce voyage à la Nouvelle-Orléans au printemps 1963 ».
que j'avais fait en auto-stop avec Brian. J'avais trouvé bidon les boîtes de Bourbon Street et préféré aller me faire casser la figure par une lesbienne au Copper Skelet dans les quartiers chauds. Après, j'avais dormi dans un asile de nuit. Au retour, j'ai raconté qu'on avait rencontré des indiens. Ils m'avaient donné un arc et fait un cercle autour d'un cactus péiote. Si j'arrivais à tirer dedans, c'est que j'étais assez fort pour faire un trip, avaient dit les indiens. Pure scène de picnic western. Si un jour je fais un film,
Je raconterai l'histoire d'un autostoppeur et ce sera moi qui jouerai le rôle. Il l'a fait ce film. Sur une image floue à cause de la poussière, Jim Morrison est un autostoppeur. Botte et blouson tenu d'une main sur l'épaule. Le pouce qui se lève à chaque approche de véhicule puis retombe. Il marche à reculons pour être face aux voitures. Dis-leur que vous venez et vous avez vu et vous avez regardé dans mes yeux et vous avez vu les ombres de la garde reculer.
L'autostoppeur, debout sur le bord de la route, a levé son pouce.
Dans le calme calcul de sa raison, alors une voiture passe. Quand plus aucune auto ne se profile à l'horizon, il avance sans se retourner. Il donne un coup de pied dans un caillou. S'il entend un moteur, il se retourne. Un pick-up ? Ça me donnait un espoir fou à cause de sa benne vide à l'arrière. Il passait sans s'arrêter, immatriculé au Texas. Lui qui conduit en chemise de sport aurait été d'accord, mais elle, derrière ses lunettes de soleil qui ricanent, a refusé.
Le désert est hostile au wasp du Texas. Why, jungle saxon protestant. ...
Certains disent que son éclat est céleste, d'autres qu'il est l'abjection et la détresse du rêve occidental. J'aime les amis que j'ai réunis sur ce fragile esquif. Nous avons bâti des pyramides en l'honneur de notre évasion. Cette terre est celle où mourut le pharaon. Oubliez la nuit. Vivez avec nous dans les forêts d'azur. Ici, sur le périmètre,
Il n'y a plus d'étoiles. Ici, nous sommes immaculés défoncés. Et je vous dis ceci, pas de récompense éternelle pour nous pardonner maintenant d'avoir tout caché. Je vais vous parler du Texas.
Je vais vous parler de Radio Texas. Je vais vous parler de la nuit sans espoir, de l'errance du rêve occidental. Vous parler de la jeune fille à l'âme de fer forgé. Track 2, la route de l'histoire. L'Interstate 15, qui va de San Diego à la frontière canadienne, traverse le désert californien. Le long de l'autoroute, les dunes, à peine plissées, frissonnantes, sur lesquelles glisse l'ombre des nuages. Sur le bas-côté de la route, les landes de pierres et de buissons grisâtres.
les yuccas, ces petits arbres à piquant dans les graviers arides et toujours en fond les montagnes. San Gabriel, San Bernardino. En écoutant le combat Frazier-Mathis, je vois défiler les étendues de sable derrière le pare-brise. Ici, il y a eu la température la plus haute jamais enregistrée sur la Terre : 56,7°C. Au mile 239, c'est le désert des Mojaves. Des indiens Mojaves. Il fait si chaud
qu'il est tout à fait possible de rencontrer le chien de l'enfer. Oui, c'est tout à fait possible. Un jour, enfant, je l'ai vu sur la route. Il y avait de longs gémissements d'agonie. Sur une route aux environs d'Albuquerque, au Nouveau-Mexique, à l'aube. Un accident.
Il passe en voiture avec son père et sa grand-mère Caroline. Un camion s'est retourné et des ouvriers indiens ont été projetés sur l'asphalte. Un dimanche d'août 1680, il y eut une révolte des indiens Pueblos avec à leur tête le chaman Popé. Ils entrèrent dans l'église où les conquistadors étaient à la messe et les mirent en fuite. A la fin des années 40,
Les indiens pueblos vivent toujours là, dans des petites maisons carrées construites en argile rouge. Ce matin-là, dans l'aube, il y a des indiens pueblos partout sur la route, saignant à mort, leurs yeux pleins de vie ancestrale. Et l'âme d'un de ces indiens est entrée dans mon esprit d'enfant.
