Deuxième épisode. À la mort de son mari...
Mrs Dashwood a dû quitter avec ses trois filles la propriété de Norland où elle résidait pour une demeure beaucoup plus modeste, Barton Cottage dans le Devon, propriété de Sir John Middleton, un parent éloigné. Elinor, l'aînée des trois filles, a laissé derrière elle Edward Ferrars dont elle était prise. Barton Cottage offrait le confort d'un espace bien utilisé
Mais une fois qu'on avait vu les quatre chambres et les deux mansardes, on avait fait le tour de la maison. Par comparaison avec Norland, elle avait un air étriqué et moins coçu. Pourtant, lorsque Mrs. Dashwood et ses filles y pénétrèrent, les larmes versées à l'évocation du souvenir de Norland furent vite séchées. Elles se sentirent réconfortées en voyant la mine réjouie des domestiques à leur arrivée. Et par égard pour eux, chacune décida de se montrer satisfaite. On était au tout début septembre.
La saison était belle et en voyant les lieux pour la première fois à la faveur du beau temps, elles en eurent une impression favorable qui les leur fit apprécier par la suite. La maison était bien située. De hautes collines s'élevaient juste derrière elle. Le village de Barton s'étendait principalement sur le flanc d'une de ces collines et les fenêtres du cottage donnaient sur cette vue agréable. Devant, le panorama était plus dégagé. Le regard embrassait tout le vallon et s'ouvrait sur la campagne au-delà.
On rangea ses affaires et, en dégageant de la place pour les livres et les objets personnels, chacune put aménager son chez-soi. On sortit de sa caisse le piano forté de Marianne, on l'installa comme il fallait et on accrocha au mur du salon les dessins d'Elinor. Le lendemain matin, peu après le petit déjeuner...
Ces efforts d'installation furent interrompus par l'arrivée du propriétaire qui vint leur souhaiter la bienvenue à Barton et mettre à leur disposition tout ce dont elle pouvait avoir besoin et que sa maison et son jardin étaient en mesure de leur offrir. Sir John Middleton était un bel homme d'une quarantaine d'années. La bonne humeur se peignait sur son visage.
Et ces manières rappelaient le ton de sa lettre tant elles étaient conviviales. Leur arrivée semblait lui procurer une satisfaction non feinte et il avait vraiment l'air de vouloir leur être agréable.
Lady Middleton l'avait chargée d'un message fort aimable pour faire connaître son intention de venir voir Mrs Dashwood dès qu'elle serait sûre que sa visite ne lui causerait aucune gêne. Et comme on répondit à ce message par une invitation tout aussi courtoise, cette dame leur fut présentée dès le lendemain. Elles avaient bien sûr hâte de rencontrer une personne dont allait dépendre une bonne partie de l'agrément de leur vie à Barton. Elles ne furent pas déçues par son élégance.
Lady Middleton n'avait pas plus de 26 ou 27 ans. Elle avait un visage avenant, une taille élancée qui attirait le regard et elle s'adressait avec grâce à ses interlocuteurs. Ses manières avaient toute la distinction dont le mari était dépourvu, mais elles auraient gagné à avoir sa franchise et sa cordialité. Cette visite dura assez longtemps pour ternir quelque peu leur admiration initiale.
car en dépit de sa parfaite éducation, Lady Middleton se révéla réservée et froide, et dotée d'une conversation qui se limitait à des questions ou à des remarques des plus banales. On ne manqua toutefois pas de choses à dire, car Sir John était très bavard, et Lady Middleton avait pris la sage précaution d'emmener leur aîné, un joli petit garçon d'environ 6 ans. À chaque visite de politesse, on devrait toujours prévoir de prendre un enfant avec soi pour alimenter la conversation.
Les Dashu durent bientôt l'occasion de s'entretenir au sujet des autres enfants, puisque Sir John ne voulut pas quitter les lieux sans leur avoir fait promettre de venir déjeuner le lendemain au parc. Voilà qui est dit. Avec grand plaisir. Merci. Merci de votre présence et d'accepter notre invitation. Merci pour votre accueil. Au revoir. A demain, s'il vous plaît. A demain. John ?
Il est charmant, c'est le cas de le dire.
car si différents qu'ils fussent sur le plan du caractère et du comportement en société, ils se ressemblaient en fait beaucoup par leur manque total de talent et de goût artistique, ce qui faisait qu'ils n'avaient quasiment rien à se dire quand ils ne passaient pas leur temps à recevoir. Sir John était un chasseur, Lady Middleton une mère, il chassait et il tirait, elle s'occupait des enfants.
