Les livres peuvent naître des sentiments les plus divers. L'enthousiasme ou la reconnaissance, l'indignation, le chagrin, la colère. Parfois, c'est par besoin de s'expliquer à soi-même des hommes ou des événements qu'on prend la plume. Parfois, c'est par vanité, par simple désir de gain, ou encore pour se feindre. En ce qui concerne ce livre, je sais parfaitement pourquoi je l'ai écrit.
Il est né d'un sentiment peu courant mais très énergique : la honte. Voilà comment cela s'est produit. J'eus, il y a 18 mois, l'occasion désirée depuis longtemps d'aller en Amérique du Sud. Je savais qu'au Brésil, je verrais quelques-uns des plus beaux sites du monde et qu'en Argentine m'était réservée une rencontre incomparable avec des camarades intellectuels. Cette certitude à elle seule
rendait le voyage extrêmement agréable, sans compter un certain nombre d'autres facteurs favorables. Une mer calme, la détente complète sur un navire rapide et spacieux où l'on se sent détaché de tous les liens et ennuis ordinaires de l'existence. Mais brusquement, c'était le septième ou le huitième jour. J'éprouvais comme une sorte d'impatience. Je souhaitais en moi-même d'être déjà arrivé.
Et tout d'un coup, cette jouissance tiède et indolente du néant m'oppressa. À peine m'étais-je rendu compte de cet état d'esprit que j'en fus confus. Comment, me dis-je, oses-tu avoir de telles pensées ? Tu voyages dans les conditions les meilleures qui se puissent imaginer, tu disposes de tout le luxe possible. Rappelle-toi dans quelles conditions on voyageait autrefois.
Compare cette traversée avec celle des audacieux navigateurs qui, découvrir ces mers immenses, essaient de te représenter comme ils se lançaient sur leur malheureux cotre dans l'inconnu, ignorant de la route à suivre, perdus dans l'infini, sans cesse exposés aux dangers, aux intempéries, aux souffrances de la faim et de la soif.
Pas de lit ni de couchette, une chaleur infernale, un froid impitoyable, et de plus, la conscience qu'ils étaient seuls, absolument seuls, dans cet immense désert d'eau. Pendant des mois, des années, personne chez eux ne savait où ils se trouvaient, et eux-mêmes souvent ignoraient où ils allaient. La faim voyageait avec eux, la mort les entourait sous mille formes, sur mer et sur terre.
Le danger qui les menaçait venait à la fois de l'homme et des éléments. Je n'eus qu'à me souvenir de ces premiers voyages des conquérants de la mer pour avoir honte de mon impatience. Une fois éveillé, ce sentiment m'obséda durant toute la traversée et la pensée de ces héros anonymes ne m'abandonna plus un seul instant.
J'éprouvais le désir d'en savoir davantage sur ces hommes, sur ces premiers voyages dans les mers inexplorées, dont le récit avait déjà excité mon intérêt lorsque j'étais enfant. Je me rendis dans la bibliothèque du bord et pris au hasard quelques ouvrages traitant de ce sujet. Entre tous les exploits de ces hardis conquistadors, celui qui fit la plus forte impression sur moi fut le voyage de Ferdinand Magellan.
qui partit de Séville avec cinq pauvres cotres pour faire le tour de la Terre. La plus magnifique odyssée peut-être de l'histoire de l'humanité que ce voyage de 265 hommes décidés, dont 18 seulement revinrent sur un des bâtiments en ruines, mais avec la flamme de la victoire flottant au sommet du Grand Mât. Ces livres, cependant, ne m'apprenaient pas grand-chose sur Magellan, en tout cas pas suffisamment pour moi.
Aussi, à mon retour en Europe, je poursuivis mes recherches, étonné du peu de renseignements donnés jusqu'ici sur son exploit extraordinaire et surtout de constater à quel point ce qui avait été dit était peu sûr. Et comme cela m'est déjà arrivé plusieurs fois, je compris que le meilleur moyen de m'expliquer à moi-même quelque chose qui me paraissait inexplicable était de le décrire et de l'expliquer à d'autres.