Indian, Indian, what did you die for? Indian says nothing at all. Gently they stir, gently rise. The dead are newborn awakening, with ravaged limbs and wet souls. Gently they sigh in rapt funeral amazement. Who called these dead to dance? Was it the young woman learning to play the ghost song in her baby grand?
Indien dispersé sur la route, à l'aube, sanglant, fantôme peuplant l'esprit de l'enfant, fragile coquille, indien,
Indien, pourquoi es-tu mort ? L'Indien dit, rien du tout. Gentiment, il se meurt. Gentiment, il se lève. Les morts de nouveau naîtront. Les membres ravagés et les chers sointantes. Gentiment, ils gémissent dans une funèbre extase. Qui a appelé ces morts pour danser ? Était-ce la jeune femme qui jouait la chanson du fantôme sur son mini-piano à queue ? Était-ce les enfants sauvages ? Était-ce le dieu des fantômes lui-même ? Pégayant, délivrant, jasant aveuglément ?
Je t'ai prié d'ouindre la terre. Je t'ai prié d'annoncer la tristesse tombant comme une peau brûlée. Je t'ai appelé pour te souhaiter du bien, que tu te glorifies comme un nouveau monstre. Et maintenant je te demande d'entrer en prière. Il s'arrête à la station service. Quelque chose de tragique rôde dans les toilettes. Confidential Detective tourne sur le présentoir qui grince. Il sort du bâtiment, allume une cigarette assis sur le capot de la voiture, en regardant la pompe à essence rouge toute rouillée.
Il a entendu le pompiste dire à son propos « Il m'a l'air d'avoir une sacrée énergie celui-là. » De nos ancêtres, les Indiens, nous gardons une peur du sexe, une lamentation excessive sur les morts et un intérêt constant pour les rêves et les visions. Au loin, aboie un coyote. Son nom vient de la langue aztèque. C'est un chien du désert, solitaire, chasseur de lièvres et de lapins, plus rapide que les loups, plus maigre, gris avec des taches cannelles.
Sans aller de là, laisser derrière moi ces grands types efflanqués qui boivent sans parler, debout sur le parking, je démarre dans un nuage de sable. Essayer de fuir avec une énergie folle la malédiction de la terre et rester en plein milieu de la route. Accélérer, immobile on n'est plus vulnérable, obligé de prier, comme dans ce bon vieux blues de Robert Johnson. Un jour, sur Santa Monica Boulevard, je venais de voir une orange à l'étale d'un marchand.
à un poisson-chat sur la glace, dans une vitrine. Ça m'avait touché et je m'étais dit que c'était peut-être les derniers que je verrais jamais. Dans ces moments-là, je chantais un blues. Un chien errant était venu à ma rencontre. Il m'avait suivi jusqu'aux Palms, m'avait regardé jouer au billard. Il aimait le blues. Seul au milieu du désert, j'essayais de retrouver un peu de réalité, celle dont la rockstar me dépouillait.
Je notais des choses sur mes carnets, assis sur le capot. J'écrivais Wilderness. Bird of prey, bird of prey Flying high, flying high In the summer sky Bird of prey, bird of prey Flying high, flying high Gently pass on by
Un américain ne peut espérer qu'en des terres vierges, avoir avec les yeux d'anges cure les matelots hollandais sur le sein vert et frais d'un monde nouveau. Comme disait Fitzgerald, la puissance d'émerveillement, c'est un droit inaliénable. Avec la poésie, j'allais suggérer un nouvel ouest sauvage, un monde mauvais et sensuel.
l'Ouest autostoppeur, indien, énergique, terre de conquêtes nouvelles sur les perceptions mentales. Un nouvel espace vierge où recommencer l'expérience de ses ancêtres et rendre à l'Amérique son nom sacré, Wilderness. Intraduisible. C'est la dune de sable qui soudain se détache et croule en avalanche. La tarantule et le serpent crotal qui prennent la couleur du sable doux pour tuer. L'énergie pure, Wilderness. Sous le désert, la cascade.
À Palm Springs, à 1h32 LA par l'Interstate 10, il y a des datiers, des maisons basses, des poneys sauvages sur les pentes rocailleuses. Une cascade. Au milieu du désert, on se baigne. Godard dit que le cinéma s'est trouvé l'endroit unique où il y a quelque chose à filmer. Non pas trois ou quatre endroits. L'endroit unique. Je me disais, si un jour j'arrive à faire ce film sur l'autostoppeur que j'écris depuis six mois, le premier plan, je le tournerai ici, dans le désert.