C'était là leur seul et unique passe-temps. Ah, je vous souhaite la bienvenue à Barton Park. Je suis navré, mesdemoiselles, de ne pas être en mesure de vous présenter quelques brillants jeunes hommes.
En dehors de moi, vous ne verrez aujourd'hui qu'un seul homme à un ami que j'héberge au parc, mais qui n'est ni très jeune, ni très gay. J'espère que vous voudrez bien me pardonner une compagnie si réduite. Je vous assure que cela ne se reproduira plus. Mais heureusement, la mère de Lady Middleton vient tout juste d'arriver à Barton. Vous verrez, c'est une femme très gay et d'un commerce agréable. Venez !
Pour les jeunes filles comme pour leur mère, la présence de deux personnes qu'elles ne connaissaient pas le moins du monde leur suffisait amplement et elles n'en demandaient pas davantage. Mrs Jennings, la mère de Lady Middleton, était une vieille dame corpulente, joviale et pleine de bonne humeur, bavarde à n'en plus finir, toujours en joie et plutôt vulgaire.
Elle riait et plaisantait sans cesse. Et avant la fin du déjeuner, elle avait fait étalage de sa verve en prenant pour cible les prétendants et les maris. Quant à lui, le colonel Brandon était grave et taciturne. Pourtant, il n'avait pas l'air désagréable, même si selon Marianne et Margaret, c'était un célibataire endurci qui avait passé le cap des 35 ans.
Et si ses traits n'avaient rien de plaisant, son visage respirait le bon sens et ses manières étaient du meilleur goût. Personne parmi les invités n'avait quoi que ce soit pour plaire aux filles d'Ashwood. Mais la froideur insipide de Lady Middleton était par comparaison si peu engageante
que la gravité du colonel Brandon, voire la gaieté exubérante de Sir John et de sa belle-mère en devenaient sympathiques.
Lady Middleton ne parut s'égayer qu'à la fin du déjeuner quand arrivèrent ses quatre insupportables enfants, lesquels n'eurent de cesse de la tirailler de tous côtés et de déchirer ses vêtements, mettant ainsi fin à toute conversation autre que celle qui les concernait.
Comme on avait appris que Marianne était musicienne, on l'invita à jouer.
Sir John clamait bruyamment son admiration à la fin de chaque air, aussi bruyamment qu'il s'entretenait avec les autres tout le temps que durait le morceau. Lady Middleton le rappelait fréquemment à l'ordre, se demandant comment on pouvait, ne fût-ce qu'un instant, cesser de prêter attention à la musique.
Dans l'assistance, seul le colonel Brandon écoutait Marianne sans avoir l'air conquis. Il lui fit juste le compliment de l'écouter, ce qui lui valut une estime à laquelle les autres ne pouvaient décemment prétendre du fait de leur épouvantable manque de goût. Au demeurant,
Marianne était suffisamment sensée pour savoir qu'un homme de 35 ans avait passé l'âge des émotions intenses et des bonheurs extrêmes. Face au colonel qui n'était plus dans sa prime jeunesse, elle était toute disposée à faire preuve de l'indulgence que demandait un minimum d'humanité. Mrs Jennings était une veuve financièrement à l'aise. Elle n'avait que deux filles et elle avait vécu assez longtemps pour les voir toutes deux bien mariées. Par conséquent, elle n'avait plus rien d'autre à faire que de marier le monde entier.
Elle mettait tout le zèle dont elle était capable au service de cette mission. Et elle ne manquait jamais une occasion d'unir tel ou tel parmi les jeunes gens de sa connaissance. Elle détectait des inclinations avec une rapidité redoutable. Et c'est grâce à ce sixième sens que, peu de temps après son arrivée à Barton, elle s'avisa que le colonel Brandon était très épris de Marianne.
Ce qui lui mit la puce à l'oreille dès le premier moment qu'ils passèrent ensemble, ce fut la façon si attentive dont le colonel avait écouté Marianne jouer du piano. Et, lorsque l'invitation fut rendue et que les Middleton vinrent déjeuner au cottage, elle en eut la confirmation en le voyant à nouveau tout foui. Aucun doute là-dessus, elle en aurait donné sa tête à couper. Cela ferait un excellent mariage, car il était riche et elle était belle. Cette histoire lui procurait une éternelle source de plaisanterie à faire à leurs dépens.