C'est ainsi que ce livre a pris naissance, je puis le dire sincèrement, à ma propre surprise. Car, en faisant le récit de cette odyssée de la façon la plus fidèle possible, d'après les documents qu'il m'a été donné de rassembler, j'ai eu constamment le sentiment de raconter une histoire que j'aurais inventée. ...
Le premier épisode de
Au commencement étaient les épices. Au commencement étaient les épices. Du jour où les Romains, au cours de leurs expéditions et de leurs guerres, ont goûté aux ingrédients brûlants ou stupéfiants, piquants ou enivrants de l'Orient, l'Occident ne veut plus, ne peut plus se passer d'espicerie, de condiments indiens dans sa cuisine ou dans ses offices. Mais ce n'est pas seulement de la multitude des épices pour sa cuisine dont a besoin l'Occident.
Les femmes réclament en quantité toujours plus grande de nouveaux parfums à l'Arabie, le musque lassif, l'ambre entêtante, la suave essence de rose. L'Église catholique, elle aussi, a besoin de ces produits orientaux et en consomme une quantité de plus en plus grande. En effet, pas un des milliards de grains d'encens qui brûlent dans le balancement des encensoirs des églises, sans nombre d'Occident, n'a poussé sur le sol européen. »
Non moins nécessaires sont aux apothicaires leurs fameux spécifiques indiens, l'opium, le camphre, la précieuse gomme, tout ce qui est oriental a sans cesse exercé sur l'Europe, à cause de son éloignement, de sa rareté, de son exotisme et peut-être aussi en raison de sa cherté, une sorte de suggestion, de fascination.
Mais précisément parce qu'elles jouissent d'une pareille faveur, les denrées indiennes restent coûteuses et ne cessent d'augmenter de prix. Aujourd'hui que les tableaux monétaires sont pratiquement inutilisables, il est à peu près impossible d'en retracer exactement la courbe toujours ascendante.
Cependant, pour se faire une idée approximative de la valeur insensée qu'atteignent les épices, qu'on veuille bien se rappeler qu'au début du XIe siècle, ce même poivre que l'on trouve aujourd'hui à profusion sur toutes les tables et qu'on gaspille ni plus ni moins que si c'était du sable, se vendait au grain et valait son pesant d'argent.
Il présentait une telle stabilité monétaire que beaucoup d'états et de villes comptaient avec lui comme avec un métal précieux. Beaucoup de princes et de cités établissaient leurs tarifs douaniers par quantité de poivre, et lorsqu'au Moyen-Âge on voulait dire d'un homme qu'il était immensément riche, on le traitait de sac à poivre.
Si absurde que nous paraisse aujourd'hui cette surévaluation, elle s'explique d'elle-même dès qu'on examine les difficultés et les risques du transport. L'Orient se trouve alors à une distance incommensurable de l'Occident. Qu'elle n'est pas l'odyssée du plus infime grain, de la moindre fleur, entre le vert arbuste de l'archipel malais et le port final, le comptoir de l'épicier européen.
Malgré tous ces risques et ces dangers, le trafic des épices au Moyen-Âge reste de beaucoup le plus fructueux de tous les trafics vu le faible volume de la marchandise. Mais les gros profits suscitent inévitablement l'envie. Aucun navire chrétien n'a le droit de croiser dans la mer Rouge, aucun marchand chrétien ne peut même la traverser.
Cette situation incite de plus en plus vivement l'Occident à se soustraire à l'onéreux et humiliant contrôle. Et un beau jour, les énergies se groupent. Une croisade est décidée. L'entreprise ayant échoué, l'Egypte n'ayant pu être enlevée aux musulmans et l'islam continuant d'occuper la route des Indes, il fallait nécessairement que s'éveillât le désir de trouver un nouveau chemin, libre, indépendant.