Sous la cascade, là, le désert fond avec la poussière, la chaleur, les forces sauvages dans l'eau vive. Premier plan du film. Un nuage dans un ciel bleu traversé par le panache rectiligne d'un avion qui file du haut en bas de l'image. Puis la cascade. Nape d'eau dégringolant des hauteurs avec fracas. Gros plan sur le flou ininterrompu de la cataracte blanche et mousseuse sur le rocher. Et sur Jim Morrison, émergeant de dessous la cascade et nageant dans une piscine naturelle toute verte sous le soleil.
L'homme est poisson de caverne, son monde est liquide. J'étais celui que la sauvagerie des chutes d'eau protège. Nageant, il s'éloigne du tonnerre de la chute qui se jette le long des parois de roches rouges.
Puis debout, il sort de l'eau vers la berge, trébuchant sur les pierres du fond, torse nu, relevant son pantalon de cuir sur ses hanches. Le cadre s'élargit sur de hautes masses de cailloux d'un blanc éclatant, lisses et comme trouées de bulles tout autour du trou d'eau de la rivière sur la berge. Levant les bras à l'horizontale pour garder l'équilibre sur les pierres de la rive, il sort du cadre. En fond, Dean Ship, Dean Moriarty, zoome sur le tronc d'arbre où est gravé un Y renversé dans un cercle.
le signe de ralliement des contestataires de la guerre du Vietnam. Peace and love. Plans sur le torrent, le fracas de la chute, les poussières d'eau luisent à la surface dans le soleil. Jim Morrison allongé, un vêtement plié sous la nuque, semble dormir au bord de l'eau sur les pierres. Après l'eau fraîche de la cascade, dans la chaleur desséchée du désert, le roi lézard. J'avais grandi dans le sud-ouest. Enfant, les lézards, ça m'intéressait parce que c'est une espèce qui pourrait survivre, si toutefois quelqu'un ou quelque chose le peut.
à une autre guerre mondiale ou à un empoisonnement global. Le lézard, conscience écologique de la terre, mémoire du désert. Le désert, c'est la solitude des solitudes. Vieille pratique des anciens, vieille pratique de Jack Kerouac. Vigilance et lucidité aiguë, mystique. Deviens ce feu qui brûle, solitaire dans le désert si tu veux être parfait. Et Kerouac de s'attendrir sur Thérèse d'Avila, née dans cette Espagne qui voyait partir les premiers missionnaires en Californie.
Coda. La nuit de son anniversaire, il m'a dit « Pamela, viens, on va emprunter une voiture à un invité ». On a roulé. J'ai essayé de lui arracher le volant pour dévier la trajectoire vers le bas-côté. Il me laissait faire. Il voulait voir jusqu'où j'irais. La nuit est déjà tombée.
Bienvenue à la nuit, bienvenue aux belles et sombres profondeurs de la nuit américaine. Un homme prend le temps de mourir, déchets de son ambre, traces boueuses de pieds de pourceaux. Dans les camps, avec leurs bûches noircies, les étoiles tortueuses ont le chiffre de la destinée. Dieu, aie pitié de nous. Désir démesuré, Jim, une douleur. Je regarde par la fenêtre les lumières allumées dans les maisons de Laurel Canyon.
Tout le monde vit là. Zappa, les Birds, les mamas and papas. Mais il n'y a qu'ici, au 1414 Rothdale Trail, 70 dollars par mois, que vivent Pamela et Jim. Peut-être qu'il a été déçu. Il est souvent déçu. C'est peut-être nécessaire à la survie du poète. Même son idée de la spiritualité est centrée sur la littérature. C'est ce qu'il m'a expliqué. « Pamela, le futur est incertain et la fin n'est jamais loin. »
On a fait l'amour sur Carmina Purana. L'Amérique lâchait ses B-52 sur le Vietnam. Jean Morrison, Indoors Outdoors, de Christine Spianti. Troisième épisode. Avec Sarah-Jane Sauvegrin et Laurent Lederer, les narrateurs. Olivier Martineau, Jim Morrison. Clotilde Morgiev, Pamela Courson. Slimane Niefsa, Raymond Zarek.
et la voix d'Élodie Hubert, conseillère littéraire Emmanuelle Chevrière, prise de son, montage et mixage, Bastien Varigo et Philippe Bredin, assistante à la réalisation Louise Loubriyeux, réalisation Laure Egoroff. Tous les textes de Jim Morrison sont parus chez Christian Bourgois, éditeur.