Neuf contes d'Andersen. Choix des textes et adaptations. Baptiste Guitton. Réalisation. Mélanie Péclat. Bonjour, je suis Saadia et je vais vous lire les habits neufs du Grand-Duc. Il y avait autrefois un Grand-Duc qui aimait tant les habits neufs qu'il dépensait tout son argent à sa toilette. Lorsqu'il passait ses soldats en revue, lorsqu'il allait au spectacle ou à la promenade, il n'avait d'autre but que de montrer ses habits neufs.
À chaque heure de la journée, il changeait de vêtement et comme on dit d'un roi, il est au conseil, on disait de lui « le grand duc est à sa garde-robe ». La capitale était une ville bien gaie grâce à la quantité d'étrangers qui passaient. Mais un jour, il y va aussi deux fripons qui se donnèrent pour des tisserands et déclarèrent savoir tisser la plus magnifique étoffe du monde.
Non seulement les couleurs et le dessin étaient extraordinairement beaux, mais les vêtements confectionnés avec cette étoffe possédaient une qualité merveilleuse. Ils devenaient invisibles pour toute personne qui ne savait pas bien exercer son emploi ou qui avait l'esprit trop borné. « Oh, ce sont des habits impayables, » pensa le grand-duc. « Grâce à eux, je pourrais connaître les hommes incapables de mon gouvernement. Je saurais distinguer les habiles des niais. »
« Cette étoffe m'est indispensable. » Puis il avança aux deux fripons une forte somme afin qu'ils puissent commencer immédiatement leur travail. Ils dressèrent en effet deux métiers et firent semblant de travailler, quoiqu'il n'y eut absolument rien sur les bobines. Sans cesse, ils demandaient de la soie fine, de l'or magnifique, mais ils mettaient tout cela dans leur sac, travaillant jusqu'au milieu de la nuit avec des métiers vides. « Il faut cependant que je sache où ils en sont, se dit le grand duc. »
Mais il se sentait le cœur serré en pensant que les personnes niaises ou incapables de remplir leurs fonctions ne pourraient voir l'étoffe. Ce n'était pas qu'il douta de lui-même. Toutefois, il jugea à propos d'envoyer quelqu'un pour examiner le travail avant lui. Tous les habitants de la ville connaissaient la qualité merveilleuse de l'étoffe et tous brûlaient d'impatience de savoir combien leurs voisins étaient bornés ou incapables.
« Je vais envoyer au tisserand mon bon vieux ministre, » pensa le grand-duc. « C'est lui qui peut le mieux juger l'étoffe. Il se distingue autant par son esprit que par ses capacités. » L'honnête vieux ministre entra dans la salle où les deux imposteurs travaillaient avec les métiers vides. « Bon Dieu ! » pensa-t-il. « Je ne vois rien. » Mais il n'en dit mot. Les deux tisserands l'invitèrent à s'approcher et lui demandèrent comment il trouvait le dessin et les couleurs.
En même temps, ils montrèrent leur métier et le vieux ministre y fixa ses regards. Mais il ne vit rien, par la raison bien simple qu'il n'y avait rien. « Bon Dieu ! Bon Dieu ! » pensa-t-il. « Serais-je vraiment borné ? » « Il faut que personne ne s'en doute. » « Serais-je vraiment un incapable ? » « Je n'ose avouer que l'étoffe est invisible pour moi. » « Eh bien ? » « Qu'en dites-vous ? » dit l'un des tisserands. « C'est charmant. C'est charmant. C'est... » « Oui ? » répondit le ministre en mettant ses lunettes. »
« Ce dessin et ces couleurs, oui, je dirai au grand-duc que j'en suis très content. » « C'est heureux pour nous, » dirent les deux tisserands. Et ils se mirent à lui montrer des couleurs et des dessins imaginaires en leur donnant des noms. Le vieux ministre prêta la plus grande attention pour répéter au grand-duc toutes leurs explications. Les fripons demandaient toujours de l'argent, de la soie et de l'or. Il en fallait énormément pour ce tissu. Bien entendu qu'ils empochèrent le tout.
Le métier restait vide et il travaillait toujours. Quelques temps après, le grand-duc envoya un autre fonctionnaire honnête pour examiner l'étoffe et voir si elle s'achevait. Il arriva à ce nouveau député la même chose qu'au ministre. Il regardait et regardait toujours, mais ne voyait rien. « N'est-ce pas que le tissu est admirable ? » demandèrent les deux imposteurs en montrant et en expliquant le superbe dessin et les belles couleurs qui n'existaient pas. « Cependant, je ne suis pas niais, pensait l'homme. »
« C'est donc que je ne suis pas capable de remplir ma place ? » « Ça, c'est drôle, mais je prendrai bien garde de la perdre. » Puis il fit l'éloge de l'étoffe et témoigna toute son admiration pour le choix des couleurs et le dessin. « C'est d'une magnificence incomparable ! » dit-il au grand-duc. Et toute la ville parla de cette étoffe extraordinaire. Enfin, le grand-duc lui-même voulut la voir pendant qu'elle était encore sur le métier.