Ses railleries le laissaient, lui, parfaitement indifférent, dans la mesure où il était le seul concerné, mais Marianne ne vit pas tout de suite à quoi Mrs Jennings voulait en venir. Et lorsqu'elle comprit de quoi il retournait, elle ne sut pas s'il fallait rire de tant de bêtises ou critiquer pareille indélicatesse, car elle y voyait un manque de tact à l'égard du colonel qui n'était plus tout jeune et de sa désolante condition de vieux garçon. « Mrs Dashwood ? »
qui ne pouvait imaginer qu'un homme âgé de 5 ans de moins qu'elle puisse passer pour un vieillard chenu dans l'esprit de sa fille, qui le voyait avec les yeux de la jeunesse, se risqua à dédouaner Mrs Jennings de tout désir de vouloir rire de l'âge du colonel. « Maman, le colonel Brandon est certainement plus jeune que Mrs Jennings, mais il est assez vieux pour être mon père. Et à supposer qu'il ait eu un jour assez d'ardeur pour tomber amoureux, ça doit faire longtemps qu'il a dû oublier ce qu'aimer veut dire. C'est un ridicule ! »
Qu'est-ce qui peut bien mettre un homme à l'abri de pareilles moqueries si l'âge et l'infirmité ne peuvent l'en protéger ? Infirmité ? Marianne, tu qualifies le colonel Brandon d'infirme ? Je peux aisément admettre que son âge puisse te sembler à toi bien plus avancé qu'il ne l'est aux yeux de maman. Mais tu ne peux tout de même pas dire qu'il n'a pas le plein usage de ses membres. Tu ne l'as pas entendu se plaindre de ses rhumatismes ? N'est-ce pas là l'infirmité la plus fréquente quand on avance en âge ? Ma chère enfant, à ce compte-là, tu dois vivre dans la terreur perpétuelle de ma fin prochaine ?
Et ce doit être pour toi un véritable miracle que j'ai pu atteindre l'âge avancé de 40 ans. Maman, tu es injuste avec moi. Je sais très bien que le colonel Brandon n'est pas vieux au point que ses amis puissent s'inquiéter de le perdre. Il peut vivre encore 20 ans. Mais 35 ans, c'est trop vieux pour se marier. On peut estimer que marier 35 années à 17 printemps n'est pas ce qu'on peut rêver de mieux. Mais si d'aventure il y avait une belle célibataire de 27 ans, je ne vois pas pourquoi les 35 ans du colonel Brandon l'empêcheraient de l'épouser. Hum, hum.
Une femme de 27 ans ne peut plus jamais espérer ressentir ou inspirer de l'affection. Mais si sa maison manque de confort ou si elle n'a pas de fortune, elle peut toujours servir d'infirmière à un homme en échange de la situation et de la sécurité d'une épouse. Se marier à une telle femme n'aurait donc rien d'indécent. Tu ne peux pas condamner le colonel Brandon et sa femme à se cloîtrer dans une chambre de malade uniquement parce qu'hier, alors qu'il faisait un temps très froid et humide, il s'est plaint d'un léger rhumatisme à l'épaule. Mais il a parlé de gilets de flanel !
Et pour moi, un gilet de flanel est synonyme de douleur, de crampes, de rhumatisme et de toutes sortes d'afflictions frappant les personnes âgées et vulnérables. Bon, ça suffit. Je vais aller dessiner dehors. Maman, puisqu'on parle de maladie, j'ai un souci que je ne peux pas te cacher. Je suis sûre qu'Edouard Ferrar, ça ne va pas bien. Cela fait presque 15 jours qu'on est arrivé ici et il n'est toujours pas venu nous voir. Tu pensais donc qu'il arriverait ventre à terre ? Moi, pas. Est-ce que Linnor l'attend déjà ? Je ne lui en ai pas parlé, mais je pense que oui, sans aucun doute.
Mais comme leurs derniers adieux ont été froids et distants, comme la conversation lors de leur dernière soirée passée ensemble a été ennuyeuse, lorsqu'Edward nous a dit au revoir, il n'a fait aucune différence entre Elinor et moi. Ces bonnes paroles de frères affectionnés étaient destinées à l'une comme à l'autre. J'ai fait exprès à deux reprises de les laisser seules durant la dernière matinée, et à chaque fois, il est inexplicablement sorti en même temps que moi. Quant à Elinor, en quittant Norlande et Edward, elle n'a pas pleuré comme je l'ai fait moi ?