Derrière les héros de cette époque se cachent les forces agissantes, les commerçants. L'impulsion première elle-même a eu des causes essentiellement pratiques. Au commencement étaient les épices. Parmi les pays d'Europe, il en est un qui n'a pu jusqu'ici accomplir sa part de la mission européenne. Le Portugal, qui vient de se libérer de la domination mort dans de longues et interminables luttes.
Malheureusement, sa situation géographique est la plus défavorable de toutes les nations maritimes de l'Europe, ou du moins semble-t-elle. Car l'océan Atlantique qui le borde à l'ouest passe, d'après la géographie ptoléméenne, la seule qui fit autorité pendant tout le Moyen-Âge, pour une nappe d'eau illimitée et infranchissable.
Non moins impraticable est la route du Sud, le long de la côte africaine, puisqu'il est impossible, toujours selon Ptolémée, de contourner en bateau ce pays inhospitalier et inhabitable qui touche au pôle Antarctique et est relié sans la moindre fissure à la Terra Australis.
Transformer le Portugal, ce petit pays impuissant en une puissance maritime et l'océan Atlantique considéré jusque-là comme un obstacle en un moyen de communication, a été en substance le rêve de toute la vie de l'enfant Henrique, celui que l'histoire a surnommé à tort et à raison le Navigateur.
A tort, parce qu'en dehors d'une brève expédition militaire contre Ceuta, il n'est jamais monté sur un navire et qu'il n'existe pas de livre, de traité, de navigation signé de sa main. A raison, car il a consacré toute sa fortune à la marine et aux marins. D'après les récits un peu romancés peut-être de ses chroniqueurs intimes, il fit tout d'abord venir une foule de livres et de cartes de tous les coins du monde et appela auprès de lui des savants arabes et juifs.
Tout capitaine, tout marin qui rentrait de voyage fut interrogé. En même temps, une série d'expéditions était organisée. Théories et pratiques s'unissent dans une collaboration féconde. Ainsi émerge peu à peu, systématiquement, une race de navigateurs et de découvreurs dont l'avenir s'annonce glorieux. Henrique lègue au Portugal la flotte la plus moderne, la meilleure de son époque, les plus habiles notoniers pour vaincre l'océan.
À travers les siècles, les gens de mer racontaient tout bas que passer le Cap Noun, la navigation était impossible.
Aussi, qu'elle triomphe lorsque Gillianess double en 1434 ce Cap Noon soi-disant infranchissable et peut écrire à propos de la Guinée que le grand savant Ptolémée n'était qu'un vieux rat d'auteur. « Car, dit-il, la navigation y est aussi facile que chez nous et le pays est en outre d'une beauté et d'une richesse extrêmes. »
Le Portugal n'a plus besoin de faire d'efforts pour constituer ses équipages. Chaque nouveau voyage couronné de succès enhardit les navigateurs. En 1471, l'équateur est atteint. En 1484, Diego Cam débarque à l'embouchure du Congo. En 1486, le rêve prophétique d'Henriquet s'accomplit.
Un navigateur portugais, Bartolomeo Dias, touche à la pointe sud de l'Afrique le Cap de Bonne Espérance, baptisé d'abord par lui, sans doute à cause des tempêtes qui l'y essuient, Cabo Tormentoso. Les disciples et les héritiers d'Enrique ont réalisé le rêve de sa vie 26 ans après la mort de leur maître. Un événement déconcertant vient, hélas, interrompre cette incomparable marche triomphale.
Certes, on avait aimablement accordé audience à Messer Cristoforo Colombo au palais de Lisbonne. On ne lui avait pas opposé un refus brutal, mais on s'en était tenu là. La brusque nouvelle que l'aventurier génois a réellement franchi l'Océano Tenebroso pour le compte de l'Espagne et rencontré la terre à l'ouest après trois courtes semaines de navigation éclate au palais du roi Joao comme un coup de tonnerre.