Accompagné d'une foule d'hommes choisis, parmi lesquels se trouvaient les deux honnêtes fonctionnaires, il se rendit auprès des adroits filous qui tissaient toujours, mais sans fil de soie, ni d'or, ni aucune espèce de fil. « N'est-ce pas que c'est magnifique ? » dirent les deux honnêtes fonctionnaires. « Le dessin et les couleurs sont dignes de votre Altesse ! » Et ils montrèrent du doigt le métier vide, comme si les autres avaient pu y voir quelque chose. « Que se donc ? » pensa le grand duc. « Je ne vois rien ! »
« C'est terrible ! Est-ce que je ne serais qu'un niais ? Est-ce que je serais incapable de gouverner ? » « Jamais rien ne pouvait m'arriver de plus malheureux. » Puis tout à coup, il s'écria « C'est magnifique ! J'en témoigne ici toute ma satisfaction. » Il hocha la tête d'un air content et regarda le métier sans oser dire la vérité.
Tous les gens de sa suite regardèrent d'eux-mêmes, les uns après les autres, mais sans rien voir. Et ils répétaient comme le grand-duc, « C'est magnifique ! » Ils lui conseillèrent même de revêtir cette nouvelle étoffe à la première grande procession. « C'est magnifique ! C'est charmant ! C'est admirable ! » exclamaient toutes les bouches. Et la satisfaction était générale. Les deux imposteurs furent décorés.
et reçurent le titre de gentilhomme tisserand. Toute la nuit qui précéda le jour de la procession, ils veillèrent et travaillaient à la clarté de seize bougies. La peine qu'ils se donnaient était visible à tout le monde. Enfin, ils firent semblant d'ôter l'étoffe du métier, coupèrent dans l'air avec de grands ciseaux, cousirent avec une aiguille sans fil, après quoi ils déclarèrent que le vêtement était achevé.
Le grand-duc suivi de ses aides de camp alla l'examiner et les filous levant un bras en l'air comme s'ils tenaient quelque chose dirent « Voici le pantalon, voici l'habit, voici le manteau. C'est léger, comme de la toile d'araignée. Il n'y a pas de danger que cela vous pèse sur le corps. Et voilà surtout en quoi consiste la vertu de cette étoffe. » « Certainement, répondirent les aides de camp, mais ils ne voyaient rien puisqu'il n'y avait rien. »
« Si votre Altesse daigne se déshabiller, » dirent les fripons, « nous lui essaierons les habits devant la grande glace. » Le grand-duc se déshabilla et les fripons firent semblant de lui présenter une pièce après l'autre. Ils lui prirent le corps comme pour lui attacher quelque chose. Il se tourna et se retourna devant la glace. « Grand-duc, que cela va bien ! »
« Quelle coupe élégante ! » s'écrièrent tous les courtisans. « Quel dessin ! Quelle couleur ! Quel précieux costume ! » Le grand maître des cérémonies entra. « Le dé sous lequel votre Altesse doit assister à la procession est à la porte, dit-il. » « Bien, je suis prêt, répondit le grand duc. Je crois que je ne suis pas mal ainsi. » Et il se tourna encore une fois devant la glace pour bien regarder l'effet de sa splendeur.
Les chambelans qui devaient porter la queue firent semblant de ramasser quelque chose par terre. Puis ils élevèrent les mains, ne voulant pas convenir qu'ils ne voyaient rien du tout. Tandis que le grand-duc cheminait fièrement à la procession sous son dé magnifique, tous les hommes dans la rue et aux fenêtres s'écriaient « Quel superbe costume ! » « Comme la queue en est gracieuse ! » « Comme la coupe en est parfaite ! » Nul ne voulait laisser voir qu'il ne voyait rien. Il aurait été déclaré nien ou incapable de remplir un emploi.
Jamais les habits du grand-duc n'avaient excité une telle admiration. « Il me semble qu'il n'a pas du tout d'habits ! » observa un petit enfant. « Seigneur Dieu, entendez la voix de l'innocence ! » dit le père. Et bientôt on chuchota dans la foule en répétant les paroles de l'enfant. « Il y a un petit-duc qui n'a pas d'habits ! » « Il n'a pas du tout d'habits ! » s'écria enfin tout le peuple. Le grand-duc en fut extrêmement mortifié, car il lui semblait qu'ils avaient raison.
Cependant, il se raisonna et prit sa résolution. « Quoi qu'il en soit, il faut que je reste jusqu'à la fin. » Puis il se redressa plus fièrement encore. Et les chambelots continuèrent à porter avec respect la queue qui n'existait pas. C'était « Les Abinofs du Grand-Duc » traduit par David Soldi, lu par Saadia Ben Tayeb.
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