Même à présent, elle reste imperturbable. Les Dashwood étaient à présent installées à Barton dans des conditions de confort acceptables. Elles s'étaient habituées à la maison et au jardin, ainsi qu'à tous les objets qui les entouraient, et elles avaient repris les habitudes qui faisaient une partie du charme de Norland. Leurs visiteurs, à l'exception des gens de Barton Park, n'étaient pas nombreux, car en dépit des invitations répétées de Sir John pour qu'elle fréquente davantage la société environnante,
L'esprit d'indépendance de Mrs Dashwood l'emportait sur son désir que ses filles voient du monde. La campagne environnante offrait de belles et multiples promenades. Les hautes collines qu'elles apercevaient par pratiquement toutes les fenêtres du cottage les invitaient à profiter de l'air des sommets. Et ces vers, ces collines ?
que par un matin mémorable, Marianne et Margaret dirigèrent leurs pas, attirées par le soleil qui pointait derrière un ciel d'averse, incapables qu'elles étaient de supporter davantage la réclusion forcée due à la pluie incessante des deux derniers jours. Elles firent gaiement l'ascension des collines, se réjouissant de leur perspicacité dès qu'elles voyaient un coin de ciel bleu,
Et quand elles prirent en plein visage de violentes rafales d'un vent de sud-ouest, elles déplorèrent la pusillanimité qui avait empêché leur mère et Elinor de partager d'aussi délicieuses sensations. « Y a-t-il plus grande joie au monde, Margaret ? On va se promener au moins deux heures dans les parages ! » « Bonne idée ! » Enchantées, elles poursuivirent leur chemin à vent contraire, lorsque des nuages se formèrent d'un seul coup au-dessus de leur tête et qu'elles prirent une pluie battante en pleine figure.
Mortifiées et surprises, elles furent, bien à contre-coeur, obligées de rebrousser chemin, car il n'y avait pas d'autre abri que leur maison à proximité. Il leur restait toutefois une consolation que la nécessité du moment rendait plus appropriée que d'habitude. Elle consistait à dévaler à grandes enjambées la pente la plus raide de la colline qui menait directement au portail de leur jardin. Elles se lancèrent. Marianne devançait sa sœur.
quand un faux pas lui fait tout à coup perdre l'équilibre. Tandis que Margaret, incapable de s'arrêter pour l'aider, dévala la pente en courant et parvint sans encombre en contrebas. Un homme, armé d'un fusil et accompagné de deux chiens d'arrêt qui folotteraient à ses pieds, passait en haut de la colline, à quelques mètres de Marianne, quand sa chute se produisit. Permettez-moi de vous aider, mademoiselle. Il posa son fusil et courut lui porter ses pieds. Vous ne pouvez assurément pas marcher.
Laissez-moi vous porter jusqu'à chez vous. Vous habitez Barton Cottage, n'est-ce pas ? En effet. Je vais défaire tes chaussures, elles sont trempées. Je vais me prendre au froid, ma chérie. Madame, mademoiselle. Monsieur. Pardonnez mon intrusion, mais...
Cette jeune fille a chuté dans la pente et s'est blessée. Elle ne peut visiblement plus marcher. Je me suis donc permis de l'aider. Ça va Marianne ?
Mrs. Dashwood et Elinor le dévisageaient avec un étonnement évident et une admiration secrète, tous deux causés par sa prestance. Ils parlaient de manière si aimable et si directe qu'à sa personne d'une singulière beauté s'ajoutait le charme de sa voix et de son expression. Même s'il avait été vieux, laid et vulgaire, la moindre attention pour sa fille lui aurait valu la gratitude et l'amabilité de la mère.
Mais l'attrait de la jeunesse, de la beauté et de l'élégance donnait à son geste un panache qui alla droit au cœur de Mrs Dashwood. Je vous remercie, monsieur, pour tant de diligence. Asseyez-vous un instant, je vous en prie. Je ne préfère pas, madame. Mes vêtements sont sales et trempés. Comme vous voulez. À qui ai-je l'honneur, monsieur ? Je m'appelle Willoughby et j'habite à Leunam. Je vais maintenant devoir prendre congé.