Si le Portugal veut maintenir la priorité de ses droits sur les Indes, il n'a plus d'autre ressource que de prendre les armes pour s'opposer à la soudaine intrusion de sa rivale. Heureusement, le pape conjure le danger menaçant. « Non, décide le Saint-Père, ces enfants chéris ne doivent pas se brouiller. »
Il prend le globe terrestre et le coupe en deux, comme s'il s'agissait d'une pomme. Non, avec un couteau, certes, mais à l'aide de la bulle du 4 mai 1493. La ligne de démarcation passe à San Légois, une ancienne mesure militaire des îles du Cap Vert.
Tous les pays non encore reconnus à l'ouest de cette ligne appartiendront à sa fille bien-aimée, l'Espagne. Tous ceux situés à l'est, à son cher fils, le Portugal. Mais où se trouvent les îles tant recherchées, les précieuses îles des épices, à l'est ou à l'ouest de la ligne de démarcation ? Du côté du Portugal ou du côté de l'Espagne ? C'est ce qu'ignore à ce moment-là pape, rois et savants.
Parce que personne n'a encore mesuré la circonférence de la Terre. Et parce que l'Église ne veut reconnaître à aucun prix qu'elle soit ronde. Le succès de Colomb a provoqué en Europe un étonnement sans borne. En l'espace de 20 ou 30 années, les quelques centaines de petits vaisseaux partis de Cadix, de Palos, de Lisbonne, découvrent plus de continents que l'humanité entière au cours des siècles précédents. Un seul exploit reste encore à réaliser.
Le dernier, le plus beau, le plus difficile. Faire sur un seul et même navire le tour du globe. Prouver envers et contre tous les cosmographes et les théologiens du passé la sphéricité de la Terre. Accomplir cette mission sera le but et la destinée de Fernand de Magalhaes.
Du jour où Vasco de Gama a débarqué aux Indes, le Portugal veut le gâteau pour lui seul et regarde l'Afrique, l'Inde et le Brésil comme sa propriété. De Gibraltar à Singapour et jusqu'en Chine, aucun bâtiment n'a le droit de sillonner les mers. Personne ne peut faire de commerce sur une moitié du globe s'il n'appartient à la plus infime nation de la petite Europe.
C'est pourquoi un spectacle magnifique se déroule en cette journée du 25 mars 1505, où la première flotte de guerre portugaise quitte Lisbonne pour conquérir un nouvel empire. Spectacle seulement comparable dans l'histoire à celui d'Alexandre franchissant les Lespons. L'entreprise militaire marche en outre de pair avec une mission idéale, répandre le christianisme dans tous les pays conquis.
Parmi les 1500 soldats qui se sont agenouillés, le front incliné devant l'autel et ont levé la main pour prêter le serment de fidélité, se trouve un jeune homme de 24 ans au nom encore obscur, Fernand Giammagalis. Tout ce qu'on connaît de ses origines, c'est qu'il est né en 1480.
Il aurait servi dans son enfance, croit-on, comme page auprès de la reine Eleonore, ce qui ne prouve d'ailleurs nullement qu'il ait occupé ensuite une position importante au palais. Car lorsqu'il entre dans la flotte, à l'âge de 24 ans, il n'est que simple « sobresalent », un de ces soldats inconnus, qui partent par milliers à la conquête de l'univers,
dont une douzaine seulement reviennent et dont un seul accapare l'immortelle gloire de leur commune prouesse. Magellan, au cours de cette expédition, n'est qu'un des 1500 hommes de l'amiral de Almeida et rien de plus. Mais en servant à tout, il apprend tout et devient en même temps soldat, marin, marchand, psychologue, géographe, océanographe et astronome.
Après quelques escarmouches, qui sont plutôt des rapines que de véritables combats, Magellan reçoit définitivement le baptême du feu à la bataille navale de Cana Nord. Le 15 mars 1506, tandis que les 200 navires du Zamorin espèrent surprendre les 11 vaisseaux des Portugais, ceux-ci sont déjà rangés en ordre de bataille.
C'est le plus rude combat que le Portugal aura soutenu jusqu'ici. Et c'est avec 80 morts et 200 blessés, chiffre énorme pour ces premières guerres coloniales, que le Portugal paye une victoire qui lui assure définitivement la suprématie sur les côtes de l'Inde. Magellan se trouve parmi les 200 blessés. Mais la passion des voyages le reprend bientôt.