M'autoriserez-vous à repasser demain pour prendre des nouvelles de votre fille ? Cet honneur lui fut accordé sur le champ. Et comme pour se rendre plus héroïque encore, le jeune homme partit sous une pluie battante. Sa beauté virile et un charme assez rare firent instantanément l'admiration générale. Et l'hilarité à laquelle avait donné lieu la galanterie dont il avait fait preuve avec Marianne fusa de plus belle en raison du caractère si séduisant de sa personne.
Tout chez lui correspondait à ce que Marianne avait toujours imaginé du héros de quelques romans favoris. Et la manière dont il l'avait transportée jusque chez elle, sans se poser de questions, montrait une vivacité d'esprit qui, à ses yeux, ne donnait que plus de valeur à son acte. Tout ce qui se rapportait à lui était intéressant.
Son nom sonnait bien. Sa demeure se situait dans leur village préféré. Et elle s'avisa très vite qu'en matière de tenue pour un homme, la veste de chat, c'était tout ce qu'il y avait de plus saillant. Sœur John leur rendit visite sitôt qu'une accalmie lui permit ce matin-là de s'aventurer au dehors.
Et, après qu'on lui eut raconté l'accident de Marianne, on s'empressa de lui demander s'il connaissait à Allenham un jeune homme du nom de Willoughby. Willoughby ? Ah ben ça alors, il est par ici. Voilà au moins une excellente nouvelle. J'irai le voir dès demain pour lui demander de venir déjeuner, jeudi prochain. Vous le connaissez donc ? Bien sûr que je le connais. Il vient ici chaque année. Et de quelle sorte d'homme s'agit-il ?
Du meilleur fils du monde, je vous le jure. Il a un bon coup de fusil et il n'y a pas dans toute l'Angleterre de cavalier qui est moins froid aux yeux que lui. Est-ce donc là tout ce que vous avez à dire en sa faveur ? Mais comment est-il quand on le connaît davantage ? Quelles sont ses passions, ses talents, ses dons ? Ma foi, je n'en sais pas autant sur lui que tout ce que vous me demandez. Mais c'est un jeune homme aimable, jovial et il possède la plus adorable petite chienne noire que j'ai jamais vue. Mais qui est-ce ? D'où vient-il ?
« Est-ce qu'il a une maison à Alenam ? » « Oh non, Mr. Willoughby n'a pas de propriété à lui dans les parages. Il réside là quand il rend visite à la vieille dame d'Alenam Court, Mrs. Smith, qui est sa parente et dont il doit hériter. Oui, oui, ça vaut le coup de lui mettre le grappin dessus, ça, croyez-moi, Miss Dashwood. En outre, il possède un joli petit domaine dans le Somerset et, si j'étais vous, je ne laisserais pas ma petite sœur malgré toute cette histoire de glissade le long de la colline. »
« Miss Marianne ne peut pas monopoliser tous les hommes. Brandon va se montrer jaloux si elle n'y prend garde. » « Je ne crois pas que Mr. Willoughby court le risque que l'une ou l'autre de mes filles lui mette le grappin dessus, comme vous dites. Ce n'est pas comme cela que je les ai élevées. Avec nous, les hommes n'ont rien à craindre, même s'ils sont très riches. »
Je suis néanmoins heureuse d'apprendre, d'après ce que vous en dites, qu'il s'agit d'un jeune homme respectable et de quelqu'un qui ne sera pas impossible de fréquenter. Respectable et respecté, croyez-moi. Le sauveur de Marianne, comme Margaret surnommait Willoughby avec plus d'élégance que de précision, se rendit au cottage le lendemain matin à la première heure pour venir personnellement prendre de ses nouvelles.
Il fut reçu par Mrs Dashwood avec toute la prévenance que lui inspirait le portrait que Sir John avait fait de lui, autant que le sentiment de gratitude qu'elle avait à son égard. Et, tout le temps de sa visite, il put s'assurer du bon sens, de la distinction, de l'affection mutuelle et du confort domestique d'une famille dont il avait fait la connaissance par le plus grand des hasards. Il avait tout de suite été conquis par le charme que chacune de ses membres avait en propre.
Eleanor Dashwood avait le teint délicat, des traits réguliers et une silhouette des plus gracieuses. Maria n'était plus ravissante encore. Sa personne, même si elle n'était pas aussi bien proportionnée que celle de sa sœur, était plus frappante du fait de sa grande taille. Et son visage était si charmant que lorsqu'en vertu des compliments en usage on la qualifiait de jolie fille, on faisait moins violemment outrage à la vérité que de coutume. Sa peau était très mathe.