Il se sent dépaysé au Portugal et son bref congé se passe à attendre avec impatience le départ de la nouvelle flotte des Indes qui le ramènera au sein de sa véritable patrie.
Cette nouvelle flotte avec laquelle Magellan retourne aux Indes a une mission particulière. Son illustre compagnon de bord, Lodovico Vartema, a sans doute enseigné la cour sur l'opulence de la ville de Malacca et lui a fourni des indications précises sur les introuvables îles des épices.
Grâce à ces informations, on sait maintenant à la cour du Portugal que la conquête de l'Inde et de ses trésors ne sera pas complète tant qu'on ne se sera pas emparé des fameuses îles. Et que la chose est impossible si on n'en possède pas la clé, le détroit et la ville de Malacca.
Cependant, au lieu d'envoyer immédiatement une flotte de guerre, on a recours à une ruse infaillible. On charge Lopez de Sequeira de s'approcher prudemment de Malacca avec ses quatre vaisseaux, de reconnaître le terrain et de se présenter sous le masque rassurant d'un paisible marchand. Après trois semaines de traversée, le 11 septembre 1509, la petite flotte est en vue de Malacca.
Le sultan de Malacca reçoit les envoyés de Sequeira avec empressement. Il accepte leur présent avec des remerciements exagérés. Un commerce d'échange très actif prend naissance et c'est à regret que l'équipage apprend que le sultan a déjà rassemblé tout le chargement et a prié Sequeira d'envoyer à quai toutes ses chaloupes le lendemain pour que la gigantesque cargaison puisse être chargée avant le coucher du soleil.
Cependant, Garcia de Souza, le capitaine de la petite caravel qui accompagne l'escadre, s'étonne de voir s'accroître sans cesse la foule des embarcations malaises autour des vaisseaux et un nombre toujours plus grand de ces drôles, à demi-nus, grimpés aux agrès sous prétexte de monter des marchandises à bord. Le soupçon lui vient tout à coup que ce trop aimable sultan leur a tendu un piège à la fois sur terre et sur mer.
Souza ordonne à son homme de confiance de gagner en toute hâte le vaisseau amiral pour avertir le commandant. Son choix est bon. Cet homme de confiance est le sobre salente Magellan. L'avertissement de Magellan est arrivé au dernier moment, au tout dernier même. À cette minute précise, une colonne de fumée s'élève du palais du sultan.
C'est le signal convenu de l'attaque simultanée sur terre et sur mer. La vigie donne heureusement l'alarme aussitôt. On sonne l'alerte. Les indigènes qui ont envahi le pont sont jetés par-dessus bord. Et c'est en vain que des praos chargés de guerriers se ruent maintenant de tous côtés à l'abordage. Sequeira a eu le temps de lever l'ancre et peut se frayer un chemin à coups de boulet. L'attaque des navires a échoué grâce à la vigilance de Souza et à la promptitude de Magellan.
Plus critique est la position des malheureux qui sont à terre. Une poignée d'hommes désemparés, dispersés à travers les rues contre des milliers d'ennemis. Un seul, le plus brave d'entre eux, résiste encore. L'ami le plus cher, le frère d'armes de Magellan, Francisco Serrao. On l'entoure, il est blessé, il semble perdu. Mais déjà Magellan, accompagné d'un autre soldat, accourt sur une barque, exposant bravement sa vie pour son compagnon.
À coup d'épée, il réussit à le tirer des griffes de ses adversaires, puis l'entraîne dans son canot, l'arrachant ainsi à une mort certaine. Ce combat meurtrier coûte à la flotte portugaise ses balénières et un tiers de son équipage, mais Magellan s'est lié fraternellement à un homme dont l'amitié et la confiance auront une influence décisive sur sa vie.
Après cinq ans de service, le Sobre Salen semble en avoir enfin monté en grade. Bientôt, il est nommé officier de la flotte qui doit venger définitivement la honteuse défaite que Sequeira a subie à Malacca. 19 vaisseaux.
Une escadre d'élite s'aligne menaçant en juillet 1511 devant le port de Malacca et une lutte acharnée s'engage. Il faudra six semaines à Albuquerque pour briser la résistance du sultan. Mais ensuite les pillards récoltent un butin qui dépasse toute espérance. La possession de cette clé ouvre au Portugal la porte de l'Orient tout entier.
Après s'être rendu maître du vestibule, il veut à présent s'emparer de la trésorerie elle-même, des fabuleuses richesses de l'archipel de la Sonde, des légendaires Amboina, Branda, Ternate et Tidor.
L'étonnante odyssée de Francisco Serraon, qui aura tant d'influence sur Magellan, forme un épisode récréatif dans la chronique sanglante des batailles et des tueries portugaises. Et parmi tous les conquistadors célèbres de cette époque, le visage de ce capitaine obscur mérite notre attention.
Après avoir quitté à Malacca son frère d'armes qui retourne à Lisbonne, Francisco Serran, en compagnie des capitaines des deux autres navires, met le cap sur les îles légendaires. Nus et pacifiques, la population vit à l'état de nature, ignore encore l'argent et ne court pas après le gain. Pour quelques clochettes et bracelets, ces naïfs insulaires apportent les clous de girofle par quintaux.
Et dès les deux premières îles, Banda et Amboina, les Portugais ont rempli leur bateau à plein bord. Impatients de mettre leur cargaison en sûreté, l'amiral Abrao décide de ne pas faire escale aux autres îles, mais de rentrer en toute hâte à Malacca. La rapacité des Portugais les a peut-être poussés à charger trop lourdement leurs navires.
Quoi qu'il en soit, l'un d'eux, celui que commande Francisco Serran, donne contre un récif et se brise. C'est à grand peine que ces hommes et lui réussissent à sauver leur vie. Ils errent d'abord sur une plage inconnue et déserte, puis Serran réussit à s'emparer d'une chaloupe de pirates sur laquelle il retourne à Amboina. N'a-t-il pas assez fait pour le Portugal ?
Il voudrait bien à présent jouir de l'existence aussi béatement que ces êtres nus et insouciants sur leur île fortunée. Les neuf années qui lui restent à vivre, il les passera loin de toute civilisation, aux îles de la Sonde, ce qui n'en fera certes pas le plus héroïque de tous les conquistadors et capitaines de l'épopée portugaise, mais sans doute le plus sage et le plus heureux.
Il semble à première vue qu'il n'y ait aucun lien entre la romanesque retraite de Francisco Serrao et la vie et l'œuvre de Magellan. En réalité, le renoncement épicurien du petit et obscur capitaine a exercé l'influence la plus décisive sur la destinée de celui-ci et, par contre-coup, sur l'histoire de la découverte de la Terre.
Chaque fois que l'occasion se présente d'envoyer un message à Malacca à destination du Portugal, Serrao écrit à Magellan des lettres détaillées dans lesquelles il vante la richesse et l'attrait de sa nouvelle patrie. Jusqu'où allèrent les relations de Magellan et de son ami, nous l'ignorons. Quoi qu'il en soit, ils ont dû élaborer un plan, car après la mort de Serrao,
On a trouvé parmi ces papiers une lettre de son correspondant, dans laquelle il lui promettait secrètement de venir à Ternate, sinon par le chemin habituel des Portugais, du moins par une autre voie. Et c'est ainsi que l'idée de découvrir cette autre voie est devenue le but de la vie de Magellan. Magellan de Stéphane Zweig, lu par Christophe Brun, extrait choisi par Sophie Lemb.
Traduction Alzire Ella Musique originale Lucas Valero Pablo Valero et Christophe Oquet Conseillère littéraire Emmanuelle Chevrière Prise de son et mixage Benjamin Vignal Eric Villanfin Assistante à la réalisation Claire Chénaud Réalisation Christophe Oquet