Mais par son caractère diaphane, elle avait quelque chose d'extraordinairement brillant. Tous ses traits étaient beaux. Son sourire était doux et séduisant et dans ses yeux, qui étaient très sombres, il y avait une vie, une flamme, une vigueur des plus agréables à regarder. Willoughby n'en perçut pas tout de suite le caractère expressif à cause de la gêne que suscitait chez elle le souvenir de l'aide qu'il lui avait apportée.
Mais une fois cet embarras dissipé, quand Marianne retrouva sa tranquillité d'esprit et qu'elle vit qu'il alliait franchise et vivacité à sa parfaite éducation de gentleman, et quand par-dessus tout, elle l'entendit déclarer qu'il était passionné de musique et de danse, elle eut pour lui les yeux de chimène.
Ce qui fit qu'il ne s'adressa pratiquement qu'à elle seule pendant la suite de sa visite. Bien avant qu'ils prennent congé, leur conversation avait toute la familiarité de celle qu'on peut avoir avec une vieille connaissance. Eh bien Marianne, tu as fait très fort en une seule matinée. Tu connais l'opinion de Mr. Willoughby pratiquement sur tout ce qui importe.
Comment allez-vous pouvoir continuer à vous voir si vous abordez aussi rapidement tous les sujets de conversation ? Vous aurez bientôt épuisé tous vos thèmes préférés. Il ignore. Tout cela est-il bien loyal et juste à mon égard ? J'aurais donc si peu d'idées ? Mais je vois bien ce que tu veux dire. Je me suis montrée un peu trop à l'aise, trop heureuse, trop franche. J'ai piétiné toutes les idées reçues en matière de bonne conduite. J'ai été ouverte et sincère là où j'aurais dû être réservée, terne et ennuyeuse et hypocrite.
Et si je n'avais pris la parole qu'une fois toutes les dix minutes, tu ne m'aurais jamais fait ce reproche. » De son côté, Welleby montrait la satisfaction qu'il avait à les fréquenter en souhaitant de toute évidence resserrer leurs liens. Il passait les voir tous les jours. Il prit d'abord comme prétexte son désir de venir demander des nouvelles de Marianne. Mais on le recevait de manière si engageante et chaque jour de façon plus aimable que ce prétexte perdit toute utilité avant même que la totale guérison de Marianne ait cessé de le rendre crédible.
La compagnie de Willoughby devint peu à peu le plus grand plaisir de Marianne. Il lisait, parlait, chantait ensemble. Ses talents de musicien étaient remarquables et en tant que lecteur, il faisait preuve de toute la sensibilité et de l'esprit qui avaient malheureusement fait défaut à Edward. Pour Mrs Dashwood comme pour Marianne, il était le jeune homme parfait et Elinor ne trouvait rien à critiquer chez lui,
Hormis une propension à dire ce qu'il pensait à chaque occasion sans tenir compte des personnes ou des circonstances, ce en quoi il ressemblait fortement à sa sœur qui en était ravie. Mrs Dashwood, qui ne s'était pas laissée aller à évoquer la possibilité d'un mariage au seul motif de la fortune que le jeune homme était en droit d'espérer, se mit à y songer en moins d'une semaine, à l'attendre et à se féliciter en secret de pouvoir bientôt compter sur les deux gendres que seraient Edward et Willoughby.
Marie-Bénédicte Roy, Mrs Jennings
Lilléa Leborgne, Margaret, Julien Cibre, Sir John Middleton, Stéphanette Martelet, Lady Middleton. Et les voix de Sophie Dolle, Suzanne Sinberg, Suzanne Rimbaud et Zélie Chalvignac. Conseillère littéraire, Emmanuelle Chevrière. Musique originale et piano, Denis Chouillet. Violon, Floriane Bonany. Violoncelle, Renaud Guilleux.
Bruiteuse Élodie Fiat, assistée de Eleonore Malot et Aurélien Bianco. Prise de son, montage, mixage, Claire Levasseur et Éric Villanfin. Assistante à la réalisation Céline Paris, réalisation Juliette Eman. Raison et sentiments de Jane Austen, dans la traduction de Sophie Chiari, est édité chez Le Livre de Poche. Musique